La G@zette Nucléaire sur le Net !
G@zette N°267, février 2013

Sera-t-il possible de sortir enfin du tout nucléaire pour entrer dans une politique énergétique cohérente? Les dés sont jetés...
COMPTE RENDU de L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU GSIEN
Samedi 9 février
"Coup de gueule" exclusivité internet!
Mot d'humeur

     Nos gouvernants, dans leur grande sagesse - et pour essayer de relancer l'industrie - instaurent périodiquement des primes à la casse.
     Les arguments sont solides et éprouvés: les vieilles voitures sont moins solides, moins sécurisées, consomment plus, et, pour celles équipées de moteurs diesels, émettent des particules nocives pour la santé...
     Et ce ne sont pas les voitures de plus de 40 ans qui sont visées, ce sont celles vieilles de plus de 10 ans.
     Mais alors, pourquoi ne pas appliquer cette même philosophie pour les centrales nucléaires?
     A 40 ans, elles sont en bout de vie. Evidemment pour une brave 2CV des années 70, on peut changer le moteur, rapiécer le plancher,... etc.
     C'est ce qu'on fait pour nos centrales. On change les générateurs de vapeur, on ravaude tout ce qui est ravaudable et même, à Fessenheim, on va essayer de renforcer le radier, comme pour une vieille 2 CV où on pouvait freiner directement avec le pied sur le sol.
     Mais, comme pour la 2CV, toute la structure est plus ou moins pourrie, et non remplaçable... la cuve, l'enceinte...
     Alors, que diable, appliquons la même logique, mettons à la casse les vieilles centrales devenues obsolètes et dangereuses.
     Sur ma 2CV, l'essuie glace avait un mouvement cadencé par la vitesse des roues...
     Sur les vieux 900MW, le contrôle commande est construit à l'aide de vieux relais électromécaniques des années 60.
     Dans les 2 cas on peut rénover... mais une 2CV restera une 2CV, et un 900MW conçu dans les années 70 restera un vieux 900MW.
     Soyez logiques et réalistes.
Il est grand temps de passer à la phase déconstruction... , ce qui, pour ma 2CV, s'appelle la CASSE.

Raymond SENE

L’AG s’est tenue à Paris le 9 février.
     16 personnes étaient présentes, 20 avaient donné un pouvoir.
     Après la présentation du bilan de la gazette et de l’état financier du GSIEN: quitus est donné par l’AG.
     Nous avons alors fait le point sur divers sujets .
     La réunion a été comme d’habitude un moment chaleureux/ nous aimerions bénéficier de la venue de jeunes (cela veut dire 40/50 ans parce qu’avant c’est peut-être plus difficile) à qui nous pourrions confier des travaux d’expertises: d’abord travailler avec les candidats, puis eux-mêmes faire acte de candidature sur les dossiers.
     Le GSIEN va relancer des actions pour élargir ses possibilités.

     À propos des réacteurs de recherche
     Il y en a beaucoup très vieillissants: ils servaient pour certains (Canada, Pays-Bas, France) pour des radioéléments médicaux. Ils ont atteint 40 ans de bons et loyaux services et maintenant doivent être arrêtés (Canada, Pays-Bas le sont déjà). Il est bien évident que c’est une expérimentation à propos de la durée de vie d’un réacteur.

     Travaux au niveau européen
     Avec l’ANCCLI, nous participons à des réunions à propos de la convention d’Aarhus

     Prolongement de la vie des réacteurs
     L’opération «Grand Carénage (pdf)», visant à démontrer que les réacteurs actuels peuvent vivre 50 voire 60 ans est en cours: rappelons que le GSIEN a toujours écrit qu’on ne doit pas parler en temps, mais en fluence (nombre de neutrons). En effet ce qui compte c’est l’évolution des aciers sous irradiation ainsi que tous les problèmes de défauts (corrosion sous contrainte, défauts sous revêtement...). Doël et Tihange ont prouvé l’existence de défauts plein métal. Il serait bon de vérifier les cuves françaises qui n’ont jamais été vérifiées pour de tels défauts.
     À propos des déchets:
     Le GSIEN doit-il ou non participer au débat public? (prévu du 15 mai au 31 juillet 2013 puis du 1er septembre au 15 octobre)
     1- Le GSIEN n’a pas été invité, mais il est toujours possible de produire un cahier d’acteur
     2- Un autre débat est actuellement en cours depuis fin 2012: la transition énergétique, fin en septembre 2013
     Il est certain que ces calendriers ne vont pas aider aux débats. Reprenons le calendrier:
     En 2013 deux débats vont avoir lieu:
     - le premier portant sur «la création d’un site de stockage réversible profond de déchets radioactifs en Meuse/Haute-Marne (projet d‘un Centre industriel de stockage géologique pour les déchets HA et MA-VL ou Cigéo)
(suite)
suite:
     - le second sur la «transition énergétique» donc un programme énergétique nouveau.
     Ce programme va peser sur l’inventaire des déchets dont le stockage est prévu dans Cigéo.
     Un autre débat prévu en 2016 portera sur la réversibilité dans Cigéo (pdf). Plusieurs questions ressortent:
     - s’il était normal de faire des études préliminaires dans un laboratoire pour caractériser une roche, comment choisir le site s’il n’y a que le laboratoire de Bure?
     - Pourquoi avoir négligé de faire les études sur l’entreposage de longue durée?
     - Comment définir les options techniques sans avoir défini la réversibilité?
     Cigéo sera à Bure puisqu’il n’y a qu’un laboratoire contrairement aux demandes de la loi de 1991. Et même si en 2009 un dossier ANDRA a conclu que ce site argileux était le meilleur: les études sont loin d’être terminées et de nombreuses incertitudes demeurent. Est-il raisonnable de vouloir lancer une application industrielle censée durer plus d’un siècle sans avoir terminé les expérimentations?
     Et quels déchets iront à Cigéo: le moins qu’on puisse dire est que l’inventaire est flou. Il repose sur des scénarios qui, de toute façon, dépendent d’une politique énergétique encore en gestation. Prolongera-t-on la vie des réacteurs actuels au-delà des 40 ans garantis à leur construction et reposant sur la tenue des aciers au bombardement neutronique résultant de la fission (fluence)? Ou bien arrêtera-t-on les réacteurs à leurs 40 ans ce qui entraînera l’arrêt du retraitement. En effet, on ne peut mettre un combustible au plutonium que dans 22 des 34 premiers réacteurs. Il faudra alors ajouter les combustibles usés à l’inventaire, ce que ne permet pas la loi de 2006. Changera-t-on la loi en la circonstance?

     En conclusion, il est urgent d’attendre avant de prendre une décision hâtive.
     - Il faut mener les études dédiés dans le laboratoire pour avoir des bases pour Cigéo et pendant ce temps entreposer correctement dans des installations bien conçues, avec des emballages résistants contenant des déchets bien caractérisés et chimiquement inertes,
     - Il faut définir ce qu’on souhaite comme réversibilité: récupérer des colis, pouvoir appliquer de nouvelles méthodes, laisser aux générations futures la possibilité de réparer nos erreurs,
     Certes Cigéo est présenté comme flexible, mais est-ce que les citoyens pourront intervenir dans cette flexibilité?
     De fait nul n’a démontré que mettre des objets dangereux en profondeur garantit qu’il n’y aura aucun dégât ultérieur: ce serait plutôt l’inverse. Et, l’évolution de la Terre au cours des millénaires explique un peu le passé mais ne garantit en rien le futur.
p.7


     Les déchets existent, cela est certain. Il faut donc chercher une solution. Pour trouver la moins mauvaise:
     - il faut limiter le recours au nucléaire,
     - il faut traiter les déchets existants
     Et surtout:
     - il faut discuter, répondre et s’approprier toutes les interventions. Cette mise en œuvre de solutions nécessite la consultation des citoyens et leurs participation aux décisions tant au niveau local que national. Ces processus demandent du temps et ce n’est pas en perdre que de l’accepter.

     Quelques précisions sur l’inventaire
     Dans Cigéo doivent aller les déchets HA et MA-VL des réacteurs existants (58 + EPR Flamanville + ITER) . Ces réacteurs fonctionnant au moins 50 ans, ce qui est en contradiction avec les valeurs retenues jusque maintenant de 40 ans. Bien sûr cela dépend de leur vieillissement, qui, pour le moment repose sur des modèles.
     Il reste qu’en plus il existe des «réserves» à savoir: le réacteur EPR de PENLY, les déchets enrobés dans du bitume de Marcoule dont le contenu est mal connu et que l’on reconditionne, les déchets issus des démantèlements des réacteurs Uranium Naturel Graphite Gaz (décontamination? des graphites), ceux issus du conditionnement des GV.
     Donc à suivre pour éviter les problèmes.

 Sûreté des réacteurs et leur fermeture

     Notre position en 1975
     En 1974 au démarrage du programme civil de construction de réacteurs, des scientifiques lancèrent un appel connu sous le nom "Appel des 400", appel dont la conclusion était:
     "Il faut qu’un vrai débat s’instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation.
     Nous appelons la population à refuser l’installation de ces centrales tant qu’elle n’aura pas une claire conscience des risques et des conséquences.
     Nous appelons les scientifiques (chercheurs, ingénieurs, médecins, professeurs, techniciens...) à soutenir cet appel et à contribuer, par tous les moyens, à éclairer l’opinion"
     Nous avions lancé cet appel, après avoir constaté que le gouvernement français passait du “tout pétrole” au “tout nucléaire”, après avoir commencé avec “le tout charbon”. Avec l’expérience des 39 ans écoulés, c’est en fait «tout pétrole et tout nucléaire» et surtout “tout électrique”.
     Si je reprends quelques arguments de 74, j’en constate la pertinence jamais mise en défaut.

     Sûreté des réacteurs
     Les accidents sont peu probables, ils peuvent être effroyables, avions-nous écrit. Three Mile Island a ouvert la voie à Tchernobyl et prouvé que nos craintes étaient plus que fondées. Et Fukushima n’a fait que conforter notre propos, bien au-delà de tout ce que nous pouvions envisager: 4 réacteurs «en folie» et l’impossibilité de les refroidir (perte de la source froide ET de l’alimentation électrique) et ce sur 6 réacteurs dont 3 à l’arrêt.
     Nous avons suivi l’évolution des REP (réacteurs à eau pressurisée) qui forment le parc français. Nous avons participé à l’analyse des visites décennales de Fessenheim (1989 puis 1999 et 2001 et 2009) et nous avons pu constater la difficulté d’une telle expertise.
     Les problèmes techniques sont un risque constant du nucléaire et leur prise en charge par EdF, AREVA et les autres acteurs du nucléaire n’est pas correcte. C’est pour cela qu’il faut intervenir sans relâche pour la mise en place d’une sûreté de haut niveau qui, seule, permet une sécurité toujours accrue des populations.

     Politique alternative
     “Par ailleurs, quoi qu’on en dise, peu de recherches sérieuses sont entreprises pour trouver de nouvelles sources d’énergie, pour diversifier celles existantes et pour diminuer le gaspillage.”
     Et qu’en est-il en 2013? Guère de progrès, des intentions peut être?
39 ans ont passé. Le nucléaire s’est installé et si on continue, on repart pour le nucléaire en 2017 (date programmée (?) des premiers arrêts/démantèlements de réacteurs).
     Notre conclusion: "Il faut qu’un vrai débat s’instaure et non ce semblant de consultation fait dans la précipitation." est toujours d’actualité. Quand aura lieu un débat sur la politique énergétique de la France.
(suite)
suite:
     Tous les rapports de Schloesing (1977) en passant par Rouvillois (1990) pour finir par Souviron (1994) et même celui de 2003 (comité des Sages: 1 et 2) ont dénoncé l’ingérence des industriels et des grands corps d’état et ont préconisé une diversification de notre politique énergétique. Mais on ne peut pas dire que cela a changé la marche du nucléaire.
     Il n’en reste pas moins que le nucléaire ne peut pas, avec son cortège de problèmes sans solution (déchets, rejets, transport, santé, etc.) être la voie la meilleure et surtout la seule pour la nation. Il nous faut diversifier nos sources d’énergie, économiser et surtout entamer un dialogue avec les populations.

     Après Fukushima
     Le monde nucléaire s’est plié (avec plus ou moins de bonne volonté) à l’exercice d’Évaluations Complémentaires de Sûreté ou ECS. L’ASN a donné un avis mitigé: certes elle n’a pas recommandé de fermeture, mais a soumis chaque installation à des demandes d’améliorations nombreuses et variées.
     Par exemple pour Fessenheim (2 réacteurs démarrés en 1977) il est rappelé que le grand Canal d’Alsace (source froide des réacteurs) domine le site de quelque 9 mètres et que les radiers (assise de béton de l’enceinte de confinement) sont les moins épais des 58 réacteurs du parc. En conséquence et à cause du fait que l’accident est toujours possible, il faut l’épaissir. Or cette opération maintes fois évoquée n’est, à notre avis, pas réalisable: nappe phréatique affleurante, d’où EDF propose de réduire la hauteur du puits de cuve ce qui rendra les maintenances quasi impossibles.
     Fukushima a durement rappelé qu’un accident est toujours possible. Comme l’a écrit M. Jamet (Collège de l’ASN) «l’improbable est possible». Cette catastrophe montre la faiblesse de nos divers systèmes de protection. Bien sûr des estimations sont faites en se confortant grâce à des calculs de probabilités. De graves accidents, il y en a eu, mais ils sont déjà oubliés: cette fois, il faut tirer toutes les conséquences des manquements japonais.
     La sûreté et donc la protection des travailleurs, des populations et de l’environnement est l’affaire de tous les citoyens qui doivent pouvoir participer aux évaluations. Il n’est plus possible de répondre à leurs questionnements «dormez en paix, nous veillons sur vous» ni de s’appuyer sur une formule EDF de 1970: «On ne consulte pas les grenouilles, avant de vider une mare»! La co-construction d’une sûreté et d’une radioprotection de qualité doit se faire par la concertation et la participation de tous. La France s’est dotée de lois, mais à quoi servent-elles si on ne les applique pas?

Annexe sûreté
Analyse de l’incendie de Penly du 05/04/2012


     «Le 5 avril, en milieu de journée, l’unité de production N°2 de la Centrale de Penly s’est arrêtée automatiquement à la suite d’une fuite d’huile sur une des 4 pompes du circuit primaire». Dans ce «Flash spécial Penly» EDF précise que «c’est cette huile, échappée de la pompe, qui a provoqué un départ de feu et un fort dégagement [sic], rapidement maîtrisés par les secours extérieurs et les équipes de la centrale». Le mot incendie n’est pas prononcé. Ensuite, un problème sur un joint de la même pompe primaire a provoqué une fuite d’eau radioactive «de faible proportion» sans «aucune conséquence pour l’environnement». Bref, de simples «événements techniques» restés sous le contrôle de l’exploitant.
     Quelques mois plus tard lors d’une présentation au HCTSIN (Haut Comité pour la Transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire) le 21 juin 2012, EDF fait dans l’autosatisfaction: «nos jeux de procédures pour faire face aux situations incidentelles sont robustes et maîtrisées par nos équipes de conduite. Nos principes d’informations réactives sont maîtrisés par nos équipes» [1]. La gestion de la situation aurait donc été parfaite.
     Cependant, la réalité décrite en interne par EDF n’est pas vraiment rassurante. Car pour faire face à l’enchaînement des «événements», il aurait fallu cerner le problème un peu mieux et prendre les bonnes décisions. Et ce n’est certes pas facile en situation de crise. Dans un compte rendu du CSNE (Comité Sûreté Nucléaire Exploitation), on apprend qu’un «séminaire local» sera organisé à Penly car «un certain nombre de décisions opérationnelles sont à examiner». Le Directeur délégué opérationnel a noté «que cet événement doit nous réinterroger sur l’efficacité de nos lignes de défense» soit disant «robustes et maîtrisées». «Dans les premières heures, la gestion [a été] difficile et le calage local/national pas évident» [2]. Ainsi, il semblerait bien que la situation ait été bien plus critique que celle décrite dans le «Flash spécial Penly» et dans la «présentation HCTSIN» avec, notamment, d’importants loupés dans la prise de décisions et de sérieuses inquiétudes sur les parades existantes. De quoi avoir quelques doutes de plus dans la sûreté tant vantée du nucléaire français.
p.8


     Mais c’est dans le paragraphe «Analyse des enjeux des actions inappropriées» [3] (cf. §3.5) où le commentaire d’EDF est à savourer, avec quelques frissons dans le dos. «L’analyse de cet événement conduit a identifier quatre actions inappropriées qui mettent en lumières trois items qu’ils convient d’analyser» afin d’avoir des actions plus appropriées en cas de situation similaire. A la lecture attentive du rapport, c’est en fait quatre «états défaillants» et au moins neuf «actions inappropriées» qui ressortent (voir le détail en page 3 de cette analyse). La gestion de l’événement n’a donc pas été si bien «maîtrisée» que cela. Revenons sur les «trois items qu’ils convient d’analyser»:
     - «La prévention et l’éradication des non qualités de maintenance et d’exploitation constituent un enjeu majeur pour l’amélioration des résultats de sûreté dans la durée» avec notamment «une défaillance dans la mise en œuvre de l’autocontrôle et du contrôle technique du geste professionnel».
     - Les moyens pour assurer «la surveillance en salle de commande». L’incident a révélé qu’ils étaient perfectibles.
     - Enfin, au sujet de «la prise de décision» et «dans un contexte d’urgence», le rapport suggère qu’il faudrait arriver «à assurer le périmètre de la problématique, la priorité des actions à mener, la complétude des éléments à prendre en compte, la complétude des personnes à consulter, la responsabilité de la prise de décision, la formalisation et la communication associée». Tout un programme.
     Au chapitre de la sécurité de nos centrales, EDF va devoir resserrer les boulons... Au propre comme au figuré comme on va le voir plus loin. Le concept de “Facteur humain” est présent en force dans cet incident et EDF ose parler de la «maîtrise» de ses «équipes» au Haut comité pour la transparence et l’Information sur la Sécurité Nucléaire (HCTSIN). Avec cet événement, la transparence chère à EDF s’apparente plutôt à la “glasnost” soviétique post Tchernobyl.
     Dans le même temps, EDF a pris conscience de la nécessité de déclencher un «PUI (Plan d’Urgence Interne) Sûreté – Radiologique» en cas de départ de feu (DDF) dans le bâtiment réacteur [3]. A Penly, seul le PUI conventionnel a été déclenché.
     Dans le rapport d’événement significatif interne [4], EDF abandonne la langue de bois et présente (dans son annexe n° 3) un schéma ayant pour titre: «Localisation des foyers d’incendie» (voir ci-dessous).

Figure 1
Localisation des foyers d'incendie
(suite)
suite:

     La suite de l’article, plus technique, est basée sur le Rapport d’événement significatif [4], sauf mention contraire. On y découvre un certain nombre d’erreurs et de défaillances inacceptables pour un exploitant nucléaire.

Résumé de l’analyse des causes
Constat
     - Fuite sur le circuit de soulèvement d’une pompe primaire.
     - Deux foyers d’incendie sur du calorifuge imbibé d’huile.
     - Isolation du joint n°1 du GMPP (Groupe MotoPompe Primaire)
(2 RCP051 PO) lors de la dégradation de sa lubrification.
     - Perte d’étanchéité du robinet retour du joint n°1 (RCV111 VP).

Etats défaillants (ED):
     - ED1 – Erreur de l’équipe de conduite dans l’estimation du débit de fuite primaire. Le débitmètre (mesure de débit) retour du joint n°1 est vu en butée d’échelle suite au problème du robinet RCV 111 VP mais l’équipe de quart n’en tient pas compte et considère le débitmètre hors service. Les pannes de capteur sont fréquentes et l’exploitant doit faire avec et arbitrer alors entre ce qu’il lit et ce qu’il croit.
     - ED2 – L’inétanchéité interne du robinet RCV 111 VP n’était pas identifié (à début juin 2012).
     - ED3 – La cause de la dégradation du joint n°1 n’est pas non plus identifiée dans le rapport EDF, mais la fuite d’huile en serait la cause selon une information externe: «l’écoulement d’huile sur la volute du GMPP et la branche en U a provoqué deux départs de feux. Cet événement a entraîné la dégradation des patins de butée du moteur, la destruction du joint n°1 de la pompe 2 RCP 051 PO et l’endommagement de l’arbre de la pompe».
     - ED4 –Un autre joint s’est détérioré sur le circuit de soulèvement au niveau d’une vis «manquant de serrage» et a provoqué la fuite de 220 l d’huile puis l’incendie.

Actions inappropriées:
     - «Désisolement» du retour du joint n°1 par l’équipe de conduite suite à concertation entre les ingénieurs du Poste de commandement des moyens (PCD1), les experts locaux et le constructeur et avec l’accord des cadres du Poste de commandement direction. Là, on ne peut pas incriminer l’équipe de conduite mais plutôt tout la brochette d’experts à l’origine de cette action inappropriée.
     - Absence de consigne de fonctionnement sur le joint n°2 lorsque le GMPP est à l’arrêt
     - Le joint n°1 n’est pas identifié comme défaillant.
     - La défaillance du robinet RCV 111 VP n’est pas identifiée; cela «conduit à ne pas poser le problème en prenant en compte toutes les informations». Là, il ne faut pas jeter la pierre à l’équipe de quart (ou de conduite) car les décisions à prendre ne se font qu’avec l’accord des experts. D’où une certaine lenteur...
     - Défaut de serrage d’un boulon sur le circuit de soulèvement du GMPP. L’écart de serrage daterait du conditionnement du GMPP après visite chez le fabricant.
     - Absence de contrôle de serrage des vis: «avant sa mise en place et pendant les visites lors des arrêts [de tranche], il n’existe pas de contrôle de serrage des vis du circuit d’huile». Pourtant la sûreté repose en partie sur la «qualité» de la maintenance associée aux contrôles de l’exploitant (Arrêté qualité de 1984).
     - Mise en service inopinée de la pompe de soulèvement qui ne fonctionne normalement que lors des séquences de démarrage et d’arrêt du GMPP.
p.9


     Il y a trois hypothèses concernant cette mise en service inopinée:
     - Défaillance du contrôle-commande (non retenue).
     - Défaillance de la cellule électrique (non écartée).
     - Erreur humaine (non écartée) avec «plusieurs situations propices aux erreurs»...
     L’heure avancée de la nuit (baisse de vigilance), jeune agent pas encore habilité SN (Sûreté Nucléaire), ventilateur à consigner encore en fonctionnement, primo-intervenant sur la boite à bouton (BAB) servant à commander les cellules (stress). L’erreur proviendrait d’une confusion entre la cellule électrique de la pompe de soulèvement du GMPP et la cellule d’un ventilateur à consigner pour maintenance sans aucun rapport avec le GMPP. A regarder la photo (voir ci-dessous) des cellules électriques on peut imaginer que l’agent, à 3h41 du matin, ait pu confondre les deux cellules contiguës:
     - Absence de surveillance de la mise en service de la pompe de soulèvement (111 PO)
     - Absence de signalisation de l’état du GMPP en salle de commande.

Figure 2
cellules électriques

     Dans le rapport, la défaillance de la cellule n’est pas écartée mais l’accent est mis sur l’erreur humaine, toujours plus facile à gérer qu’une défaillance inexplicable d’un matériel. Et lors de la réunion du CSNE à l’état major de la DPN (Division Production Nucléaire) quelques jours après la rédaction du rapport, il est clairement question d’une «non qualité d’exécution» [3] pour expliquer le démarrage inopiné de la pompe de soulèvement (RCP 111 PO). La défaillance de la cellule électrique est désormais écartée.

     Chronologie (encore plus technique)
     5 avril

     11h52: apparition de l’alarme «Niveau anormal caisse à huile palier SUP2RCP 051PO». Une défaillance sur le circuit de graissage d’une pompe primaire (GMPP) a provoqué la baisse du niveau d’huile du palier supérieur de la pompe primaire 2 RCP051PO.
     La défaillance provient d’un joint extrudé au refoulement de la pompe à huile de soulèvement du GMPP. La fuite d’huile a été évaluée à 220 litres. Mais la pompe de soulèvement ne fonctionne que lors du démarrage et de l’arrêt de la pompe primaire. En marche établie, la pompe de soulèvement est à l’arrêt. Pourtant elle a démarré la veille de l’incident (le 4 avril à 3h41) sans détection par l’équipe de quart. La mise en service du soulèvement proviendrait soit d’une défaillance de la cellule électrique de la pompe soit d’une erreur humaine lors de la consignation d’un ventilateur sur une cellule électrique proche. Sur la pompe de soulèvement, une vis a été trouvée desserrée: associée au fonctionnement prolongé de la pompe, cela a provoqué la rupture du joint au refoulement et une fuite d’huile. La visite en atelier chez le fabriquant serait à l’origine du défaut de serrage du boulon.
     11h54: apparition d’alarmes feu dans trois locaux correspondant à la pompe primaire.
     12h06: apparition de l’alarme «T° max palier patin 2 RCP 051 PO» (72°C). La défaillance du graissage provoque une montée en température du palier supérieur de la pompe primaire.
     12h11 et 12h12: apparition dans le journal de bord (le KIT) d’un débit élevé (sup à 1.200 l/h) sur le retour du joint n°1 de la pompe primaire et d’une différence de pression minimale (delta P) sur le joint n°1. Ces deux informations sont significatives d’une ouverture conséquente du joint n°1 mais ne sont pas perçues par l’équipe de quart.
(suite)
suite:
     12h12: déclenchement (arrêt) de la pompe primaire 2 RCP 051 PO par température élevée palier patin (80°C). L’arrêt de la pompe primaire  entraîne l’Arrêt automatique du réacteur (AAR) par bas débit dans une boucle primaire réacteur en puissance.
     Dans le même temps la vanne 2 RCP 111 VP se ferme automatiquement sur le critère du débit élevé (sup à 1200 l/h) sur le retour du joint n°1 de la pompe primaire. L’inétanchéité de la vanne (fuite de 250 l/h) n’est pas identifiée.
     L’équipe de quart entre alors dans le DOS (Document d’orientation et de stabilisation) du chapitre VI des RGE (Règles générales d’exploitation) qui définit les règles et consignes de conduites “incidentelles” et accidentelles.
     12h13: appel du CODIS (pompiers).
     12h14: gréement d’une cellule de crise à la centrale.
     13h24 à 13h40: extinction de deux foyers d’incendie dans l’environnement de la pompe primaire. Hauteur de flammes d’environ 30 cm pour l’un et 60 cm pour l’autre. A noter que les définitions des feux (permettent de déclarer le feu non «confirmé» tout en étant non «maîtrisé»...
     14h10 : déclenchement du PUI conventionnel à cause, semble t’il, de la présence de «fumerolles» (feu non maîtrisé).
     16h50: sortie du DOS.
     18h09: réouverture de la vanne 2 RCP 111 VP afin de remettre en service le joint n°1 que l’équipe de quart suppose en bon état. Cela afin de soulager le joint n°2 qui assure seul l’étanchéité au niveau de l’arbre de la pompe primaire. Le joint n°2 n’est qualifié que pour 30 mn (si le GMPP tourne) et s’il lâche c’est l’APRP (Accident avec Perte de Réfrigérant Primaire). Lors de la réouverture de la vanne 111 VP, un débit élevé est à nouveau constaté sur le retour du joint n°1 ce qui provoque la fermeture automatique de la vanne (comme à 12h12).
     Le débit de retour du joint n°2 augmente à son tour à 1.800 l/h.
     La fuite (non identifiée) de la vanne 111 VP pourtant fermée passe alors de 250 l/h à plus de 1.500 l/h et n’est toujours pas identifiée par l’équipe de quart. Début juin, la cause de l’inétanchéité de la vanne n’avait pas identifiée clairement, EDF postulant que des débris du joint n°1 sont venus empêcher la fermeture complète de la vanne.
     18h10: l’augmentation du débit du joint n°2 provoque la fermeture automatique de la vanne 2 RCP 395 VN isolant ainsi la barrière thermique de la pompe primaire.
     18h20: retour dans le DOS car le débit de fuite primaire est évalué supérieur à 2,3 m3/h (un bilan, faussé, évaluera la fuite à 5,7 m3/h).
     L’équipe de quart va alors patauger dans le maquis des diverses procédures du fait d’erreurs dans le diagnostic de l’incident
     19h15: l’équipe de quart évalue la fuite primaire inférieure à 2,3 m3/h.
     Hors rapport d’événement significatif, après qu’EDF ait informé l’ASN «vers 19h30» «d’une fuite anormale sur le circuit primaire», l’ASN et l’IRSN vont mobiliser les équipes de crise.
     20h11: dépressurisation (enfin...) du circuit primaire afin de soulager le joint n°2.
6 avril
     5h15: levé du PUI conventionnel après disparition des fumerolles autour de la pompe primaire.

ET MAINTENANT VERIFICATION SUR TOUS LES SITES.

Sources
[1] http://www.hctisn.fr/
[2] CSNE n° 212 – Relevé de Décisions et Compte Rendu – EDF Etat Major, 25 juillet 2012
[3] Rapport d’événement significatif sûreté – Repli dans le chapitre VI des RGE suite à une défaillance du groupe motopompe primaire 2RCP051PO ayant entraîné un arrêt automatique du réacteur – Evènement survenu le 05/04/2012 sur la tranche 2 – EDF, CNPE de Penly, 8 juin 2012
p.10

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