La G@zette Nucléaire sur le Net! 
G@zette N°237/238
UN POINT SUR LE NUCLEAIRE MEDICAL

Note sur l'énergie nucléaire et les "nouvelles" énergies renouvelables électrogènes; aspects techniques et économiques;
situations française et internationale, historique et perspectives
Yves Lenoir avril 2007


     Préambule
     Le débat énergétique n'a jamais vraiment eu lieu en France du fait de la position écrasante dont jouissent les deux institutions nationales qui définissent depuis 1945 (1) la stratégie énergétique du pays, à savoir: le Corps des Mines et EDF. A cause aussi du poids socio-économique acquis dans le cadre de cette stratégie par l'industrie lourde, aujourd'hui regroupée autour et au sein d'AREVA et d'ALSTOM. L'histoire ayant joué son rôle, il est quasi impossible, sans apport d'informations non convenues, de concevoir un infléchissement significatif de cette stratégie. En effet,  jusque récemment, la réglementation du secteur de l'énergie avait en quelque sorte verrouillé les positions acquises, et aujourd'hui encore, les expériences autres pèsent peu lorsqu'il s'agit de programmer l'avenir énergétique du pays. La contre-expertise de l'énergie voit son influence marginalisée à hauteur des conflits qu'elle pourrait potentiellement susciter en prouvant qu'en vérité l'avenir énergétique est très ouvert dès lors qu'on admet que le terme à considérer se chiffre en décennies, selon la cadence des précédents programmes: 20 ans pour l'hydraulique ; autant pour le nucléaire, ou pour le passage antérieur du presque tout charbon au presque tout pétrole.
     Concernant le secteur énergétique, la pierre d'achoppement de la campagne présidentielle actuelle se nomme EPR. Faire ou ne pas faire, là est toute la question. Car l'EPR est bien l'arbre qui montre la forêt, la pointe émergée du lobby électronucléaire français et sa planche de survie, sinon d'espoir d'expansion. Pour le reste les positions se distinguent peu les unes des autres, ce qui restreint le besoin de clarification aux moyens de produire l'électricité dans l'avenir, et à sa place dans la consommation finale d'énergie. 
     Il ne s'agit pas ici de plaider pour un débat dont le plus grand nombre reconnaît la nécessité formelle. Il s'agit plutôt de montrer que la singularité du système électrogène français ne présente que peu d'avantages réels et est lourde d'isolement et de risques. Car, à quoi servirait-il d'avoir un débat si la plupart des décideurs et des citoyens restent persuadés de la véracité des arguments à l'appui de la poursuite indéfinie de la stratégie actuelle et des atouts qu'elle procurerait sur la scène énergétique internationale. Seule la peur, fondée, de l'accident et l'inquiétude, fondée elle aussi, engendrée par l'accumulation de déchets radioactifs mitigent cette adhésion résignée. 
     La méthode adoptée se déduit de ces prémisses: se baser sur des comparaisons internationales raisonnables et démonter pièce par pièce la mécanique idéologique de l'inéluctabilité de l'électronucléaire et de ses prétendus avantages. L'enjeu: passer de l'acceptation fataliste d'une technocratie arrogante et centralisée à l'exercice d'une démocratie flexible promouvant la maîtrise régionale des choix structurant.
     Tous les chiffres utilisés dans ce document proviennent de sources officielles françaises et internationales ou d'ouvrages publiés, signés d'experts universitaires reconnus internationalement. Pour n'en citer que les principales: CEA, AIE, Eurostat, documents parlementaires etc.
Part de l'électronucléaire dans la production d'énergie
     La production mondiale d'électricité d'origine nucléaire est passée de 203 TWh en 1973 à 2.650 TWh en 2003. En pourcentage elle passe de 2% à 15,8% de la production d'électricité et de 0,18% à 2,53% de la consommation mondiale d'énergie finale.
     Ainsi, plus de 60 ans après le début de l'énorme effort de recherche et développement consacré à cette source d'énergie, entièrement financée par les budgets militaires pour ce qui concerne la mise au point des filières de réacteur et des cycles du combustible, et en dépit des avantages particuliers accordés à ce secteur (2), l'électro-nucléaire reste, au plan mondial, marginal pour la production d'électricité et quasi négligeable pour celle d'énergie finale.
     Il n'en est pas de même en France (3) dont la position singulière actuelle est bien résumée par le tableau 1 ci-dessous:
Tableau 1: part de l'atome dans les productions d'électricité et d'énergie finale en 2003
Sources CEA 2006 pour 2003
France
Union Européenne
États-Unis
Monde
Part de l'atome / production électrique, %
78,5
31,6
19,4
15,8
Part de l'électricité / consommation finale d'énergie, %
20
20
19
16
Part de l'atome / consommation finale d'énergie, %
15,7
6,32
3,68
2,53
suite:
     Si l'on évalue la part de l'atome en termes de chaleur de fission (énergie primaire), du fait du rendement réel net de 30% environ des centrales, alors on trouve qu'elle se situe à 6,5% en 2003 de la production mondiale d'énergie primaire, avec une valeur absolue équivalant à 687 Mtep. Ces deux chiffres serviront de base de comparaison ci-dessous dans le chapitre consacré aux prévisions. 

     Part des énergies renouvelables dans la production d'énergie
     Dans le même temps la part électrogène des énergies renouvelables a poursuivi sa progression historique. Il faut distinguer la production  hydraulique, héritière de l'économie des moulins à eau et première source de production d'électricité dans l'Histoire, de celle des autres techniques d'application électrogène souvent beaucoup plus récente (éolien, photovoltaïque, géothermie chaude, thermique issue de la biomasse).
     L'hydraulique occupe encore une place majeure. Sa part dans la production d'électricité a plus que doublé en valeur absolue mais régressé de 21% à 15,9% en valeur relative. Elle reste supérieure à celle du nucléaire et se trouve renforcée de la montée en puissance toute récente de l'éolien, du photovoltaïque et de la biomasse, lesquelles ont décuplé en valeur absolue sur la période et plus que triplé en valeur relative.
     Ainsi, selon l'AIE, entre 1973 et 2003, la production hydroélectrique est passée progressivement de 1.200 TWh à 2.700 TWh, les autres renouvelables bondissant avec retard de 32 TWh à 315 TWh. Leur part conjointe dans la production d'électricité mondiale est donc passée de 21,5% à 17,6% entre 1973 et 2003). En terme d'énergie finale, ces sources renouvelables voient leur contribution relative passer de 1,93% à 2,8%.
     Les énergies renouvelables n'ont pas que des débouchés dans la production électrique, contrairement au nucléaire. Une part essentielle est consacrée à la production de chaleur ou de carburants. Entre 1973 et 2003, cette part s'est accrue de près de 50% en valeur absolue (de 737 Mtep à 1.260 Mtep), tout en augmentant légèrement sa valeur relative en terme d'énergie finale (de 16% à 17,3%).
     Au total les énergies renouvelables voient leur part relative croître de 17,9% en 1973 à 20,1% en 2003, accroissement auquel correspond une augmentation de 80% en valeur absolue (de 810 Mtep à 1.464 Mtep).

Tableau 2: part des énergies renouvelables dans les bilans de l'énergie finale en 2003
Sources AIE, Eurostat et CEA pour 2003
France
Union Européenne
États-Unis
Monde
Part de l'hydraulique / production électrique, %
11,4
10,3
7,5
15,9
Part des autres renouvelables / production électrique, %
1,4
3,46
-
1?ç
Part des renouvelables / conso. finale, %
8,9
6,9
-
20,1

     Prévisions pour 2020
     Ces prévisions de la part des différentes sources d'énergie dans les bilans primaires mondiaux dépendent dans une certaine mesure des organismes qui les font.
     Nous avons fait appel à trois sources: l'AIE, le CEA et les données afférentes du rapport parlementaire N° 3216, signé par Robert Galley et Claude Gatignol, ce dernier étant député de Flamanville, site envisagé pour y construire le premier EPR en France.

Tableau 3: prévisions pour 2020 (en énergie primaire)

Valeur en Mtep
AIE
CEA
RP 3216
Production primaire totale
14.400
14.404
15.366
Part de l'énergie de fission: Mtep, % 792
(~5,5)
776
(5)
461
(3)
Part des renouvelables: Mtep, %
1.944
(~13,5)
1.749
(12,1)
1.227
(8)
p.22


     Il apparaît clairement que les différents organismes spécialisés dans les statistiques et la prévision s'accordent sur une forte progression des énergies renouvelables durant les quinze prochaines années et sur une relative stagnation, voire un déclin, du nucléaire, tant en proportion qu'en valeur absolue. 
     Leurs extrapolations pour 2030 ne contredisent pas cette tendance, alors que cette date correspondrait à l'introduction de la quatrième génération  de réacteurs nucléaires. Pour le CEA les parts respectives de l'atome et des renouvelables seraient de 764 Mtep, en légère régression, et de 1.970 Mtep, en nette progression. Pour l'AIE, ces deux parts seraient dans le même ordre de 759 Mtep, en plus nette régression, et de 2.227 Mtep, en forte progression. Le RP 3216 ne pousse pas la prospective si loin...
     Quand on connaît ces chiffres et leur origine, on reste pantois devant l'aplomb des zélés défenseurs du modèle électrogène français, présenté à l'opinion publique comme un phare pour le monde. La méthode Coué ne peut produire de résultats que si un seul son de cloche a droit de cité. Mais ce qu'oublient tous ces visionnaires atomiques, c'est qu'il reste impossible de faire boire un âne qui n'a pas soif. C'est tristement idiot sans doute, mais c'est comme ça.

     Évolutions passée et présente de l'outil de production électrique non émetteur de GES
     Le nucléaire:
     L'édition 2006 du rapport Elecnuc du CEA présente les évolutions historiques de la puissance nucléaire mondiale installée, en mise en service annuelle et en cumul. Il faut bien garder à l'esprit qu'entre la décision de construction et la mise en service commercial il s'écoule en général une bonne demi-douzaine d'années, délai dépendant des procédures de certification et des aléas rencontrés durant la construction ou les essais préliminaires (ce délai ne compte pas pour rien dans le désintérêt des investisseurs non-gouvernementaux)..
     L'évolution de la puissance annuelle installée montre deux paliers, l'un au début des années 70, correspondant essentiellement aux mises en service de centrales aux USA, et l'autre, 10 ans plus tard, aux programmes nucléaires européens et japonais comme réponse au premier choc pétrolier. L'activité générale retombe très vite dès le début des années 90: les programmes français et japonais étant les quasi seuls contributeurs et les premières fermetures de centrales intervenant dans les nombreux pays ayant décidé de sortir progressivement du nucléaire (Suède, Belgique, Italie, Espagne, Pays-Bas etc).
     Le rapport 2005 de l'AIE, Key World Energy Statistics, confirme cette évolution en montrant que la production électronucléaire mondiale a culminé en 2001 et tend ensuite à stagner.
     L'activité industrielle du secteur tient donc plus à l'entretien des installations existantes (remplacements à échéance des générateurs de vapeur, fabrication du combustible et gestion des déchets) qu'à des commandes de nouvelles centrales. Les compagnies d'électricité préfèrent prolonger au maximum l'exploitation de leurs parcs que de se lancer dans de coûteux investissements que la concurrence des autres moyens de production, plus avantageux tant en terme d'investissements que de délais de construction et d'acceptabilité sociale.
     C'est ainsi que le rapport du CEA fait état de 15 centrales en construction au 31/12/2005 dont 9 (4) par la Russie, 1 par la France, 2 par les USA, 3 par la Chine (2), 1 (expérimentale) par le Canada et 1 (expérimentale) par l'Allemagne, représentant une puissance totale de 16.280 MWé. Si on retient une durée de construction de 7 ans, cela donne un rythme de 2.300 MWé/an. Les chiffres entre parenthèses concernent les centrales construites sur les territoires nationaux.
     A la même date étaient en commande (travaux non encore commencés) 3 centrales dont 2 en Chine et 1 en Corée du Sud, pour un total de 2.570 MWé.

suite:
     Moins de 10% du marché (en fait le seul EPR finlandais) est échu au constructeur AREVA, qui se prétend par ailleurs leader mondial.
     Cet ensemble représente toutes les centrales nucléaires qui vont entrer en service dans le monde entre 2005 et 2011, si les délais de construction sont respectés. A 2.500 €/kW installé, cela représente un investissement moyen (chiffre par excès puisqu'une grande partie des dépenses des réacteurs en construction était déjà effectuée au 31/12/2005) de 6,7 Md €/an. Ce chiffre constitue donc la borne haute mondiale de l'investissement nucléaire, les prévisions présentées ci-dessus ne montrant aucune tendance à l'accroissement de la demande. C'est donc un tout petit secteur industriel, un marché de niche dont AREVA ne détient à ce jour que moins de 10%... sauf si un défaut générique majeur de vieillissement accéléré, non décelé à ce jour, n'imposait de renouveler très rapidement un grand nombre des centrales en service. Mais alors il est clair que l'offre n'arriverait pas à suivre. D'où une catastrophe économique assurée en France. Et on continuerait de trouver "naturel" d'accorder à AREVA la double légitimité de déterminer la politique électrogène du pays et de fournir éventuellement au futur gouvernement son ministre de l'industrie, comme hier la COGEMA avait servi de tremplin à André Giraud vers les responsabilités ministérielles?! On peut parler de nucléocratie bananière (l'uranium provient en majeure proportion de la France-Afrique).

     L'éolien et le photovoltaïque:
     Faisant face à cette industrie nucléaire aux perspectives rétrécies, deux technologies dont les percées, respectivement présente et future, n'ont pas été anticipées par les prévisionnistes centraux attirent l'essentiel des investissements en dehors des secteurs électrogènes traditionnels (hydraulique et thermique classique avec ou sans cogénération de chaleur): l'éolien et le photovoltaïque.
     La croissance moyenne annuelle du parc éolien mondial s'est établie à 28% entre 1995 et 2006 (tendance à l'accélération avec +32% en 2006). La puissance installée totale fin 2006 se montait à environ 75 GWé (4), assurant une production estimée à environ 170 TWh. Pour la seule année 2006, les investissements éoliens se sont montés à 15 Md € dont 7,6 Md € en Europe et 2,5 Md € aux USA. 
     Or, si la technologie est mature, elle possède un potentiel de performance dont les plus récentes installations donnent une évaluation par défaut. La dernière née des grandes éoliennes de première génération (tripales à axe de rotation horizontal, montée sur pylône), la Repower de 5MWé mise en service fin 2004 affiche une productivité de 17 GWh/an, de 50% supérieure à celles des éoliennes antérieures grâce à une plage des vitesses de vent exploitables élargie (5). Une deuxième génération d'éoliennes potentiellement beaucoup moins chères est en cours d'expérimentation en Italie; il s'agit de machines à axe vertical de type noria, avec comme moteur des ailes de traction pilotées par des contrôleurs électroniques embarqués, qui vont chercher le vent en altitude et suppriment donc toute infrastructure fixe de grande hauteur.
     L'industrie éolienne américaine affichait un coût de production de 0,05 $/kWh en 2001 et prévoit que les progrès techniques en cours permettront d'abaisser cette valeur à 0,03 $/kWh en 2020. Aucune technologie, ni thermique classique, ni nucléaire, ne peut fournir à si faible prix de revient. Là se trouve la source principale de la confiance des investisseurs.
     L'investissement photovoltaïque paraît prohibitif, 7.000 $/kW. Pourtant l'industrie privée investit massivement, en Allemagne, au Japon, aux USA etc, dans la construction d'usines de production de panneaux. Certes elle profite en partie de l'effet d'aubaine lié aux aides à l'installation et l'exploitation de capteurs et au développement des usages en site isolé. Ainsi la puissance installée en Allemagne est passée de 54 MW en 1998 à 388 MW en 2003 et continue de croître à un rythme accéléré.

p.23


     Qui pourrait s'offusquer que l'introduction de technologies utiles, non polluantes et ne présentant pas de risque industriel, soient favorisées transitoirement pas la puissance publique? Les critiques sur ce point émises par les partisans de la poursuite du nucléaire se retournent facilement. En effet, même si l'on passe au compte des pertes et profits les incroyables budgets de R & D octroyés à fonds perdus aux agences nucléaires et à l'industrie pour développer les technologies des réacteurs et du combustible nucléaire, ainsi que les scandaleux passe-droit tant financiers que réglementaires lorsqu'il s'est agi d'imposer les programmes (emprunts à taux ultra-réduits garantis par l'État, absence d'obligation d'assurance à hauteur des risques, interdictions de technologies concurrentes de l'électricité dans les usages non spécifiques etc.), le fait que le démantèlement des centrales ne soit pas provisionné (6), qu'il en soit de même pour la gestion future des déchets de la production actuelle (en partie par méconnaissance des coûts), que la maintenance la plus problématique (celle qui conduit à prendre des doses de radioactivité), laquelle concerne environ 7% du prix du kWh, soit soustraitée afin de ne pas avoir à payer des agents EDF qui attendraient avant de reprendre le travail que leur quota réglementaire d'irradiation redevienne positif etc., montrent que l'industrie électronucléaire nationale est loin d'assumer la charge pleine et entière de ses coûts et des risques et charges présents et futurs qu'elle impose à une part de ses employés et au public. Un bilan comparé reste à établir...
     Les perspectives d'amélioration techniques des cellules photovoltaïque sont telles que l'on prévoit qu'elles seront le moyen le plus économique de production d'électricité à l'horizon 2030.

     Rectification de quelques mythes associés à l'électronucléaire en France
     Ne retenons ici que les plus communément invoqués à l'appui de la construction de l'EPR.
     Le premier concerne l'indépendance énergétique. Elle est calculée en énergie primaire, ce qui revient à considérer que, concernant la production d'électricité, moins bon est le rendement de production avec une ressource nationale, plus celle-ci mérite d'être exploitée pour contribuer à l'accroissement du susdit indicateur. Ainsi le programme nucléaire aurait permis d'amener de 25% à 50% le taux d'indépendance énergétique de la France entre 1973 et aujourd'hui. Le raisonnement est doublement fallacieux: l'uranium fissionné dans les réacteurs d'EDF étant depuis longtemps intégralement importé, le taux d'indépendance énergétique primaire du pays est de fait tombé à 6,5% environ, la contribution de l'hydroélectricité et des énergies renouvelables à ce bilan.
     A cette objection sur l'origine de l'uranium il est opposé que la plus grande part de la valeur ajoutée de la production électrique étant effectuée sur le territoire national, on peut considérer que cet uranium importé est une ressource nationale. Il se trouve que, grosso modo, la part du pétrole brut importé dans le coût kilométrique de l'utilisation d'un véhicule automobile est la même que celle du yellow cake, la forme sous laquelle l'uranium naturel est livré, dans le prix de vente moyen du kWh nucléaire. Donc, tout le pétrole utilisé par les voitures made in France roulant sur le territoire national devrait être ipso facto nationalisé et venir améliorer le taux d'indépendance énergétique français. Et il faut étendre la méthode à toutes les activités économiques. Force est d'admettre que le recours au nucléaire et l'accroissement concomitant des usages thermiques de l'électricité ont accru la dépendance énergétique physique du pays.

suite:
     Le second concerne le prix du kWh distribué par EDF. Il serait l'un des moins chers d'Europe, sinon du monde. Restons en Europe, celle des 25. L'édition 2006 du Mémento sur l'énergie publié par le CEA réfute ce mythe.
     Le monopole public apparaît au 15ème rang pour le prix de revient hors taxe du kWh basse tension (appelé domestique), juste au dessus de la moyenne (8) des 25 (0,0905 € contre 0,0903 €) et au 9ème pour le prix hors taxe du kWh industriel, en dessous de la moyenne des 25 (0,0533 € contre 0,062 €). Ainsi le Danemark qui produit toute son électricité avec des éoliennes et des centrales thermiques classiques a un coût de production basse tension, 0,096 €/kWh, à peine supérieur à celui d'EDF; idem pour l'Autriche avec 0,094 €/kWh, pour ne considérer que des pays ayant un développement économique équivalent au nôtre. 
     Le troisième concerne l'urgence de préparer le pays à un accroissement de la demande d'électricité pour ne pas pénaliser l'économie.
     Cet argument ne résiste pas un instant à l'examen des chiffres concernant l'utilisation des équipements et la répartition de la production.
     En premier lieu le parc est tellement surdimensionné que malgré un solde import-export d'électricité positif de 11%, quasi intégralement réalisé avec la production nucléaire dont il représente 14%, et en dépit d'un forcing d'Etat pour rendre les secteurs résidentiel et tertiaire captifs de l'électricité le taux de charge annuel des centrales est l'un des plus bas des pays développés équivalents: 7 TWh/GW contre 8,4 aux USA, 8,1 en Corée et 7,8 en Allemagne.
     Ce suréquipement nucléaire a engendré un suréquipement hydraulique car la médiocre souplesse des réacteurs impose de réguler en réduisant la productivité du reste du parc. Ainsi le taux de charge des usines hydroélectriques françaises n'est que de 2,56 TWh/GW contre 4,9 en Chine ou au Canada et 3,6 en Russie.[9]
     Enfin, les choix successifs de l'hydroélectricité et du nucléaire, imposant des sites de production généralement éloignés des zones de consommation et, avec le nucléaire, une autoconsommation élevée et en partie fixe (les énormes pompes de refroidissement du circuit primaire lors du maintien des arrêts à chaud), confère au réseau français l'un des taux de perte et autoconsommation les plus élevés d'Europe: 16% contre 14% en Allemagne et 11,4% au Danemark.

     Quelques données sur les évolutions 1998-2003 en France, Allemagne et au Danemark
     La période considérée est celle de la grande expansion des programmes éoliens dans ces deux pays. On regardera aussi l'évolution de la balance électrique du Danemark en 2004 et 2005 en réponse à l'accroissement de la production éolienne. Durant cette même période 1998-2003, le Danemark et l'Allemagne ont notablement accru l'exploitation des autres énergies renouvelables (déchets de la biomasse, solaire thermique, solaire photovoltaïque etc.) et poursuivi une politique sérieuse de maîtrise de l'énergie.
     Les variations de la part des énergies renouvelables et de la consommation des transports pour la période 1992-2003 sont données, manifestant les tendances à plus long terme.

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     Le tableau 4 résume les évolutions significatives dans les trois pays:
variation des productions et consommations d'énergie (source Eurostat)
France
1998     2003
Allemagne
1998     2003
Danemark
2998     2003
évolution de la production des énergies renouvelables 1992-2003
-7%
+97%
+85%
consommation dans les transports 1992-2003
+20%
+1,4%
+18%
part des renouvelables dans la production d'électricité
19,4%     18,6%
6,4%     16,5%
13,4%     28,4%
consommation primaire per capita
+3,94%
-0,57%
-3,01%
consommation d'électricité per capita
+10,11%
(+17% en BT)
+3,73%
-6,85%
surface de capteurs solaires thermiques installés (m2) 100.000 2.942.000 68.000
investissement dans les énergies non stockables (solaire, éolien)
0,32 M€
16,2 M€
2,79 M€
     Ces chiffres appellent quelques commentaires. La France produit 78,5% de son électricité avec le nucléaire, l'Allemagne 27,5% (et a décidé d'en sortir progressivement) et le Danemark 0%. On a donc, dans des pays au développement socio-économique assez comparable trois politiques électrogènes bien différenciées.
     Les lignes 2, 4 et 5 traduisent la volonté politique de maîtrise de l'énergie. En Allemagne, malgré la mise à niveau imposée par la réunification, les hausses de consommation sont contenues, notamment dans les transports et plus globalement par le système énergétique allemand qui a beaucoup investi dans les renouvelables, la cogénération et la maîtrise de l'énergie dans tous les secteurs de consommation. La percée de l'éolien accompagne le recul programmé du nucléaire et, au delà, contient l'accroissement de la production d'origine thermique classique et/ou en cogénération. Au Danemark les indicateurs sont encore meilleurs qu'en Allemagne, avec notamment des baisses significatives des consommations d'énergie primaire et d'électricité, sauf dans les transports où la situation souffre des taxes d'importation très élevées qui freinent la modernisation du parc automobile. La France va à rebours de l'histoire, réduisant la part des renouvelables et accroissant toutes les consommations. Il est clair que de puissants freins institutionnels et politiques y sont à l'oeuvre.
suite:
     Le cas danois mérite un examen plus détaillé, tant l'ignorance à son sujet encourage le colportage d'idées fausses péjoratives. La grande vague d'investissement dans l'éolien a mis le système électrogène danois dans une situation de surcapacité l'amenant à exporter 19% de sa production en 2003. Durant les années 2004 et 2005, les électriciens ont réduit la production des centrales à charbon et de cogénération pour ramener le solde import-export à l'équilibre. Il faut remarquer que la structure du système électrogène danois est assez optimisée: le parc éolien produisant deux fois plus en hiver qu'en été, les centrales de cogénérations sont plutôt sollicitées en hiver pour la production de chaleur et plutôt pour celle d'électricité en été. La répartition diffuse des installations sur tout le territoire réduit le transport et donc les pertes en ligne. Le Danemark n'a aucune ressource hydraulique, contrairement à l'Allemagne et à la France, mais c'est le pays où la proportion d'électricité d'origine renouvelable est la plus élevée (mis à part les cas de la Suède et de la Norvège, véritables châteaux d'eau).
     On a beaucoup glosé sur une tempête qui avait contraint les électriciens danois à importer durant quelques heures du courant, essentiellement hydraulique, de Suède. Que dire alors des quantités de courant qu'EDF doit importer en période de canicule quand le refroidissement des centrales atomiques n'est plus possible? Par ailleurs l'extension de la plage de fonctionnement des éoliennes va réduire encore le risque de mise en drapeau des hélices: les nouvelles installations coupent à 120 km/h contre 90 km/h avec les précédentes.

     Que faire en France?
     Faisons abstraction du risque de catastrophe atomique, sinon de défaillance générique des installations électronucléaires. On l'évoquera en annexe pour en montrer la réalité menaçante indéfinie.
     Sur le strict plan économique la question de la production d'électricité appelle une discussion sérieuse considérant les deux versants du problème: production et consommation.
     Les chiffres émaillant cette courte note sont irréfutables: la France est en grande surcapacité électrogène malgré une politique de consommation d'énergie et d'électricité en particulier pire que laxiste, incitatrice. Toute politique raisonnable, soucieuse de réduire les risques d'accident et d'accumulation de déchets radioactifs doit partir de ce constat. On peut et on doit limiter la production d'électricité dans un cadre global incluant une limitation des usages non spécifiques (tous les usages thermiques basse température), un arrêt des exportations de courant (aux clients de régler chez eux la question de l'équilibre moyen entre production et consommation comme le font avec constance les Allemands et les Danois), la fermeture des installations les moins sûres de par leur état ou leur implantation géographique.
     Construire un EPR à Flamanville dans la situation présente est un pur gaspillage de ressources qui ne fera que retarder sinon reporter indéfiniment la nécessaire refonte de la stratégie énergétique du pays.
     En effet, on a vu que les seuls marchés électrogènes réellement porteurs (hors thermique classique) dans le monde sont, pour l'heure l'éolien, et, dans le futur très probablement le photovoltaïque. La question climatique ne sera à l'évidence pas résolue avec le peu de nucléaire qui sera réalisé à grand frais pour satisfaire les puissants lobbies qui y poussent. C'est le charbon qui sera sollicité avec capture et séquestration du CO2. Le récent colloque organisé le 8 mars dernier au Havre par le CIDD a montré que les industriels ont plusieurs solutions pour la capture, la question de la séquestration étant déjà maîtrisée en vraie grandeur depuis plus de 10 ans. Car les énergies non stockables comme l'éolien et le solaire photovoltaïque ne sauraient, sauf à grands frais, satisfaire toute la demande.

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     L'exemple danois montre qu'on peut certainement introduire 30% d'éolien en moyenne annuelle dans le réseau. Comme le soleil brille plus en été, et l'éolien produit plus en hiver, le couple photovoltaïque-éolien a quelque chose d'assez optimal pour accroître la part d'électricité non stockable injectée dans le réseau, sans doute une bonne moitié voire plus encore si on se dote d'unités d'intervention rapides de grande puissance (cf. les turbines à gaz alimentées par de l'air comprimé stocké dans des cavernes de sel en service en Allemagne et aux USA depuis près de 20 ans ou des batteries d'accumulateurs à circulation de fluide expérimentées en Australie; on peut même songer à utiliser les barrages de haute chute disponibles en France (voir aussi un projet en Bretagne) conçus pour soulager le nucléaire des appels de pointe et combler les étiages de consommation - voir aussi un autre projet en Espagne).
     Ou bien les politiques français conservent leur habitude de céder sans discussion aux diktat en du Corps des Mines, d'AREVA et, dans une moindre mesure, d'EDF, ou bien ils décident de sortir le pays de son "splendide isolement atomique" pour prendre part à l'aventure et au festin des énergies renouvelables. Le marché est colossal, à commencer par celui des centrales électriques, le plus facile à développer en masse. Les industries aéronautique et électrique françaises disposent de tous les atouts pour s'y tailler une part appréciable. Mais il ne faudrait pas trop tarder. En effet, concernant le seul secteur éolien, notre pays pointe au 13ème rang mondial derrière l'Autriche, le Portugal, l'Inde, la Chine; l'Allemagne, l'Espagne, les USA et le Danemark caracolant loin devant. Aucune centrale à charbon propre n'a encore été programmée chez nous alors qu'il s'en construit au Japon, en Allemagne, aux USA et en Grande-Bretagne. La politique de la maîtrise de l'énergie est tissée de faux semblants, l'exemple du parc immobilier de l'État en faisant foi.
     Un examen plus poussé des différentes ressources renouvelables montre qu'il existe un fort potentiel électrogène presque totalement inexploité en France du côté des déchets (méthanisation, combustion des résidus forestiers et agricoles). 
     Côté chauffage domestique, la régression continue des usages du bois depuis 1992 peut être stoppée et inversée par la modernisation des foyers et des inserts pour utiliser des granulés en lieu et place de bûches. Mais il faudrait cesser de donner des branchements électriques de puissance et trouver un système d'incitation pour l'investissement bois. La coordination entre offre et demande est ici essentielle, au niveau subdépartemental car on ne va pas transporter ce combustible sur de grandes distances. 
     La production d'agrofuels (bio-carburants) devrait être limitée aux usages agricoles (pour qui le carburant est détaxé) car leur généralisation conduit à un coût pour la collectivité entre 100 et 300 € la tonne de CO2 évitée (en fonction des techniques retenues et des cours du brut), parfait exemple d'une très mauvaise allocation de ressources, donc qui produit un résultat en réalité contraire au but poursuivi.[10]

Conclusion
     Cette courte note se voulait surtout montrer que la demande d'un moratoire de la construction d'un EPR à Flamanville est tout-à-fait justifiée et que c'est une exigence rationnelle en regard de la réalité des problèmes et de la situation énergétique du pays ainsi que des perspectives énergétiques mondiales. Mais il est clair que cette décision ne prend sens qu'insérée dans une révision de la stratégie énergétique du pays qui l'engagerait dans le mouvement mondial. L'auteur est ouvert à toute discussion pour préciser ce qu'il y aurait de trop implicite dans son exposé.

ANNEXE : de l'accident nucléaire majeur.
     L'accident de Tchernobyl a marqué les esprits. Beaucoup voudraient en nier les enseignements et s'appuient sur deux types d'arguments qu'il convient de tailler en pièces.
     Le premier est d'ordre technique: un accident conduisant à des conséquences de cet ordre serait impossible sur les installations à eau-légère déployées en Occident, car elles disposent d'une enceinte de confinement et ont apporté la preuve de leur sûreté.
     Le second volet de ce premier argumentaire est le plus simple à réfuter. En effet, la filière RBMK de Tchernobyl a été la première utilisée pour produire de l'électricité nucléaire (depuis 1954, à Obninsk). Jusqu'à la catastrophe d'avril 1986 elle était considérée comme l'une des plus sûres (cf. bulletin AIEA de février 1982), plus sûres même que les centrales à eau légère selon un responsable de l'US NRC à cette époque car exempte du risque de perte totale de refroidissement.

suite:
     Il a donc fallu attendre 32 ans d'exploitation avant qu'elle soit le siège de l'incontrôlable atomique. Qui oserait parier que les autres filières échapperont toujours à tous les enchaînements pouvant produire des effets semblables?
     La question de l'enceinte de confinement est mal comprise. En effet, les dispositifs passifs de sécurité sont conçus pour parer aux conséquences de l'accident de référence. En l'occurrence il s'agit toujours de la perte de refroidissement; au delà on est démuni. Lorsque le réacteur est une cuve massive, l'une des causes possibles de la perte de refroidissement est la rupture du circuit primaire. L'enceinte de confinement est alors nécessaire pour éviter des rejets radioactifs importants dans l'environnement et pour recycler l'eau de refroidissement injectée par les systèmes de secours. Dans le cas des réacteurs à tubes de force comme les RBMK ou les graphite-gaz, la perte massive de refroidissement est impossible (hors bombardement). L'accident de référence est la rupture d'un des tubes de la chaudière nucléaire, à laquelle on fait face en fermant les deux vannes placées à ses extrémités et en mettant en oeuvre une circulation de secours indépendante. Une enceinte de confinement est donc inutile. Elle serait même gênante en ce sens que la vapeur s'échappant du tube de force endommagé pourrait nuire au fonctionnement du reste de l'installation.
     Par ailleurs des scénarios techniques conduisant à des accidents majeurs sur des réacteurs à eau légère ont été décrits. Aux USA un ouvrage auquel ont collaboré des physiciens et des ingénieurs du secteur nucléaire a été publié juste avant Tchernobyl. Il concernait une centrale BWR victime d'un accident en tous points semblable dans son déroulement et ses conséquences. Les calculs montraient que l'enceinte de confinement était pulvérisée par la violence des explosions et que, comme à Tchernobyl, du combustible atomique était projeté à grande distance sous toutes formes (gros morceaux, poussières, aérosols, gaz etc). J'ai personnellement élaboré le scénario de Tchernobyl-sur-Seine (Calmann-Lévy 1987) en considérant le talon d'Achille de la filière PWR: ses grosses tubulures de vapeur qui sortent du bâtiment réacteur vers celui du turboalternateur. A l'époque cet accident n'avait pas été prévu dans les fiches de sûreté à disposition des opérateurs. Il a donné lieu depuis à des modélisations et, avec certaines hypothèses restrictives supposant le bon état des générateurs de vapeur, il est apparu qu'il pouvait être maîtrisé de justesse avec les dispositifs de secours existant. Si les générateurs de vapeur sont trop fissurés (défaut générique), alors il y a fusion du coeur et rejet massif de radioéléments dans l'environnement, au moins.
     Le second type d'argument porte sur l'appréciation des conséquences de Tchernobyl. Il se trouve qu'un accord signé en 1959 et ratifié par l'AG de l'ONU lie l'OMS et l'AIEA pour tout ce qui concerne les applications du nucléaire civil. Il est notamment impossible à l'OMS d'investiguer et de publier indépendamment de l'accord de l'AIEA. C'est pourquoi une explosion qui a entraîné la dispersion dans l'environnement d'autant de radioactivité qu'un millier d'explosions atomiques n'aurait tué qu'une cinquantaine de personnes, limité les dommages aux habitants de la région à 1.800 cancers de la thyroïde, le reste étant chimérique à mettre sur le compte de la radiophobie.
     Si cela est vrai, alors oui, point besoin de se prémunir contre les accidents nucléaires et on pourrait faire d'importantes économies en réduisant le niveau de sûreté des installations. Si cela est vrai... Car comment imaginer que les hommes envoyés sur le toit de la centrale dégager sans protection particulière les débris et autres morceaux de combustible et de graphite à la place des robots dont les circuits électroniques étaient rapidement tombés en panne, grillés par les radiations, sont tous sortis indemnes de l'aventure? Comment imaginer que les équipes suivantes chargées de creuser un tunnel sous le réacteur fondu pour refroidir le terrain et éviter le syndrome chinois et une explosion de criticité s'en soient sortis vivants? Comment penser un instant que les centaines de milliers de personnes qui se sont succédées pour décontaminer le site de la centrale, construire le sarcophage au dessus d'un réacteur éventré irradiant un maximum et permettre ainsi le redémarrage des autres blocs, sont rentrés chez eux ensuite en bonne santé. C'est cette légende que les rapports onusiens co-signés par l'OMS et l'AIEA ont fait gober au monde entier. Le responsable ukrainien, un académicien nucléaire de Kiev, d'une des équipes chargées de la construction du sarcophage m'a montré début 1990 un bordereau datés de fin 1987 concernant les 1.500 personnes placées sous ses ordres. Plus de 80 étaient déjà décédées. Aujourd'hui les seules associations ukrainiennes de liquidateurs font état de 25.000 morts (10%) et d'un taux de malades chez les survivants dépassant 90%. On estime que 800.000 liquidateurs ont travaillé à Tchernobyl.
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     Mais il faut aussi regarder l'évolution de l'état sanitaire des populations maintenues dans les zones des retombées. Dès 1989 les atteintes à la santé des enfants étaient évidentes, dont certaines tout-à-fait inattendues si l'on se fie au modèle effet-dose déduit des expériences d'Hiroshima et Nagasaki. La contamination chronique par le radiocesium présent dans la nourriture provoque une accumulation de pathologies dont les mécanismes ont été mis en évidence par le Pr Youri Bandazhevsky à partir de 1996. Ce radioélément va se concentrer là où l'activité biologique est la plus intense (coeur, muscles des yeux, thyroïde, pancréas, foie, cerveau etc.). Les enfants sont les plus vulnérables car leur organisme est en cours de construction et produit une activité plus intense que celui des adultes. De là un vieillissement accéléré accompagné de pathologies des troisième et quatrième âges: cataracte, diabète, maladies cardio-vasculaires, dysfonctionnement cérébral, troubles endocriniens, maladies infectieuses etc., pouvant provoquer la mort avant l'adolescence des plus fragiles et des plus exposés. Pour ce travail YB mérite d'être proposé au prix Nobel, tant ses résultats sont capitaux pour l'avenir de la santé de l'humanité. Il a eu droit à un long emprisonnement. Emprisonnement justifié politiquement car l'homme révélait au monde que les demandes d'évacuation formulées par les médecins locaux et les habitants étaient fondées, contre les recommandations de l'OMS et des agences de radioprotection; justifié économiquement car ses recherches remettent en cause toutes les normes de radioprotection à adopter dans ce genre de situation et donc forcent à l'évacuation de quelques deux millions de personnes, rien qu'en Biélorussie. La contamination s'étend par diffusion, touchant année après année de nouvelles populations.
     Certes on conçoit que les gouvernements de Russie et de Biélorussie trouvent intérêt à ce que les conséquences humaines de la catastrophe restent occultées. L'AIEA et les agences nucléaires également. Cela ne veut pas dire que rien n'ait été fait pour les mitiger. Marie Hélène Labbé, une experte de ces questions, professeur à Science Po, a publié les chiffres du poids qu'a représenté l'accident de Tchernobyl dans les budgets de l'Ukraine et de la Biélorussie depuis le 26 avril 1986.[11]
     Selon les sources gouvernementales des trois Etats les plus touchés (Biélorussie, Russie et Ukraine) les dépenses se monteraient à 500 Md $, somme non actualisée au cours de 1990. Ce chiffre ne prend son sens réel que rapporté aux budgets respectifs des deux États, Biélorussie et Ukraine:
     - encore 22% du budget biélorusse en 1991 et 6% aujourd'hui (alors que des millions de personnes contaminées chroniquement restent sans suivi médical et sans prophylaxie) ;
     - encore 25% du budget ukrainien en 1991 et 3,4% aujourd'hui ;
     - les chiffres russes n'ont pas été publiés bien que l'oblat de Briansk ait été aussi sévèrement contaminé que les régions les plus touchées de la Biélorussie.
     Un accident de cette ampleur en Europe occidentale où la densité de population est forte et où, tant la richesse accumulée que les niveaux de production et les coûts salariaux sont incomparablement plus élevés, engendrerait des pertes beaucoup plus importantes. On peut se faire une idée des pertes économiques provoquées par une catastrophe équivalente survenant au coeur de l'Europe occidentale et concernant un ensemble d'États peuplé de 200 millions d'habitants en appliquant les ratios conservatifs par défaut de 25% pour les cinq premières années et de 7% pour les 15 années suivantes des parts des budgets nationaux à consacrer à la liquidation des conséquences. L'addition des budgets de ces états tourne autour de 1.000 Md $ (péréquation à partir du budget français 2005). On trouve alors une perte cumulée sur 20 ans de 2.300 Md $.
     Ce chiffre est évidemment sous évalué. En effet, on sait que les moyens budgétaires des trois républiques n'ont pas permis de prendre toutes les mesures de sauvegarde nécessaires (destruction des récoltes contaminées, relogement des populations exposées, diagnostics en continu et prophylaxie). On sait aussi que dans ces trois pays les doléances des citoyens trouvent quelques difficultés à être prises en considération. Par ailleurs la couverture médicale héritée du communisme s'est délitée; et la part de la Russie n'est pas connue. Enfin, les pays d'Europe étant beaucoup plus insérés dans l'économie mondiale, s'ajouteraient des pertes commerciales proprement incommensurables. Il n'est donc pas irréaliste d'envisager un coût très au delà des 4.000 Md $ plutôt que proche des 2.300 Md $ obtenus par une péréquation simpliste. L'Europe se trouverait brusquement plongée dans une économie de guerre. Aucune autre technique énergétique ne fait courir ce genre de risque global instantané.
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Notes
1. Le programme Atom for Peace lancé sous le présidence d'Eisenhower comportait un dumping sur le service d'enrichissement (les USA disposaient alors du monopole de l'enrichissement à l'Ouest). Lorsque cette mesure prit fin, les commandes de centrales nucléaires cessèrent aux USA et de nombreuses annulations de construction furent décidées. Néanmoins la stratégie avait en grande partie atteint son objectif: imposer dans le monde entier les filières PWR et BWR, difficilement proliférantes, mises au point pour la propulsion des navires et des sous-marins, et doter les USA du premier parc de centrales nucléaires du monde, place qu'il occupe encore aujourd'hui malgré un certain déclin en valeur absolue.
On connaît la manière dont le nucléaire a été imposé en France, hors de tout contrôle du marché de l'énergie.
2. L'écart entre la part du nucléaire dans les productions finales d'énergie en la France et le monde est passé de 0,52% en 1973 à 13,17% en 2003 
3. Le coût d'investissement dans l'éolien est de 1.000 €/kW. La production dépend de la plage opérationnelle en fonction de la vitesse du vent et de la rose des vents du lieu d'implantation. Si le Danemark est relativement privilégié, l'Allemagne l'est moins. La France jouit du plus beau gisement éolien d'Europe après la Grande-Bretagne.
4. C'est à peu de chose près la puissance installée en France.
5. La bataille boursière pour acquérir Repower, à laquelle participe AREVA contre l'indien SULZON, prouve que le marché est attractif et ce constructeur particulièrement séduisant (mais il semble qu'AREVA hésite à mener la lutte jusqu'au bout, remarque du 11/04/2007). On peut accessoirement noter que la productivité de cette machine est supérieure à la moyenne des centrales hydrauliques françaises...
6. Le CEA a annoncé en 2006 que le démantèlement des "petites" installations, réacteurs et usines du combustible, de Marcoule coûterait 6 Md € prendrait 30 ans et générerait 140.000 m3 de déchets radioactifs. Un coût prévisionnel égal à deux EPR pour un atelier de retraitement de combustibles faiblement irradiés (militaires) et 4 réacteurs dont la puissance thermique totale n'atteint pas 1/5 de celle d'un  EPR...
7. moyenne des tarifs et non pas moyenne pondérée au prorata des productions selon la méthode retenue par le CEA.
8. Pour contrer la baisse tendancielle des consommations industrielles, non prévues lors du dimensionnement du programme, EDF a inversé la structure de ses tarifs, abaissant le tarif industriel et augmentant le domestique plus aisément rendu captif. Politique sociale de "Service Public" s'il en est!
9. Ce taux est nettement inférieur à celui des grandes éoliennes modernes!!!
10. L'Allemagne l'a bien compris: devenue en deux ans le principal producteur mondial d'agrofuels, elle vient d'annuler leur défiscalisation et de donner ainsi au marché la condition indispensable pour réguler l'emballement du système. Parfait exemple d'un contrôle politique responsable et courageux. On aimerait que les gouvernants français soient capables d'une telle démarche face aux innombrables "avantages acquis" qui entravent la modernisation et d'adaptabilté socio-économique de notre pays!
11 Voir: Marie-Hélène Labbé, Le grand retour du nucléaire, Editions Frison-Roche 2006, pp.146-148
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