La G@zette Nucléaire sur le Net!  
N°145/146
L'état de l'environnement dans la Hague

Bilan 1994 de l'activité de l'ACRO
Mars 1995
Résumé
     Cette présentation publique a pour objet de faire le point sur l'état de l'environnement autour des sites de retraitement et de stockage: d'abord, à la lumière des résultats accumulés par l'ACRO depuis 14 mois, puis à travers quelques exemples illustrant la politique d'information des exploitants.
I - Bilan d'activité de l'ACRO
     Depuis plus d'un an, l'ACRO a fortement accru sa surveillance sur le plateau de la HAGUE.
     Le bilan des mesures de radioactiyité gamma effectuées en 1994 soulignent un état de contamination en Césium 137 mais aussi en Cobalt 60, toujours aussi préoccupant du ruisseau de la Ste Hélène. En certains points, ces valeurs atteignent ou dépassent nettement les 1.000 Bq/kg de sédiments ce qui représente plus de 100 fois le «bruit de fond radioactif artificiel» (lié aux retombées des essais nucléaires et de Tchernobyl). Si, pour les rivières plus «propres», l'ACRO est en phase avec les autres laboratoires, ceux-ci obtiennent des valeurs de Césium généralement 10 fois plus faibles dans la Ste Hélène. La radioactivité est aussi observée, avec un fort transfert, dans des mousses aquatiques qui traduisent ainsi la contamination de l'eau.
     Il est vraisemblable que l'explication de la COGEMA sur l'origine de cette pollution (une ancienne canalisation oubliée dans la double clôture) soit bien insuffisante.
     L'ACRO a aussi élargi son domaine d'investigation en développant des mesures de Tritium, un émetteur béta pur. Les ruisseaux de la Ste Hélène et du Grand Bel sont constamment contaminés en Tritium avec des valeurs fluctuantes autour de 400 Bq/l pour la Ste Hélène et des valeurs plus stables, autour de 600 Bq/l, pour le Grand Bel.
     En regard de ces chiffres, il est à noter que la teneur habituelle des eaux de surface en Tritium est inférieure à 1 Bq/l (principalement due aux retombées des essais nucléaires). Compte tenu de ces données, nous pouvons estimer que ces deux exutoires (Ste Hélène et Grand Bel) charrient, en un an, de l'ordre de 500 milliards de Bq de Tritium (10 à 20 Ci) vers l'Anse St Martin. Ces activités, de même que celles de la radioactivité gamma évoquée auparavant, représentent une situation parfaitement inadmissible, d'une part, parce que les exploitants nucléaires n'ont jamais eu d'autorisation de rejets dans ce domaine publique et, d'autre part, parce que cette eau peut être utilisée à des fins domestiques, d'arrosage ou d'alimentation des animaux.
     Les investigations menées par l'ACRO ces derniers mois révèlent un état des lieux plus grave que nous l'imaginions. Des points d'eau chez des particuliers sont également contaminés: une source (c'est celle du Grand Bel), qui se trouve au milieu d'un hameau, présente des teneurs entre 700 et 800 Bq/l en Tritium. Une résurgence, sortant de sous un bâtiment, conduit aux valeurs les plus élevées mesurées par l'ACRO, jusqu'à 1.500 Bq/1 de Tritium à la mi-janvier. Compte tenu de l'influence des précipitations on peut à juste titre s'interroger sur les niveaux d'activité qui devaient exister, à ce point, durant l'été... Un abreuvoir dans un champ montre une activité variant entre 150 et 350 Bq/1. Enfin un puits et un lavoir contigu (dont les eaux d'écoulement iront se deverser dans la Ste Hélène située en contrebas), dans lesquels des animaux de la ferme s'alimentent, apparaissent tous deux clairement contaminés avec un maximum à plus de 500 Bq/1 au début d'octobre!
suite:
     Prétendre, comme le font les exploitants, que la contamination des rivières n'a aucune incidence sanitaire car «elle n'apparaît pas dans l'eau du robinet» relève, au mieux, d'un besoin systématique de minimiser une situation franchement dégradée ou, au pire, d'une volonté de désinformation.

II - La politique d'information
     Dans le domaine du nucléaire, la «transparence» a encore beaucoup de chemin à faire pour gagner le pays de Prévert. L'ACRO considère que la politique d'information menée par les exploitants va en sens inverse des discours professés depuis la fin des aunées 80. Plusieurs exemples peuvent étayer nos propos.
     Seul un accident, ayant conduit à une fuite de 1.850.000 Gbq (50.000 Ci) de Tritium dans le sous-sol, qui aurait eu lieu en 1976, est reconnu par l'ANDRA. Cela ne peut expliquer, près de 20 ans après, les activités élevées de Césium révélées par l'ACRO, ni les activités alpha (américium, Plutonium...) mises en évidence par l'IPSN. Des documents confidentiels en notre possession attestent de l'existence d'un autre accident le 25 septembre 1980 où l'activité alpha, dans les eaux de drainages, a été multipliée par 10.000 et l'activité bêta (Césium 137) par 5.000. Les intempéries du moment et des incidents techniques ont conduit à des fuites qui pourraient expliquer en partie la situation actuelle. Mais combien d'autres «incidents» de ce type?
     Depuis sa création, jusqu'en mars 1986, la CSPI était informée de certaines mesures faites dans les nappes phréatiques sous les sites COGEMA et ANDRA. Brusquement en avril 86 cette information disparaît et depuis plus rien. Nous n'avons plus droit qu'aux piézomètres extérieurs. Et encore... Les résultats du piézo 702, sur la commune de Digulleville, disparaissent également à partir de janvier 88 (ils réapparaissent en avril 91 après demande insistante de la CSPI). Comme par hasard, parmi les points extérieurs au site, c'est celui qui non seulement est le plus contaminé, mais dont les teneurs en Tritium augmentent régulièrement depuis 87.
     Que s'est-il passé en France et en Nord-Cotentin en mars 86 qui justifierait ce brusque changement? A défaut de ne pouvoir taire les retombées de TCHERNOBYL en France, voulait-on éviter tout lien avec le nucléaire français en masquant les situations ou l'impact sur l'environnement est indéniable? Il est difficile de ne pas imaginer un choix délibéré quand on relève, dans les nappes souterraines, des teneurs en Tritium extrêmement élevées, jusqu'à plus de 400.000 Bq/1!, dépassant les limites sanitaires, elles-mêmes très élevées pour le Tritium (270.000 Bq/1).

p.14

     Les représentants de l'ACRO et de la CFDT, au sein de la CSPI, ne cessent de réclamer la publication de l'ensemble des résultats et notamment de ceux des piézomètres internes. En réponse, les exploitants observent le «motus et bouche cousue». Qu'y a-t-il à cacher? Si la situation, en particulier sous le CSM, s'améliore comme cela est régulièrement clamé, alors pourquoi ne pas le démontrer en publiant l'intégralité des données et pas seulement celles «qui arrangent»?
     L'impact de cette pollution de l'environnement apparaît dans un élément sensible: le lait. Même la contamination par le Strontium au nord-ouest du site COGEMA y transparaît mais, fort heureusement, à des niveaux très faibles. Par contre, les contaminations par le Tritium peuvent être plus marquantes. Le bulletin d'information grand public de la COGEMA présente de ce point de vue des données inexactes qui, étant donné leur nombre et le fait que ce sont toujours des valeurs plus faibles qui sont présentées, ne peuvent être considérées comme des «erreurs de frappe». Dès la premier bulletin, alors que COGEMA affiche une valeur maximale de 20 Bq/l, les relevés du SPR indiquent une valeur de 180 Bq/1!... Sur un plan sanitaire, trouver 180 Bq/1 de Tritium dans un ruisseau ou bien dans le lait des vaches n'a pas du tout la même signification. Une partie en effet se trouvera organifiée dans la caséine, le lactose et la graisse du lait. Deux mois plus tôt, cette même valeur maximale mensuelle de Tritium dans le lait était de 480Bq/1!
     L'ANDRA, pour sa part, vient également de publier un bulletin d'information. Malheureusement cette première version indique déjà une valeur tout à fait discutable et bien sûr, c'est la valeur la plus marquante de ce bulletin.
L'exploitant annonce une teneur maximale en tritium de 12.000 Bq/1 dans les eaux souterraines; selon nos informations, la réalité serait au moins 7 fois supérieure (87.000 Bq/1)!
     Cette situation ne peut plus durer; l'ACRO demande:
     - la publication de tous les résultats de mesure (y compris ceux des nappes souterraines sans restriction)
     - que soient lancées des études de faisabilité visant à proposer un éventuel protocole pour une décontamination active des zones polluées
     - que soit suspendue l'enquête publique concernant le CSM et qu'une commission d'enquête indépendante soit constituée afin de connaître l'état réel de ce site.
     Enfin notre laboratoire indépendant a fermement l'intention de maintenir sa surveillance et surtout de développer ses moyens d'investigation. Cela demande un soutien actif de l'opinion publique et des collectivités. Dans cette optique, l'ACRO, qui ne dispose d'aucun financement publique, lance une souscription durant l'année 1995.

ACRO, 18 rue Savorgnan de Brazza, 14000 CAEN.
Tél: 02.31.73.79.17

Lexique:
ACRO: Association pour le contrôle de la radioactivité dans l'Ouest
CSPI: Commission spéciale et Permanente d'Information près l'établissement de la HAGUE
IPSN: Institut de Protection et de Sûreté nucléaire
ANDRA: Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs
CSM: Centre de Stockage de la Manche (stockage de surface des déchets A)
COGEMA: Compagnie Générale de Matières nucléaires

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PARTIE A
     Depuis un peu plus d'un an, un nouveau plan de surveillance a été développé par l'ACRO autour des sites nucléaires de l'ANDRA et de la COGEMA. Il révèle un état de contamination de l'environnement toujours aussi préoccupant. De la part de tous les acteurs ayant des responsabilités en la matière, il semble exister une acceptation tacite de cette situation liée à un héritage qu'il faudrait assumer avec un fatalisme certain. L'ACRO refuse cette démarche de statu quo.

     Dès sa création, en 1987, l'ACRO s'est donnée pour mission d'effectuer une surveillance autour des sites nucléaires du Nord-Ouest, et tout particulièrement de ceux du Nord Cotentin. Depuis la fin 1987, nous avons procédé à des mesures (plus ou moins régulières) en spectrométrie gamma. Cette démarche nous a néanmoins conduits à mettre en évidence une pollution radioactive tout à fait anormale des sédiments d'un ruisseau, la Ste Hélène. Les n° 23 et 24 de l'ACROnique ont largement rendu compte de cette situation. Notre point de surveillance de la Ste Hélène a depuis disparu sous les pierres et le béton déversés par les exploitants au départ de ce cours d'eau.
     Bien que nous ne disposions toujours d'aucun financement, il nous a paru essentiel et urgent de développer un plan de surveillance de plus grande envergure, répondant à de nouveaux objectifs:

     - multiplier le nombre de points de prélèvement de sédiments,
     - élargir la surveillance à d'autres cours d'eau,
     - suivre également un ruisseau dit «de référence»,
     - étendre les prélèvements à des indicateurs végétaux (Platyhypnidium ripariödes) afin d'apprécier les phénomènes de transfert,
     - développer des mesures d'activité beta tout particulièrement pour la recherche du tritium[1],
     - enfin assurer un suivi régulier des points de prélèvement ainsi définis.

     C'est donc une toute nouvelle campagne de surveillance de l'ACRO qui a démarré à la fin décembre 93; nous vous en présentons aujourd'hui un premier bilan.

I - Résultats et commentaires des mesures en spectrométrie Gamma
     Ces analyses correspondent à une surveillance trimestrielle et portent sur des sédiments (Tableau n° 1) ainsi que sur des mousses aquatiques (Tableau n° 2) lorsque celles-ci sont présentés (ce qui n'est malheureusement pas très fréquent). Enfin des analyses diverses (Tableau n° 3) correspondant à des prélèvements ponctuels sont également rapportées.

p.15b

Tableau N°2
Radioactivité gamma artificielle (en Bq/kg sec)
dans les mousses (platyhypnidium riparoïdes) de la Ste Hélène):
date
lieu: Ste Hélène
radioéléments et activité
janvier 1994
ST12
Cs 137: 198 ± 42
avril 1994
ST12
(hors eau courante)
(dans eau courante)
(sur pierre immergée)
Cs 137: 37 ± 4
Co 60: 10,0 ± 2,2
Cs 137: 200 ± 26
Cs 137: 40 ± 9
octobre 1994
ST12
Cs 137: 58 ± 8
Co 60: 32,0 ± 5,5

Résultats ACRO
      · Dans la Ste Hélène: 100 fois le bruit de fond radioactif artificiel en Césium
     On note une faible contamination, inférieure ou de l'ordre de 10 Bq/kg, exclusivement en Césium 137 dans le ruisseau de référence (rivière du Moulin) ainsi que dans le Grand Bel. Il s'agit là, précisément pour ce radioélément en raison de sa période longue, d'une sorte de «bruit de fond» radioactif présent sur l'ensemble du territoire lié aux retombées des essais nucléaires et de l'accident de Tchemobyl.
     A l'opposé, la Ste Hélène apparaît fortement contaminée à des niveaux importants de l'ordre de 1.000 Bq/kg et plus (en certains points) c'est-à-dire environ 100 fois supérieurs au «bruit de fond» artificiel évoqué précédemment. En outre, plusieurs autres corps radioactifs normalement absents dans l'environnement naturel, tels le Césium 134 (de période pourtant beaucoup plus courte), le Cobalt 60 (presque toujours présent) et le Rhodium 106 (de manière plus épisodique), sont ici détectés (Tableau n° 1).

     Pour l'ensemble des valeurs où l'on trouve les deux isotopes
du Césium, le rapport Cs 137/Cs 134 est relativement constant, de l'ordre de 500, et permet (en raison du rapport des périodes) de dater ici des radioéléments issus du retraitement de combustibles usés anciens (supérieur à 17 ans). Les études radioécologiques menées par l'IPSN[2] (ACROnique n° 24) ont clairement suggéré que le C.S.M. (Centre de Stockage de la Manche) serait à l'origine de cette pollution. Nos résultats n'indiquent pas de phénomène de gradient décroissant des activités massiques entre les différents points respectivement situés à environ 300 m, 500 m et 700 m du site, ce qui permettrait d'étayer cette thèse. Néanmoins, il est bon de rappeler que notre précédent point de prélèvement situé à proximité immédiate du site (ST4, aujourd'hui enseveli sous le béton...) nous avait livré des valeurs comprises entre 2.000 et 3.000 Bq/kg de Césium 137 durant l'année 1991.
     Alors que le premier point (ST10) indique une chute très nette de la contamination (laquelle pourrait s'expliquer par les travaux engagés par l'exploitant, début 94, au départ du ruisseau) le point ST12, plus éloigné, présente globalement un niveau toujours élevé de concentration en Césium 137.
Figure N°1
Activité en césium 137 dans les sédiments de la Ste Hélène
p.16

     Cette pollution persistante a de quoi nous interroger. Rappelons en effet qu'en 91, l'ACRO avait alerté l'opinion et les responsables concernés sur cette situation et, après une première réaction insultante pour notre association, la COGEMA avait ensuite déployé une campagne d'investigation pour en déterminer la cause. En janvier 92, l'exploitant annonce avoir localisé le terme source qui correspondrait à une ancienne canalisation fortement contaminée et «oubliée» à l'intérieur de la double clôture. COGEMA s'est engagée à réparer en enlevant et confinant la terre souillée. Deux ans après, les radioéléments sont toujours les mêmes et à des niveaux qui n'apparaissent pas significativement différents (ils sont mêmes supérieurs, pour le point ST12, aux valeurs obtenues par l'IPSN à cet endroit avant 91). Cela demande explication.
     La surveillance par différents laboratoires est utile: une nouvelle fois, l'ACRO trouve des valeurs dix fois plus fortes.
     La Ste Hélène est également sous la haute surveillance d'autres laboratoires.
     Pour l'année 94 (de janv. à oct.), le SPR-COGEMA enregistre ses valeurs les plus marquantes au lieu dit «La Brasserie»: elles sont toutes comprises entre 50 et 80 Bq/kg de Cs 137. Il s'agit donc de valeurs 10 fois plus faibles que celles de l'ACRO au point ST12; la différence des lieux de prélèvement peut, à elle seule, expliquer ce décalage. Pour ce qui est du Grand Bel ou de la rivière du Moulin, nos valeurs sont en bonne concordance.
     Contrairement à l'ACRO et au SPR-COGEMA, le LDA 50 procède d'abord au tamisage des sédiments (250 mm), ce qui a logiquement pour effet de conduire à une expression plus forte des activités massiques. Ce laboratoire effectue aussi sa surveillance de la Ste Hélène à La Brasserie mais également au Pont Durand, soit à proximité de notre point ST12. Du Cobalt 60 est parfois noté (<5 Bq/kg) par le LDA 50 et le Césium 137 est observé avec des valeurs toutes voisines de 100 Bq/kg, le maximum (147 Bq/kg) est obtenu au Pont Durand. Il s'agit donc là encore de valeurs différentes de celles de l'ACRO, notamment pour cette dernière localisation.
suite:
     Ces différences importantes de résultats ne doivent pas conduire à mettre en cause les capacités de tel ou tel laboratoire. L'expérience de l'inter-comparaison entre les 3 laboratoires organisée par la Commission HAGUE (CSPI)[3] (ACROnique n° 23) a clairement démontré la très bonne corrélation entre tous dès lors qu'il s'agit d'un même point de prélèvement.
     Enfin, notons au passage que le SPR-COGEMA relève toujours la présence de Plutonium 239/240 et de Plutonium 238 dans la Ste Hélène avec un rapport Pu238 sur Pu239/240 en faveur du Pu238 ce qui conserve entière l'hypothèse (IPSN) selon laquelle «une source instable de Plutonium 238 serait relarguée à partir du C.S.M.» (ACRonique n° 24).
     · Les mousses le confirment: l'eau doit être contaminée en Césium et Cobalt.
     L'analyse des mousses aquatiques (Tableau n° 2) présentant des activités entre 58 et 200 Bq/kg de Césium 137 montrent un taux de transfert important dans du matériel biologique puisque ce radioélément est pratiquement indécelable dans l'eau filtrée. Il en est de même pour le Cobalt 60. L'expérience menée le même jour et sur les mêmes mousses (en avril) montre bien l'importance du temps de contact avec l'eau et souligne que cette eau est vraisemblablement contaminée (même si cela reste en dessous du seuil de détection des appareils).
     C'est là tout l'intérêt d'utiliser des indicateurs physico-chimiques (sédiments) et biologiques (mousses) pour la mise en évidence de contaminations radioactives.
     · Des points de contamination qui posent question.
     Parmi les mesures «diverses et ponctuelles» (Tableau n° 3), on observe essentiellement des faibles contaminations en Césium 137 relevant du «bruit de fond artificiel» à l'exception d'un lavoir sur Digulleville dont il faut souligner qu'il est alimenté par un puits et ne peut être influencé par la Ste Hélène. Se pose donc la question de l'origine de cette contamination. L'hypothèse d'une contamination de la nappe phréatique à des niveaux très faibles mais que les sédiments du lavoir vont piéger et donc concentrer peut être valablement posée.
p.17
Tableau N°3
Radioactivité gamma artificielle dans les prélèvements divers autour du site de la Hague:
date
nature prélèvement
lieu
activité
août 1994
sédiments
fontaine la Girarderie
Cs 137: 3,6 ± 0,7
id.
eau filtrée
id.
P.C.D.
octobre 1994
sédiments (fange)
ruisseau (Calais)
Cs 137: 17,0 ± 1,9
id.
id.
id.
Cs 137: 15,6 ± 1,7
id.
platyhypnidium ripar.
id.
P.C.D.
id.
fougères séchées
champs (Calais)
P.C.D.
octobre
sédiments
lavoir fermé DIGULL.
Cs 137: 37,1 ± 4,1
id.
id.
puits fermé DIGULL.
Cs 137: 14,1 ± 1,8
id.
id.
bac champs DIGULL.
Cs 137: 11,6 ± 1,4
id.
platyhypnidium ripar.
puits fermé DIGULL.
P.C.D.
id.
platyhypnidium ripar.
source champ DIGULL.
P.C.D.
id.
fontinalis antipyretica
puits fermé DIGULL.
P.C.D.
décembre 1994
boues
OMONVILLE la Petite
Cs 137: 6,9 ± 0,8
Co 60: 7,1 ± 0,8

     Enfin, des déplacements de terres sur Omonville La Petite ont attiré notre attention et si le contrôle que nous y avons effectué montre des taux «habituels» de Césium (6,9 Bq/kg), il révèle également la présence de Cobalt 60 (7,1 Bq/kg) ce qui est parfaitement anorrnal. Une nouvelle question est posée quelle est l'origine de ces terres et quel est l'objet de leur déplacement? De manière liée ou non, que sont devenues les terres contaminées de la double clôture au Nord-Ouest du site?

II - Résultats et commentaires des mesures en spectrométrie bêta
     Pour la première fois, depuis décembre 93, l'ACRO, qui jusqu'à lors ne pouvait effectuer que des mesures de radioactivité gamma, a engagé un travail tout à fait nouveau: la recherche du Tritium, un émetteur bêta pur. Ces mesures sont réalisées en scintillation liquide au sein d'un spectromètre bêta à partir d'échantillons d'eau filtrée.

     Dans un premier temps, nous nous sommes limités à un suivi mensuel de la Ste Hélène et du Grand Bel ainsi que du ruisseau du Moulin pris comme ruisseau de référence. Un premier bilan portant sur 14 mois de surveillance (Tableau n° 4) est aujourd'hui rendu publique.

     · Des ruisseaux constamment contaminés en Tritium.
     Alors que globalement le ruisseau de référence (Mo) et l'écoulement d'une canalisation déversant des eaux pluviales (ST4D) apparaissent «propres», la Ste Hélène et le Grand Bel sont très nettement et en permanence chargés en Tritium et ceci quel que soit le lieu de prélèvement (Tableau n° 4). La valeur maximale de 718 Bq/1 étant observée durant l'été dans la Ste Hélène. Quant au Grand Bel, ce sont des valeurs plus régulièrement voisines de 600 Bq/1 que nous avons relevées 300 m en aval.
     Pour situer clairement le problème, il est bon de rappeler que les eaux de surface présentent en général une très faible contamination (< 1 Bq/l) en Tritium résultant principalement des conséquences des essais nucléaires atmosphériques.

p.18a
Tableau N°4
Activité en tritium (en Bq/l) dans l'eau des ruisseaux de la Hague:
rivière
moulin
Ste Hélène
Le Grand Bel
date prélèvt.
Mo
ST4D
ST4
ST10
ST11
ST12
GB20
GB21
déc. 93
ISD
ISD
-
 -
 -
315 
 561
 -
janv. 94
ISD
-
56
 -
 -
 289
 473
 150
févr. 94
ISD
-
 -
 205
 392
 469
 666
 279
mars 94
ISD
 ISD
 216
 157
 301
 370
 622
 290
avril 94
ISD
 ISD
 387
 435
 717
 578
 522
 141
mai 94
ISD
 ISD
 134
 102
 177
 244
 583
 257
juin 94
ISD
 ISD
 433
 500
 718
 583
 574
 149
juil. 94
ISD
 ISD
 402
 347
 415
 510
 660
 270
août 94
ISD
 ISD
 229
 230
 236
 325
 540
 206
sept. 94
ISD
 ISD
 377
 371
 377
 428
 635
 223
oct. 94
ISD
 ISD
 136
 137
 156
 226
 560
 215
nov. 94
26
32
 212
 244
 533
 479
 624
 214
déc. 94
ISD
 ISD
 35
 35
 198
 195
 284
 157
janv. 94
ISD
 ISD
 150
 150
 435
 394
 405
 118
Résultats ACRO: chaque valeur exprimée correspond à la moyenne de deux prélèvements.
(-) = le prélèvement n'a pas été effectué à cette date.
ISD = inférieur au Seuil de Détection
     Quelques commentaires peuvent être apportés à la lecture de ce tableau (format .gif).
     Des variations de l'activité volumique en fonction du temps sont observées et sont en fait (inversement) corrélables avec les hauteurs des précipitations qui entraînent une dilution de la pollution (Figures 2 à 4). Ce phénomène est tout à fait marquant à la fin décembre alors que les prélèvements ont été effectués lors de pluies incessantes. Dans ces conditions, et par rapport au mois de juin, les teneurs en tritium peuvent chuter d'un facteur 3 à 14 dans la Ste Hélène (selon le lieu) et seulement d'un facteur 2 dans le Grand Bel. Ainsi, la Ste Hélène apparaît nettement plus influencée par les précipitations et les eaux de ruissellement que le Grand Bel. Dans ce dernier, «l'approvisionnement» en Tritium semble donc plus constant.
     Alors que l'activité décroît en octobre et plus fortement encore en décembre, on constate une nette remontée en novembre. Les très faibles précipitations dans les 12 jours précédant le prélèvement peuvent expliquer ce phénomène. Néanmoins, à cette occasion (et c'est la seule fois), du Tritium est mesuré en quantité faible mais significative dans la rivière témoin (Mo) et dans une arrivée d'eaux pluviales (ST4D). Nous n'avons pu trouver d'explication. Un éventuel rejet atmosphérique intempestif par l'usine de retraitement pourrait en constituer une.

     · La Ste Hélène et le Grand Bel: un mode de contamination nuancé.
     Une autre caractéristique importante distingue ces deux ruisseaux.
     Le Grand Bel présente de façon relativement constante dans le temps un gradient décroissant de l'activité de l'eau en Tritium; la contamination est en moyenne 2,6 fois plus faible à 1800 m en aval par rapport aux niveaux relevés à 300 m de la source.
     A l'opposé, la Ste Hélène présente grossièrement une tendance à une contamination croissante de l'amont vers l'aval et, soulignons-le, cette tendance est d'autant plus marquée que les hauteurs de précipitations sont importantes. Pour la période étudiée, les données moyennes indiquent des activités volumiques de 231, 243, 388 et 386 Bq/l respectivement aux points ST4 (proximité site), ST10 (300 m), ST11(500 m) et ST12 (700 m).

suite:
     Dès lors que, selon l'ANDRA, les rejets directs dans la Ste Hélène ont cessé depuis 1987, l'explication la plus vraisemblable est alors que ce cours d'eau serait alimenté dès son origine par des nappes phréatiques contaminées et pas seulement par le bassin d'orage de la COGEMA (qui a obligation de maintenir un certain régime dans ce ruisseau, lequel prenait initialement sa source sur le site). Mais il faut aussi admettre que le long de son trajet, d'autres nappes plus en aval également contaminées vont relarguer du Tritium dans la Ste Hélène. Dans le passé, l'IPSN avait déjà évoqué une telle hypothèse.
Nous y apportons ici un élément de preuve. En effet, en décembre demier, l'ACRO a observé une résurgence (Tableau n° 5), surgissant de sous une maison, dont l'activité en Tritium est près de 7 fois supérieure (ce même jour) à celle de la Ste Hélène à l'endroit où elle reçoit cet «affluent».
     De son côté, le Grand Bel semblerait pollué essentiellement dès son origine (au Hameau Les Clerges) par une nappe phréatique fortement contaminée et dont, en raison du sens d'écoulement des eaux souterraines à cet endroit, les activités mesurées au niveau du piézomètre 702 seraient un bon reflet. Rappelons que les teneurs en Tritium mesurées à ce piézomètre (SPR-COGEMA) ne cessent d'augmenter et ont pratiquement doublé entre 1987 (3.000 Bq/1) et les 3 premiers trimestres 94 (5.800 Bq/1).

     · Chez des particuliers, des points d'eau sont contaminés.
     Si l'état des ruisseaux évoqué ci-avant nous paraît préoccupant, l'ACRO a voulu, à partir de septembre 94, étendre ses investigations à des points encore plus proches de l'habitant. La situation présentée dans le tableau n°5 devient, là, inquiétante.
     Une source (c'est celle du Grand Bel), qui se trouve au milieu d'un hameau, présente des teneurs entre 700 et 800 Bq/1 en Tritium. La résurgence (déjà évoquée précédemment), sortant de sous un bâtiment, conduit aux valeurs les plus élevées mesurées par l'ACRO, jusqu'à 1.500 Bq/1 de Tritium à la mi-janvier. Compte tenu de ce qui a été développé auparavant au sujet de l'influence des précipitations, on peut à juste titre s'interroger sur les niveaux d'activité qui devaient exister, à ce point, durant l'été... Un abreuvoir dans un champ montre une activité variant entre 150 et 350 Bq/1. Enfin un puits et un lavoir contigü (dont les eaux d'écoulement iront se déverser dans la Ste Hélène située en contrebas), dans lesquels des animaux de la ferme s'alimentent, apparaissent tous deux clairement contaminés avec un maximum à plus de 500 Bq/1 au début d'octobre!

p.19
Tableau n°5
Activité en tritium (en Bq/l) dans de l'eau hors des ruisseaux de la Hague:
lieu prélèvement
01.09.94
01.10.94
02.11.94
30.11.94
28.12.94
01.09.94
01.09.94
puits ferme
DIGULEVILLE
426
510
264
254 (07)
181 (30)
159 (12)
127 (28)
-
29
lavoir ferme
DIGULEVILLE
-
388
240
154
138
-
36
abreuvoir champ
DIGULEVILLE
-
351
167
240
175
-
147
résurgence
DIGULEVILLE
-
-
-
-
1347
1492
922
source hameau
DIGULEVILLE
-
-
-
-
715 (15)
814
666
source champ
Thumboeuf
-
ISD
-
-
-
-
-
lavoir hameau
des Landes
-
ISD
-
-
-
-
-
ruisseau (bas)
de Calais
-
-
30
-
-
-
-

     Pour être complet, il convient d'ajouter qu'à cette pollution par le Tritium s'ajoutent des teneurs non négligeables (plusieurs dizaines de Bq/1) en Radon 222, et en descendants de filiation, dans toutes ces eaux (sauf l'abreuvoir) issues du sous-sol.
     Nous ne qualifions pas cette situation de préoccupante de manière abstraite. Cette eau, au sein de propriétés, tout comme celle des ruisseaux peut servir à des fins domestiques, d'arrosage, d'alimentation des animaux, etc. Sans chercher à dramatiser et encore moins à pénaliser les agriculteurs, il doit être néanmoins souligner que, parfois, cette contamination est retrouvée dans le lait[4]. Nous y revenons dans la deuxième partie de ce dossier.

     · Chaque année, des ruisseaux, pour lesquels il n'existe aucune autorisation de rejet, charrient vers la mer des centaines de milliards de Bq de Tritium (10 à 20 Ci).
     Un calcul tout à fait approximatif peut être introduit compte tenu des teneurs moyennes en Tritium en 1994 aux points ST12 (385 Bq/1) et GB20 (560 Bq/1) et en considérant des débits en ces lieux de 20 m3/h pour le Grand Bel et de 80 m3/h pour la Ste Hélène (dont le débit moyen à l'embouchure était de 700 m3/h en 1987). Dès lors on peut considérer que les nappes souterraines contaminées relarguent par ces deux exutoires réunis une activité annuelle estimée à 370 GBq (370 milliards de Bq ou encore 10 Ci).
     Cette valeur doit être considérée comme un minimum, (un calcul basé sur les mesures SPR-COGEMA au Hameau la Fosse (150 Bq/1) et un débit de 200 m3/h conduirait à une valeur plus de 2 fois supérieure).

     Le calcul de l'IPSN,en 1987, aboutissait à un rejet annuel en mer de 6.000 GBq pour la seule Ste Hélène. Enfin, à la fin de
1983, l'ANDRA estimait à 3.700 GBq les rejets annuels par ce
ruisseau. Notre estimation (370 à 740 GBq) est donc cohérente si l'on rappelle qu'à ces époques les teneurs en Tritium dans la Ste Hélène étaient au moins 5 fois supérieures.
     En regard de ces chiffres, il convient de rappeler que le C.S.M. n'a jamais eu d'autorisation de rejets dans la Ste Hélène (ce qui a pourtant été pratiqué en toute impunité jusqu'en 1987) et encore moins, bien évidemment, dans les nappes souterraines.

     · Des ruisseaux plus pollués que le Rhône aval de toutes les installations nucléaires.
     Cet état de l'environnement sur le plateau de la HAGUE est ici présenté sous la lumière du travail développé par l'ACRO en 1994. A ce titre et compte tenu des moyens limites de notre association, il est bien sûr partiel D'autres points, relevant d'une situation anormale, existent, comme par exemple, au Nord-Ouest du site DOGEMA (voir Partie B).
     Prises globalement, ces données doivent être présentées avec des repères. Il est de bon ton dans l'information diffusée par les exploitants de souligner les valeurs des limites admissibles déduites des L.A.I.[5]. Sans prétendre qu'elles soient dénuées de tout fondement scientifique, nous considérons qu'elles ne constituent pas des données définitivement acquises, et encore moins des «vérités», mais simplement des valeurs proposées en relation avec les connaissances du moment, et donc sujettes à modification. Aussi, préférons-nous mettre ces résultats en regard de ce que doit être une situation normale ou, par comparaison, en regard d'autres situations dégradées.

p.20
Figures N°2
Le tritium dans le Grand Bel
Le tritium dans la Ste Hélène

Figure N°3
Hauteur des précipitations (en mm) 4 jours et 12 jours avant les prélèvements
     Dans cette optique et concernant la contamination par le Césium 137, la figure 5 souligne cette comparaison entre un ruisseau de référence, le Grand Bel, la Ste Hélène et la surveillance qu'effectue également l'ACRO, à proximité de la centrale de CHINON, dans la Loire (qui draine en amont les centrales nucléaires de St Laurent, Dampierre et Belleville). Tout aussi parlant, on notera que la radioactivité gamma artificielle des sédiments du Rhône est en moyenne de 1.100 à 1.200 Bq/kg à la fin de années 80 en aval de toutes les installations nucléaires et tout particulièrement du centre de retraitement de Marcoule (pour lesquelles existent des autorisations de rejet).
     De la même manière, pour la pollution par le Tritium, on rappellera qu'en situation normale les concentrations sont inférieures à 1 Bq/l c'est-à-dire non détectables. Nos données peuvent aussi être comparées à la situation du Rhône, toujours en aval de toutes les installations nucléaires, où les teneurs en Tritium dans l'eau varient de 11 à 26 Bq/1[6].
Figure N°5
Le césium dans les sédiments selon les rivières
1. Le Tritium est issu de la fission (ternaire) de l'Uranium 235 au sein des réacteurs nucléaires. Il est rejeté en totalité dans l'environnement, tout particulièrement au niveau des installations de retraitement.
2. PALLY et FRAIZIER: Étude radioécologique de l'environnement du Centre de Stockage de la Manche (1987).
3. Commission Spéciale et Permanente d'Information près l'Établissement de la Hague. 5, rue Vastel - 50100 - Cherbourg
4. Une équipe de chercheurs hollandais a montré expérimentalement que le taux de transfert dans le lait (pour des vaches abreuvées avec de l'eau contenant du Tritium) est d'environ 82%. Le Tritium est bien sûr retrouvé dans l'eau du lait mais également organifié dans les graisses, le lactose et la caséine. Les auteurs ont calculé l'existence de 2 périodes biologiques (temps au bout duquel la moitié du radioélément a disparu de l'organisme): une première période courte de 5 à 6 jours et une seconde période longue allant, selon les composants, de quelques dizaines de jours à 299 jours pour les graisses du lait.
5. Limites Annuelles d'Incorporation
6. LAMBRECHTS, FOULQUIER, PALLY (IPSN): «synthèse des connaissances sur la radioécologie du Rhône». Décembre 1992.
p.21

PARTIE B
     Programme Nucléaire et politique d'information n'ont jamais fait bon ménage. Ce n'est un secret pour personne. Depuis l'accident de TCHERNOBYL, l'émergence de «laboratoires indépendants», la création de l'Office Parlementaire d'Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques, la constitution de Commissions Locales d'Information sont des réponses diverses et plus ou moins efficaces de ce droit inaliénable du citoyen, le droit à l'information.
     Dans notre région, malgré l'existence de la CSPI, certainement l'une des plus actives en France mais dont les possibilités d'investigation sont très limitées, les exploitants du nucléaire ne montrent toujours pas leur volonté de pratiquer réellement la transparence en la matière.
     L'objet de cette seconde partie, qui traite de l'environnement autour du site de la Hague, est de reprendre quelques exemples concrets pour illustrer notre propos.

I - Le C.S.M.: un accident en 1976 ou une succession d'accidents??
     Au cours des discussions qui ont eu lieu avec l'ANDRA, ses responsables n'ont toujours évoqué que l'existence d'un accident qui aurait eu lieu en 1976 et qui aurait conduit à une fuite dans le sous-sol de 1.850.000 GBq (50.000 Ci) de Tritium (communication à la CSPI en déc. 83 et déc. 92). C'est en partie ce Tritium qui vraisemblablement alimente encore aujourd'hui, soit 20 ans après!, les ruisseaux et certains puits au nord-est du site.
     Il n'empêche que l'ACRO (comme d'autres laboratoires) a mesuré également des radioéléments gamma et notamment des teneurs élevées en Césium 137. Quelle en est l'origine? Une «fuite», mais cette fois de documents confidentiels, pourrait y apporter une réponse. Dans une «note intérieure», en date du 19 juin 1981, l'exploitant relate les mesures effectuées à la suite d'un «incident» qui a eu lieu le 25 septembre 1980.
     Le Tableau B 1 rapporte ces résultats particulièrement éloquents. On note que la contamination des eaux de drainage au regard RS 25 est multipliée, 5 jours après «l'incident», par 5.000 pour ce qui est de l'activité bêta. Cette activité bêta pourrait être essentiellement du Césium 137 (émetteur bêta-gamma) puisque le même jour les auteurs enregistrent plus de 70 millions de Bq par m3 d'eau. Un mois plus tard, la boue au RS 25 présente des teneurs en Césium 137 de plus de 2,6 millions de Bq/kg de boue. Quant à l'activité alpha, elle est multipliée par un facteur proche de 10.000 pour atteindre 12,6 millions de Bq par m3 d'eau le 30 septembre.

suite:
     Que deviennent ces eaux et ces boues contaminées?
     Une autre note intitulée «rapport du mois de septembre» (1980, NDLR) indique (Document 2): «fuite Cs137 au niveau TB centrales bien drainée par le RS mais panne de la pompe COGEMA (débordements)»... Plus loin, on apprend qu'en raison des fortes pluies des blocs sont tombés et que le RS (réseau séparatif, NDLR) a été cassé...
     Des «incidents» de ce type, jamais révélés publiquement par l'exploitant, permettraient de comprendre la contamination bêta-gamma régulièrement observée dans l'environnement du C.S.M..
     L'activité alpha, ici en rupture de confinement, pourrait illustrer la contamination alpha (Américium 241 et 243, Plutonium 239/240 et surtout Plutonium 238) révélée par les études radioécologiques de l'IPSN (note) qui avait conduit les auteurs à conclure «ceci confirme, sans le moindre doute à présent, qu'il existe une source de Plutonium 238 qui est relarguée dans l'environnement et que, selon toute vraisemblance, elle se situe sur le Centre de Stockage de la Manche». Devant la CSPI, les responsables du centre ont récusé l'existence de cette source instable de Plutonium arguant que «le rapport Césium/Plutonium est quasi constant». Non seulement cette réponse n'est en rien un argument contredisant la libération du Plutonium 238 à partir du centre, mais en outre il est inexact. Nous avons en effet repris toutes les mesures de l'IPSN de 1986 à 1991 et constaté que ce rapport Cs 137/Pu 238 varie d'un facteur 10 dans les mousses et d'un facteur 70 dans les sédiments.
     L'explication apportée par la COGEMA janvier 92), selon laquelle la contamination des sédiments observée par l'ACRO serait due à l'ancienne canalisation de rejet oubliée au sein de la double clôture à proximité de la Ste Hélène, n'est à l'évidence qu'une hypothèse très partielle du terme source.
     Ces informations justifient pleinement la demande de l'ACRO pour la constitution d'une commission d'enquête indépendante qui devrait, entre autres, faire toute la lumière sur l'historique du fonctionnement de ce site.

II - Quand un début d'information cesse sans explication...
     Depuis la fin des années 80, l'information et la communication concernant tout ce qui touche au nucléaire (sauf le militaire!) sont devenus des maître-mots. Chacun y est allé de son couplet. On a vu les autorités de sûreté taper du poing sur la table lors de conférences de presse, l'ANDRA éditer son «observatoire des déchets», l'Office Parlementaire multiplier les auditions et publier rapports sur rapports, etc.

p.22
Tableau B1
Activité mesurée en 1980 au regard RS25 du C.S.M.


date
activité alpha de l'eau
(Bq/m3)
activité bêta de l'eau
(Bq/m3)
activité Cs137 de l'eau
(Bq/m3)
activité Cs137 des boues
(Bq/kg)
4 sept. 1980
U148?
12.580
   
25 sept. 1980
date de
"l'incident"
   
30 sept. 1980
1.258.000
62.900.000
70.300.000
 
22 oct. 1980
28.500
3.070.000
3.108.000
2.627.000


     Ce vent nouveau n'est pas encore arrivé en Nord-Cotentin. Pire, au pays de Prévert l'histoire de la transparence va en sens inverse.
     Pour cette seconde illustration, le Document 3 pourrait être intitulé le «jeu des 31 erreurs». Il s'agit en fait de la carte des piézomètres dont la CSPI recevait régulièrement une partie des relevés de mesures. Depuis sa création, jusqu'en mars 1986, la CSPI était informée de certaines mesures faites dans les nappes phréatiques sous le site. Brusquement en avril 86 cette information disparaît et depuis plus rien. Nous n'avons plus droit qu'aux piézomètres extérieurs. Et encore... Les résultats du piézo 702, sur la commune de Digulleville, disparaissent également à partir de janvier 88. Comme par hasard, parmi les points extérieurs au site, c'est celui qui non seulement est le plus contaminé, mais dont les teneurs en Tritium augmentent régulièrement depuis 87. Les données (piézo 702) réapparaissent en avril 91 après demande insistante de la CSPI.
     Particularité du CSM, pensez-vous? Pas du tout. Nous pouvons présenter le même «jeu des erreurs» avec deux cartes représentant l'usine de retraitement de la COGEMA.
     Jusqu'en mars 86, les valeurs de 70 piézomètres étaient connues. Depuis avril 86, seulement 21 sont portées à la connaissance de la CSPI. La différence? Elle est très explicite tous les résultats des piézomètres internes aux sites COGEMA et CSM ont disparu sans aucune explication!
     Que s'est-il passé en France et en Nord-Cotentin en mars 86 qui justifierait ce brusque changement? A défaut de ne pouvoir taire les retombées de TCHERNOBYL en France, voulait-on éviter tout lien avec le nucléaire français en masquant les situations où l'impact sur l'environnement est indéniable? A cette époque, au sein de la CSPI, il se posait une question essentielle: la commission survivra-t-elle?, et une question plus secondaire: quel sera le nouveau conseiller scientifique?
     Les représentants de l'ACRO et de la CFDT, au sein de la CSPI, ne cessent de réclamer la publication de l'ensemble des résultats et notamment de ceux des piézomètres internes. En réponse, les exploitants observent le «motus et bouche cousue». Qu'y a-t-il à cacher? Si la situation, en particulier sous le CSM, s'améliore comme cela est régulièrement clamé, alors pourquoi ne pas le démontrer en publiant l'intégralité des données et pas seulement celles «qui arrangent»?
suite:
     Dès octobre 85, les mesures dans le piézomètre 414, qui dépassent largement les limites sanitaires, ont cessé d'être communiquées.
     Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Sans évoquer l'absence d'autorisation de rejet, rappelons simplement qu'aucun rejet quel qu'il soit ne peut avoir lieu dans des nappes phréatiques.

III- L'affaire du strontium 90
     C'est donc également une situation parfaitement inacceptable qui existe depuis plus de dix ans au Nord-Ouest du site COGEMA où la nappe phréatique est contaminée par du Strontium 90 avec des valeurs qui atteignent parfois plus de 30 Bq/l, soit le tiers de la limite sanitaire pour ce radionucléide particulièrement toxique. A partir de cette nappe, un ruisseau, le Ru des Landes est aussi contaminé.
     C'est la Commission Hague qui a soulevé la question en février 94. Il a fallu 6 mois à la COGEMA pour donner enfin une explication qui serait liée à un entreposage depuis 1981 de déchets mal confinés. Alors que des membres de la CSPI demandaient le classement de l'incident au niveau 3 de l'échelle INES (échelle internationale des événements nucléaires), l'exploitant n'en voyait pas la raison puisque, selon lui, il n'y a pas d'incidence sanitaire dès lors qu'on ne retrouve pas le Strontium dans l'eau du robinet. Par ailleurs, en sous-sol, certaines couches constitueront un filtre efficace (toujours selon COGEMA) pour retenir le Césium et le Strontium qui a fui en terre. Quel pari!
     On ne peut concevoir les limites du site plongeant dans les profondeurs de la terre. Le site, c'est ce qu'il y a en surface et, si une nappe est contaminée à 150 m sous terre (ce qui est le cas), cela relève d'un non confinement et d'une pollution du domaine publique.
     Il est difficile de ne pas imaginer un choix délibéré quand on relève quelques valeurs (Tableau B2) que l'on a bien voulu nous concéder durant cette période et qui sont extrêmement élevées approchant ou dépassant les limites sanitaires, lesquelles, rappelons-le, sont particulièrement fortes pour ce qui est du Tritium (270.000 Bq/1).

p.23
Tableau B2
Quelques activités marquantes en Tritium des nappes phréatiques situées sous le C.S.M.:
date
piézomètre
profondeur de la nappe
activité Tritium (en Bq/l)
février 1982
420
146m
140.000
mars 1983
420
146m
140.000
mai 1983
420
146m
240.000
février 1984
420
146m
440.000
mars 1984
420
146m
240.000
mars 1985
420
146m
110.000
juillet 1985
414
146m
430.000
août 1985
414
146m
350.000
septembre 1985
414
146m
320.000
mars 1986 La source d'information sur les nappes s'est... tarie!

     Enfin, affirmer l'absence d'impact sanitaire est encore une projection très optimiste sur le devenir de ces radioéléments. L'exploitant devrait relire dans le détail ses mesures effectuées dans le lait. Alors que ces valeurs tournent essentiellement autour de 0,15 à 0,2 Bq/1 en Strontium 90, elles sont quasi généralement doublées (0,3 à 0,4 Bq/l) chez un sociétaire localisé à proximité immédiate de ce point de pollution. C'est peut-être encore le fait du hasard, mais le relevé de mesures effectuées chez ce sociétaire disparaît à partir d'avril 91 et même son indication sur la carte disparaît à partir du 4ème trimestre 93... Ces niveaux de contamination, nous le concédons, sont bien faibles. Néanmoins le lien avec cette pollution semble marquant.

IV - L'information «grand public» COGEMA
     L'ACRO estime que la politique d'information menée par les exploitants est en cours de régression durant ces huit dernières années. On pourra nous rétorquer que la COGEMA édite depuis décembre 89 un quatre pages mensuel d'information à l'attention du grand public. Effort louable, d'autant plus que les auteurs ne se contentent pas de donner des valeurs moyennes (qui ont pour effet de diluer et donc de dissimuler les points sensibles) mais affichent également la valeur maximale du mois pour l'analyse présentée.
     Notons cependant que, eu égard à l'importance du problème évoqué précédemment, le lecteur ne trouvera aucune information concernant l'état des nappes phréatiques.
     Ensuite, et c'est plus grave, certaines informations contenues sont inexactes.
     Les résultats obtenus par l'ACRO, concernant le Tritium dans les ruisseaux et chez des particuliers, nous ont conduits à dépouiller ces bulletins afin de voir si le lait pouvait lui aussi être contaminé. On sait en effet que le coefficient de transfert dans le lait est très élevé chez la vache lorsqu'elle est alimentée régulièrement avec de l'eau tritiée.

     Les valeurs maximales indiquées dans le bulletin grand public traduisent la plupart du temps «A.A.D.» (Aucune Activité Décelable) ou au pire une valeur très faible. La comparaison avec les résultats «diffusion restreinte» délivrés par le SPR-COGEMA indique des différences significatives.
     La fréquence des ces erreurs (Tableau B3) d'une part, et, d'autre part, le fait que cela va toujours dans le même sens (à savoir donner au public une valeur toujours plus faible), nous incitent à écarter l'idée de «simples fautes de frappe».
     Sur un plan sanitaire, trouver 180 Bq/1 de Tritium dans un ruisseau ou bien dans le lait des vaches n'a pas du tout la même signification. Une partie en effet se trouvera organifiée dans la caséine, le lactose et la graisse du lait.
     Deux mois plus tôt, cette même valeur maximale mensuelle de Tritium dans le lait était de 480 Bq/1!

V - L'information «grand public» ANDRA
     L'ANDRA vient tout juste (janvier 95), à son tour, de publier pour la première fois un bulletin d'information «grand public». Egalement un quatre pages de bonne présentation.
     Malheureusement, cette première version indique déjà une valeur tout à fait discutable et bien sûr, c'est la valeur la plus marquante de ce bulletin. Nous nous appuyons pour cela sur une note de l'ANDRA remise à la municipalité de Digulleville et qui montre une valeur de 87.000 Bq/1 de Tritium au niveau du piézomètre 153 en septembre 94. Sachant que les valeurs moyennes pour les piézomètres sont identiques au 3ème et au 4ème trimestres, il paraît difficilement concevable que l'activité de ce piézomètre ait chuté brusquement à 12.000 Bq/1 entre septembre et octobre 94....
     Une vraie politique d'information ne peut se confondre avec le tourisme industriel.
     Le droit à l'information ne peut souffrir aucune entorse. Il ne se mendie pas, il se conquiert. C'est la raison d'être de 1'ACRO.
     Nous attendons maintenant les réponses aux nombreuses questions soulevées dans ce dossier.

p.24

Tableau B3
Bulletin d'information mensuel COGEMA: les erreurs concernant les mesures dans le lait:
Nombre de valeurs d'activité maximale mensuelle en Tritium dans le lait inférieures et supérieures au seuil de détection selon le type de document
Les deux valeurs les plus marquantes (en Bq/l de Tritium) selon le type de document
 
"grand public"
"diffusion restreinte"
"grand public"
"diffusion restreinte"
< 10 Bq/l
44
15
39
180
> 10 Bq/l
14
43
29
100
p.25

Ce que l'ACRO demande
à l'attention des exploitants:
     de cesser la rétention d'information; de pratiquer une réelle politique de transparence et à ce titre de publier l'intégralité de données y compris celles concernant le site.
     En ce domaine également, il convient de pratiquer le retour d'expérience...

à l'attention des autorités de sûreté et des exploitants:
     Ces situations dégradées qui perdurent ainsi depuis près de 20 ans, tout particulièrement les contaminations de nappes phréatiques, ne sont pas admissibles.
     Il convient de lancer des études de faisabilité visant à explorer les possibilités d'une décontamination active de ces nappes.

à l'intention des autorités de sûreté et de l'autorité politique:
     de suspendre l'enquête publique portant sur la création d'une nouvelle I.N.B. (installation nucléaire de base) au niveau du C.S.M.
     de mettre sur pied une commission d'enquête indépendante incluant des représentants de la CSPI et composée pour partie d'experts (à l'image de la Commission CASTAING), dont le rôle sera d'établir:
     - un bilan précis de l'état du site,
     - l'historique de son fonctionnement,
     - une évaluation précise des activités stockées (notamment en alpha),
     - une estimation de tout ce qui fut relargué lors d'incidents/accidents,
     - une contre-expertise du dossier déposé par l'exploitant.

     La commission d'enquête pourra demander aux autorités de sûreté d'engager l'exploitant à d'éventuelles reprises de déchets, voire à réaliser de nouvelles structures de confinement si nécessaire.
     Son rapport sera rendu public avant l'ouverture de toute enquête publique.

à l'attention de l'opinion publique et des collectivités locales:
     l'ACRO est maintenant un outil indispensable pour une information plurielle et indépendante. Il faut appuyer et renforcer son développement.
     Aujourd'hui il convient d'engager une souscription pour un montant de 500.000 Fr qui nous donnera les moyens efficaces pour des mesures d'activité beta et certaines mesures d'activité alpha par l'achat d'un «compteur à scintillation liquide» très performant.
     Les mesures de Tritium sont actuellement réalisées sur un spectromètre beta ancien, plus conçu pour la recherche que pour l'environnement, pour lequel nous ne sommes pas sûrs d'obtenir des pièces de rechange en cas de panne éventuelle. Par ailleurs, l'impossibilité d'y observer les spectres constitue un handicap réel dans l'identification des radionucléides et nous contraint à la sous-traitance avec d'autres laboratoires mieux équipés.

p.26

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