La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°137/138
Ce 31 mai 1994,

les écologistes français et belges
inaugurent le nucléo-musée de Chooz


     A l'occasion de cette inauguration, nous voulons vous rappeler que la production des deux unités de Chooz B1 et B2 est parfaitement inutile dans le contexte énergétique aussi bien français que belge. La France exporte l'équivalent de 10 unités de 1.000 MWe, la Belgique quant à elle est auto-suffisante.
     D'autre part, la centrale de Chooz est un lieu hautement symbolique.
     Ce site a toujours été voué à l'accueil de prototypes et donc des conséquences aléatoires de ce type d'installations uniquement calculées en terme de modèle mathématique. Ainsi, les populations riveraines se trouvent exposées sans que le principe de précaution ne soit aucunement d'application. Au contraire!
     Il est aussi exemplaire du combat anti-nucléaire que nous menons depuis plus de 20 ans.
     Enfin, sa situation géographique particulière (la pointe de Givet en territoire français est une véritable enclave dans le territoire belge) devrait en faire dans la gestion aussi du problème énergétique un exemple de ce que serait une véritable Europe, une Europe des régions.
     C'est pourquoi les écologistes ont dépassé les frontières pour mener une série d'actions à l'occasion de l'enquête publique sur les rejets thermiques, chimiques et radioactifs de la centrale. Nous avons déjà obtenu deux résultats:
     - En France, l'enquête publique est prolongée jusqu'au 16 juin 1994. Cette prolongation pourra donner lieu à un débat contradictoire avec l'exploitant, débat qui peut être organisé par la commission d'enquête. Ce que nous souhaitons vivement et que nous allons nous employer à demander.
     - En Belgique, l'enquête publique a été mise en place et a lieu dans les communes riveraines de la pointe de Givet, ainsi qu'au Palais Provincial de Namur.
     Les collèges des Bourgmestres et Echevins, ainsi que la Députation Permanente sont appelés à rendre un avis.
     Nous demandons donc à la population de se manifester et de demander au Gouvernement français de ne prendre aucune décision de mise en exploitation des unités de Chooz B1 et B2 aussi longtemps que les procédures suivantes n'auront pas été menées à terme:
     1. Analyse prévisionnelle des coûts de production de l'électricité des unités de Chooz B1 et B2 au long de leur durée de vie, sur base de différents scénarii d'évolution de la prise en compte des coûts écologiques et sociaux.
     2. Evaluation de l'impact sur l'environnement globale et transfrontière au sens de la convention d'ESPOO, c'est à dire incluant l'option zéro et associant à l'opération les Etats manifestement concernés: Belgique, Luxembourg, Pays-Bas.
     3. Etude coûts - avantages telle que requise par l'article 6a de la directive 80/836/EURATOM sachant que les rejets de radioactivité prévus entraîneront une exposition supplémentaire aux rayonnements ionisants, notamment pour les consommateurs belges et néerlandais d'eau de Meuse.
     L'Europe, comme les USA a cessé d'investir dans le nucléaire.
suite:
     Depuis l'accident de TMI (1979), l'industrie nucléaire a subi un véritable coup d'arrêt. Plus aucune unité nucléaire n'a été commandée aux USA alors que 68 commandes effectuées dans les années 70 ont été annulées, en ce compris le surgénérateur de Clinch River.
     En Europe, l'Allemagne décidait en 1980 de la construction d'un dernier réacteur (ISAR 2), le Royaume Uni faisait de même en 88 avec Sizewell B. Aucun autre pays européen, hormis la France, n'a poursuivi son programme nucléaire.
     A priori, aucun ne s'est engagé dans le nucléaire.
     La France constitue donc bien une exception dans le paysage énergétique européen par son acharnement à prolonger un programme de plus en plus démesuré par rapport à la demande intérieure. Les dernières commandes se sont pourtant de plus en plus espacées: Penly 2 en 1983, Civaux 1 en 1987 (en fait, commande reportée en plusieurs étapes depuis fin 87 à 91) et puis plus rien...
     Dans ce contexte, le démarrage de Chooz B1 et B2 apparaît bien comme un des actes ultimes d'un programme en extension.
     Le non-démarrage des unités de Chooz B1 et B2 ne serait pas une première.
     L'histoire de l'industrie nucléaire européenne a connu l'annulation de nombreux projets, certains d'entre eux alors que les chantiers étaient en cours voire terminés. Au total, 15 projets partiellement ou totalement, ont été annulés dont 7 en Allemagne, 3 en Italie, 2 en Belgique, et 1 respectivement en Autriche, en Suède et en Suisse.
     En Allemagne, le projet du surgénérateur de Kalkar, malgré la participation de la Belgique et des Pays-Bas et le coût exorbitant de l'investissement a été définitivement abandonné près de 20 ans après sa programmation et alors que le réacteur était prêt à fonctionner.
     En Allemagne toujours, 5 unités VVEr installées dans l'ancienne RDA ont fait l'objet d'une décision définitive d'annulation pour des raisons de sécurité et de coût d'adaptation aux normes occidentales; parallèlement, 5 autres réacteurs, tous installés à Greifswald ont été mis à l'arrêt, pour les mêmes raisons; l'un d'entre eux n'avait fonctionné que pendant 1 an. (Greifswald 5)
     En Autriche, après un référendum dont le résultat fut défavorable à l'industrie nucléaire, le réacteur, pourtant achevé, de Tulnerfeld ne fut pas mis en activité.
     Il a entre temps été transformé en musée.
     En Espagne, un moratoire décrété en 1984 a mis un terme aux projets de Lemoniz 1 et 2 dont les travaux avaient démarré respectivement en 1972 et 1974.
     Enfin, en Italie, le référendum de 1988 a sonné le glas des projets de Montalto 1 et 2 et de Cirene.
     On le voit, une décision démocratique prise pour des raisons de sécurité ou de bilan coûts-bénéficés défavorables a, à plusieurs reprises, conduit au non-démarrage d'unités nucléaires prêtes à fonctionner.
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le 16 mai 1994
Marie-Anne Isler-Berghin
Députée Européen,
vice-présidente du parlement européen

Paul Lannoye,
Député Européen,
Président du groupe des verts
au Parlement Européen

Phîlippe Lenice
conseiller municipal
à Charleville

Martine Dardenne,
Sénateur, présidente
de la commission du commerce
Extérieur du Sénat de Belgique.

     C'est le 22 janvier 1982 qu'a été accordé le permis de bâtir sur le site de Chooz (rive gauche de la Meuse) pour deux unités nucléaires de 1.300 MWe chacune. Ce projet s'inscrivait dans le programme d'investissements d'EDF, élaboré au cours des armées 70 et marquait pour la troisième fois (après Chooz A et Tihange 1) une volonté de coopération industrielle franco-belge datant des débuts de l'ère nucléaire. En effet, il faut rappeler que, au-delà de la participation des entreprises belges à la construction (matériels de la chaudière nucléaire et de la turbine), les producteurs d'électricité ont participé à l'investissement des 2 tranches à raison de 25%, ce qui leur donne droit à disposer de l'électricité produite à prix coûtant dans une même proportion.
     Depuis 1982, beaucoup de choses ont changé non seulement dans le contexte énergétique, envirormemental et institutionnel qui est celui du site nucléaire de Chooz, mais aussi dans l'industrie nucléaire elle-même et la législation relative tant en France et en Europe que dans le monde entier.

L'insécurité des réacteurs
     Alors qu'au début des années 80, on croyait encore à l'impossibilité d'un accident catastrophique dans une centrale nucléaire, l'accident du 25 avril 1986 à Tchernobyl a rappelé le monde entier à une réalité inéluctable: une catastrophe aux effets irréversibles est possible; ses effets peuvent se manifester à des milliers de km de distance et affecter les populations pendant plusieurs générations.
     Certes, les réacteurs PWR ne sont pas les RBMK et la technologie française n'est pas la technologie soviétique. Il n'en reste pas moins que la possibilité d'un accident majeur (niveau 6 sur l'échelle de gravité) ou d'un accident entraînant des risques important à l'extérieur du site (niveau 5) d'une centrale n'est pas nulle. C'est le principal responsable d'EDF en matière de sécurité, Pierre Tanguy, qui disait en 1989: «la probabilité de voir survenir un accident grave sur une des tranches du parc nucléaire français dans les 10 ans à venir peut être de quelques pour cent» (Pierre Tanguy: «Rapport de synthèse la sûreté nucléaire à EDF», fin 1989.
     En fait trois types de problèmes affectent la sûreté des réacteurs:
     - les problèmes de vieillissement, dus notamment aux effets de l'irradiation sur les structures métalliques et le béton de la cuve elle-même mais aussi des barres de combustible et des barres de contrôle;

suite:
     - les erreurs humaines commises en exploitation et en maintenance et dénoncées comme particulièrement préoccupantes par le responsable de la sûreté d'EDF, Pierre Tanguy;
     - les défauts de conception constatés sur les échangeurs de chaleur et les pressuriseurs qui provoquent la corrosion dans les tubes ou sur les soudures.
     A cet égard, il faut insister sur un fait particulièrement préoccupant: la fissuration des traversées de couvercle de cuve détectée en septembre 1991, sur le réacteur de Bugey 3, phénomène observé ensuite sur des réacteurs du même modèle (900 MWe) ainsi que sur les tranches de 1.300 MWe.
     Après que des fissures de même gravité aient été observées sur des réacteurs de la deuxième série des 900 MWe, il est apparu que tous les PWR français étaient potentiellement affectés par ce phénomène.
     En outre, le problème ne se limite pas à des fissurations longitudinales, mais peut se manifester par des fissurations circonférentielles, lesquelles peuvent entraîner une rupture brutale, sans fuite préalable, avec les conséquences graves pour la sûreté du réacteur que cela implique.
     «La fissuration des traversées des couvercles de cuve n'est qu'un exemple du nombre croissant de problèmes de matériaux auxquels l'industrie nucléaire est confrontée. Aucun de ces problèmes dangereux n'avait été prévu et avait plutôt été écarté, ce qui ne met pas seulement en évidence le fait que les caractéristiques des matériaux et des composantes de centrales nucléaires ont été grossièrement surestimées, mais révèle également l'état de santé dangereux qu'a atteint le parc nucléaire». (Mycle Schneider: «La fissuration des traversées de couvercle de cuves des réacteurs nucléaires en France», WISE Paris, mars 1993).
     Les réacteurs de Chooz B1 et B2, têtes de série du palier 1.400 N4 sont d'une conception proche du palier 1.300 P4, mais des modifications importantes ont été apportées:
     - augmentation du nombre d'assemblages combustibles, ce qui permet l'augmentation de puissance;
     - nouvelle conception des générateurs de vapeur; le matériau des tubes étant modifié
     - salle de commande informatisée.
     Les conséquences, pour la sécurité, de ces modifications sont, aux dires d'EDF, positives. Il n'en reste pas moins que les réacteurs de Chooz B1 et B2 sont, au sens strict du terme, des prototypes, avec tout ce que cela implique.

Il n'y a pas de niveau d'irradiation inoffensif
     C'est la directive 80/836/EURATOM qui fixe les limites de dose, de même que les limites d'incorporation annuelle en les divers radio-isotopes au-dessus desquelles il est exclu d'exposer les populations. Cette directive se base sur les recommandations de la publication 26 de la CIPR datant de 1977.
     Une directive modifiée sera approuvée prochainement par le conseil des Ministres européens; elle propose des limites de dose 5 fois plus faibles, les nouvelles recommandations de la CIPR (publication 60, 1991) prenant en compte les demières études sur les effets biologiques des rayonnements ionisants.
     Un changement majeur est apparu dans les concepts de base de la CIPR: la reconnaissance de l'absence de seuil pour les effets cancérigènes et les effets génétiques: toute dose de rayonnement aussi faible soit-elle accroit le risque cancérigène et génétique.

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L'absence de seuil et la linéarité de la relation dose-effet pouvaient être considérées comme une approche prudente au début des années 80; aujourd'hui, l'absence de seuil n'est plus une hypothèse simplificatrice mais bien l'hypothèse scientifiquement la mieux fondée.
     Il en résulte que tout rejet de substances radioactives dans l'environnement doit être considéré comme préjudiciable dès lors qu'il peut entraîner une contamination des chaînes alimentaires et fixer des radio-isotopes à longue durée de vie dans l'organisme humain. La dilution des effluents radioactifs gazeux et liquides ne peut plus, dans cette perspectives, être admise comme une réponse satisfaisante en terme de santé publique surtout lorsqu'il s'agit de radio-isotopes à vie longue comme le Cs 137 ou le tritium.
     Minimiser la libération de radioactivité dans l'environnement doit être un objectif prioritaire qui renvoie à une prise en considération stricte du principe énoncé par le CIPR selon lequel: "pour toute activité impliquant une exposition aux radiations, il convient de démontrer que les avantages qu'elle offre sont bien supérieurs aux risques et aux coûts engendrés".

Un contexte international de plus en plus défavorable
     Au fil des années 80, l'économicité du nucléaire s'est de plus en plus dégradée. De nombreux facteurs expliquent cette évolution: impact des nouvelles mesures de sécurité consécutives à l'accident de TMI, allongement des procédures d'autorisation, meilleure prise en compte des coûts préalablement sous-estimés (démantèlement, gestion des déchets,..)
     Par ailleurs, l'opposition politique au nucléaire a pris une ampleur totalement imprévisible dix ans plus tôt, opposition qui s'est encore renforcée après Tchernobyl. Il faut bien constater aujourd'hui que l'industrie nucléaire ne peut plus faire état d'une seule commande sur le territoire de la communauté et que cinq chantiers seulement sont en voie d'achèvement: quatre en France (Chooz B1 et B2, Civaux, Golfech 2) et un en Grande-Bretagne (Sizewell). A l'exception des gouvernements français et britannique, il n'y a plus de volonté politique en Europe de poursuivre dans la voie nucléaire; au contraire le renforcement des exigences en matière de sécurité et de prise en compte des coûts écologiques et sociaux à toutes les étapes de la filière ne peut que contribuer à une mort lente mais probablement inéluctable de celle-ci.
     On peut donc légitimement s'interroger sur l'avenir de l'ambitieux projet qui a conduit à installer deux unités prototypes (têtes de filière) d'une nouvelle série de réacteurs nucléaires à Chooz. La durée de construction, exceptionnellement longue, du projet a déjà grevé les coûts d'investissement; qu'en sera t-il des coûts de fonctionnement dans le futur?
     Effectivement, les différents changements que nous venons d'énumérer donnent sans doute une explication à posteriori aux hésitations qui ont marqué l'évolution du projet depuis 1981 jusqu'à aujourd'hui.

Les avatars d'un projet
     La première évolution que nous relevons est celle que l'on doit constater dans la conception même du projet tel que voulu par EDF.
     Initialement accordé en 1982 (22-01-82), pour deux tranches de 1.300 MWe, le permis de construire fut suivi par un permis de construire modificatif, en date du 09-07-84, pour adaptation des tranches initialement prévues au modèle N4 (1.400 MWe). Ceci valait pour la tranche 2.
      On le voit: de deux unités de 1.300 MWe, on est passé à des tranches de 1.400 MWe, unités qui seront les premières du genre installés en France et dans le monde.

suite:
     On conserve ainsi au site de Chooz sa vocation de site pour prototypes (ce fut déjà le cas pour la centrale de SENA (305 MWe), première PWR en Europe)
     Lors du permis de construire, on parlait d'abord de 1991, puis, avec la modification du permis, de 1992 comme date de divergence. Enfin, et si rien ne change encore, on est aujourd'hui à prévoir la mise en route, pour la première tranche, en avril 1995 et, pour la seconde tranche, en août 1995.

L'évaluation d'impact doit être globale et transfrontière
     C'est la directive 85/337/CEE qui fixe le cadre juridique pour les évaluations d'impact sur l'environnement de certains projets industriels (dont les centrales nucléaires) et d'infrastructures. Cette directive fait l'objet d'une nouvelle proposition de la Commission qui sera prochainement débattue au Parlement et aux conseil des Ministres de l'environnement.
     Un des éléments nouveaux est lié à l'intégration du prescrit de la convention d'ESPOO. Cette convention, signée en 1991 par tous les Etats membres de l'Union Européenne et par la commission Européenne au nom de l'union mais non ratifiée à ce jour, prévoit une étude d'impact transfrontière pour toute installation nucléaire susceptible d'affecter plusieurs Etats (ce qui est bien le cas de Chooz B1 et B2).
     En outre, elle inclut, pour tout projet, non seulement l'analyse des différentes variantes envisageables, mais surtout celle de l'option zéro, c'est à dire l'abandon du projet.
     Dans le cas d'un projet de production d'électricité, de quelque nature que ce soit, une évaluation d'impact devrait en conséquence analyser, selon la logique de planification au moindre coût, l'alternative «centrale d'économies», c'est à dire la centrale virtuelle susceptible de remplacer la centrale de production du fait des investissements économiseurs d'électricité qu'elle projette.

Conclusion
     Eu égard à ces différents éléments d'appréciation de nature à remettre en question la pertinence du choix effectué il y a quinze ans dans un contexte fondamentalement modifié, les soussignés demandent au Gouvernement français de ne prendre aucune décision de mise en exploitation des unités Chooz B1 et B2 aussi longtemps que les procédures suivantes n'auront pas été menées à terme:
     1. Analyse prévisionnelle des coûts de production de l'électricité des unités de Chooz B1 et B2 au long de leur durée de vie, sur base de différents scénarii d'évolution de la prise en compte des coûts écologiques et sociaux.
     2. Evaluation d'impact sur l'environnement globale et transfrontière au sens de la convention d'ESPOO, c'est à dire incluant l'option zéro et associant à l'opération les Etats manifestement concernés: Belgique, Luxembourg, Pays-Bas.
     3. Etude coûts-avantages telle que requise par l'article 6a de la Directive 80/836/EURATOM sachant que les rejets de radioactivité prévus entraîneront une exposition supplémentaire aux rayons ionisants, notamment pour les consommateurs belges et néerlandais d'eau de Meuse.
     A Chooz (pointe des Ardennes), EDF nous demande d'accepter sa pollution chimique et radioactive. TeIle est la signification de l'autorisation de rejets radioactifs et chimiques demandée par EDF pour le démarrage des 2 tranches nucléaires de Chooz B1 et B2 (deux réacteurs à eau pressurisée de 1.450MW). Cette autorisation a été soumise à enquête publique du 1er mai au 16 juin 1994. Durant toute l'enquête publique, les Verts des Ardennes et Ecolo (Belgique) ont mené campagne pour plus d'information sur ces rejets programmés.

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Les débuts de Chooz B
     C'est le 22 janvier 1982 que le permis de construire a été accordé sur le site de Chooz pour deux unités nucléaires de 1.450 MW chacune. Ce projet s'inscrivait alors dans le prograanme d'investissement d'EDF, élaboré au cours des années 70 et marquait pour la troisième fois (après Chooz A et Tihange 1), une volonté de coopération industrielle franco-belge affirmée depuis le début de l'ère nucléaire.
     Depuis 1982, beaucoup de choses ont changé que ce soit dans le domaine des politiques énergétiques ou celui de la protection de l'environnement et de la santé, mais aussi dans l'industrie nucléaire elle-même.

12 ans plus tard....

     Alors que l'utilité publique d'une centrale inutile (la France est excédentaire aujourd'hui, de 10 tranches nucléaires) a été imposée par la force contre la population fortement mobilisée à l'époque, EDF nous demande de subir sa pollution. Bien sûr, les doses de becquerels qu'EDF prévoit de rejeter sont acceptées par les normes françaises, mais en Grande-Bretagne, en Allemagne ou Belgique ces normes sont 5 fois moins laxistes que chez nous.
     Par ailleurs les rejets indiqués résulteraient d'un fonctionnement normal de la centrale, en moyenne (ce qui inclut les incidents, tout en les amalgamant à l'activité globale nucléaire).
     Enfin l'accident nucléaire majeur n'est pas envisagé, pas plus que les mesures de sécurité qu'il conviendrait de prendre.

La radioactivité s'arrête toujoursaux frontières

     Alors que Chooz B est situé à 10 km de la frontière belge, l'enquête publique ne devait avoir lieu qu'en France. Pourtant les vents dominants sont orientés majoritairement vers la région de Beauraing et Dinant (Belgique), la zone d'évacuation, de 10 km autour du site concerne bon nombre de communes belges.
     Ce n'est que sous la pression des Verts et devant le cocasse d'une telle situation, en pleine campagne européenne, que le dossier d'enquête, après moulte péripéties, est arrivé aux autorités belges.

L'Europe va-t-elle mettre fin au nucléaire français?

     La convention d'ESPOO, signée en 1991 par tous les états membres de l'Union Européenne, mais non ratifiée à ce jour, prévoit une étude d'impact transfrontalière pour toute installation nucléaire susceptible d'affecter plusieurs Etats, ce qui est bien le cas de Chooz B; il serait logique que la France applique, en anticipant sur la ratification, le prescrit de la convention et que le gouvernement belge le réclame.
     En tout état de cause, l'article 37 du Traité Euratom exige de chaque Etat membre qu'il fournisse à la Commission les données générales de tout projet de rejets d'effluents radioactifs sous n'importe quelle forme, permettant de déterminer si la mise en oeuvre de ce projet est susceptible d'entraîner une contamination radioactive des eaux, du sol ou de l'espace aérien d'un autre Etat membre. La commission doit émettre son avis dans les 6 mois. A ce jour, cet avis concernant Chooz B n'a pas été publié.
     Enfin, l'utilisation de l'eau de Meuse à des fins de distribution à grande échelle met en question l'acceptabilité du fonctionnement de Chooz B1 et B2 eu égard aux nouvelles normes de base qui seront imposées par la Directive Européenne actuellement en cours d'adoption le Conseil (le Parlement Européen a approuvé le rapport de Paul Lannoye le
20 avril dernier).
suite:
 L'article 7 de cette directive impose notamment que toute activité impliquant une exposition aux rayonnements ionisants soit justifiée par les avantages qu'elle procure.
     Est-ce bien le cas de Chooz B dont les avantages sont pour le moins discutables?

La notion de seuil d'irradiation inoffensif est dépassée

     La directive Européenne Euratom (80/836) fixe les limites de doses au-dessus desquelles il est exclu d'exposer les populations. Cette directive se base sur les recommandations d'une publication de la Commission Internationale de Protection des Rayonnements (CIPR) datant de 1977. Une directive modifiée sera prochainement approuvée par le conseil des ministres européens; elle propose des limites de doses cinq fois plus faibles. Un changement majeur est apparu dans les concepts de base de la CIPR: la reconnaissance de l'absence de seuil pour les effets cancérigènes et les effets génétiques: toute dose de rayonnement si faible soit elle, accroît le risque cancérigène et génétique. Cette hypothèse est aujourd'hui la mieux fondée scientifiquement. Ce sont les effets des «faibles doses» avec effets cumulatifs.

Dans quel contexte se place le démarrage de Chooz B

     Au fil des années 80, le nucléaire est devenu une source d'énergie non rentable si l'on tient compte de la vérité des coûts: la sécurité et la maintenance accrues suite aux accidents de Three Miles Island (USA) et de Tchernobyl, le démantèlement des centrales arrivées en fin d'exploitation, la gestion des déchets hautement radioactifs dont on ne sait que faire, l'échec de la filière plutonium et de l'indépendance énergétique française sont autant de surcoûts qu'on ne peut plus cacher aux contribuables.

Les opinions publiques sont majoritairement opposées à la relance de programmes nucléaires.
En Europe, seules la France et la Grande-Bretagne persistent

     Actuellement l'industrie nucléaire ne peut faire état d'aucune commande de nouveaux réacteurs; seuls cinq chantiers sont en voie d'achèvement: Chooz B1 et B2, Civaux, Golfech 2 pour la France et Sellafield pour la G.-B.
     Dans la perspective du renforcement de l'Union Européenne, l'exception française est condamnée probablement à une mort inéluctable.
     Que deviendront alors les prototypes, têtes de filières de Chooz B? La durée de construction exceptionnellement longue (13 ans!) a grevé les coûts d'investissement, qu'en sera-t-il des coûts de fonctionnement? Ces deux tranches de 1.450 MW seront les premières du genre installées en France et dans le monde.
     Notre région a d'autres vocations que d'être un site d'accueil de prototype nucléaire comme ce fut déjà le cas pour la première centrale Chooz A de 305 MW, premier réacteur à eau pressurisée en Europe et proportionnellement l'un des plus polluants.
     Le 31 mai dernier, les Verts belges et français ont inauguré symboliquement aux portes de la centrale le musée de l'industrie nucléaire. Ce ne serait pas la première fois qu'une centrale achevée ne démarrerait pas, comme ce fut le cas à Kalkar en Allemagne, Tulnerfeld en Autriche (officiellement transformée en musée!), Lemoniz en Espagne, Montalto et Cirene en Italie.
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Ce que demandent les Verts
     Nos exigences ont été déposées auprès de la commission d'enquête et du préfet des Ardennes:
     - un véritable point zéro radiologique, un protocole pour un contrôle indépendant et transparent de la radioactivité et une étude d'impact complète.
     - une évaluation d'impact globale et transfrontalière: la convention d'ESPOO signée en 1991 au nom de l'union mais non encore ratifiée à ce jour prévoit une étude d'impact transfrontalière pour toutes installations nucléaires susceptibles d'affecter plusieurs Etats, ce qui est bien le cas de Chooz B. En outre, elle inclut, pour tout projet, non seulement l'analyse des différentes variantes envisageables, mais surtout l'option Zéro, c'est à dire l'abandon du projet.
     - analyse prévisionnelle des coûts de production de l'électricité des unités de Chooz B au long de leur durée de vie, sur la base de différents scénarii de prise en compte des coûts écologiques et sociaux et une étude coûts-avantages (directive EURATOM), sachant que les rejets radioactifs vont affecter la qualité de l'eau de la Meuse en France, Belgique et Pays-Bas.
     Les Verts ont remis le 16 juin près de 400 lettres pétitions recueillies auprès des habitants de la pointe de Givet, refusant d'être pollués par EDF. Bien évidemment, la population, qui s'est vu imposé deux centrales, qui a subi la pollution de Chooz A, n'a plus guère d'illusion de ne pas voir Chooz B démarrer.
     Néanmoins, les habitants ne sont pas dupes des mensonges entendus aussi bien lors de Tchernobyl que lors du fonctionnement de Chooz A, qui a connu de nombreuses pannes et arrêts. Malgré la constatation d'un fort vieillissement, la centrale a redémarré en 1988, pour s'arrêter définitivement en 1991.
     La lutte Antinucléaire est désormais un combat politique, à mener dans le cadre d'un renforcement de l'union européenne. C'est l'Europe qui mettra au ban des accusés la mafia nucléariste des «Garetta» du nucléaire.
François DUFOSSET
Secrétaire Régional des Verts Champagne-Ardenne
     Le dossier complet de nos interventions et dossiers de presse est disponible auprès des Verts des Ardennes, Galerie Ducale, 10 rue Irénée Carré, 08000 Charleville-Mézières, Tél. 24.59.91.26.
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