La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°111/112

COMMISSION LA HAGUE
Extraits du CR du 5 avril 1991
Rencontre avec le CPSN
(Comité International de la Sécurité Nucléaire)


1. Exposés en séance
     M. Kaluzny: Je représente le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires qui a en charge le contrôle de sûreté de ces installations, c'est-à-dire les feux verts / rouges sur le fonctionnement de ces installations. Sur le problème des déchets, vous avez manifesté certaines inquiétudes relatives aux déchets de faible activité stockés sur le Centre Manche de l'ANDRA, puis les conclusions du rapport Bataille, où il vous semblait que certains aspects étaient oubliés. M. le Préfet Anciaux vous a dit que la représentation parlementaire contrôlait de manière tout à fait étroite les affaires nucléaires. Ceci se traduit, cette année, de façon concrète. M. Birraux a vu sa mission reconduite. Notre service, en particulier, est contrôlé par cette Commission parlementaire et nous avons à lui rendre compte de nos activités.
     Pour ce qui concerne plus particulièrement le problème des déchets, si nous prenons l'exemple du Centre Manche aujourd'hui, vous savez qu'il arrive à saturation de sa capacité, ce qui conditionne l'acceptation des déchets.
     La fermeture du Centre Manche ne doit pas se voir comme la fermeture d'un simple commerce où on mettrait la clé sous la porte, c'est quelque chose de plus complexe au plan de la sûreté. Ce centre a fait l'objet, l'an dernier, d'une ré-évaluation de sûreté pour voir concrètement, au point de vue impact radiologique, si nous devions avoir des préoccupations particulières. Pour les opérations de fermeture proprement dites, elles vont demander de 4 à 5 ans, avec comme étape essentielle la pose de la couverture et l'évacuation d'un certain nombre de déchets, qui sont des déchets à vie longue essentiellement et qui ne peuvent pas, compte tenu des normes actuelles, être acceptés dans ce centre de stockage. La fermeture d'un centre de stockage de déchets de faible activité est une première. Nous avons examiné le concept global de la couverture, nous allons veiller à sa mise en place par plusieurs inspections.
     Grâce à cette couverture, on cherche à limiter les infiltrations d'eau. Le concept de base d'un centre de stockage, tel que développé par l'ANDRA et réalisé pour le centre de l'Aube qui devrait ouvrir ses portes à l'horizon septembre 1991, c'est d'éviter que les déchets ne soient lessivés par l'eau, ce qui nécessite d'avoir une couverture la plus étanche possible. Au point de vue matériaux utilisés, il s'agit d'une membrane bitume et de couches d'argile; reste la difficulté de mise en œuvre de ce genre de matériaux et la question de la qualité de leur fabrication par l'ANDRA et les entreprises sous-traitantes.
     De façon concrète, cela se manifeste par un certain nombre de points d'arrêt lors desquels nous demandons à l'ANDRA quels sont les travaux qui sont prévus, dans quelles conditions va être posée la membrane, quelles sont les conditions qui seront imposées à leurs sous-traitants et quels sont les programmes de contrôle qui seront mis derrière pour avoir une certaine garantie sur ce qui se passe pour ce Centre. Lorsque les opérations de fermeture seront réalisées, ceci ne devrait pas aboutir à un abandon pur et simple du centre de stockage pendant 300 ans;
suite:
la surveillance radiologique est nécessaire, d'une part pour s'assurer de la protection des populations, d'autre part pour s'assurer qu'effectivement on ne voit pas de signes précurseurs de dissémination d'activité.
     En ce qui concerne le rapport Bataille et le problème de la gestion des déchets radioactifs, vous avez souligné que ce rapport insiste sur les déchets vitrifiés; en effet ces derniers contiennent la majeure partie de l'activité contenue initialement dans les combustibles irradiés. Mais ceci n'est pas le seul problème. Il y a aussi les déchets de faible et moyenne activité. De façon simplifiée, je dirai que les déchets vitrifiés ne causent aucun souci. A l'horizon 2010, le volume prévisionnel de production de ces déchets est de 4.000 m3.
     Les problèmes éventuels qui pourraient se poser concernent les déchets de faible et moyenne activité; nous allons avoir en effet, des volumes beaucoup plus importants et ceci dépasse aussi le problème de la Cogéma et rejoint le problème du groupe CEA lui-même qui, par le biais de ses multiples activités de recherche ou de production, a accumulé depuis 20 ans une proportion non négligeable de déchets de moyenne activité à vie longue. Les prévisions, à l'horizon 2000 sont de l'ordre de 140.000 m3 cumulés. En terme d'entreposage, on pourrait être inquiet si, dans le cadre des programmes qu'on essaie de relancer actuellement pour la recherche d'un site de stockage profond, nous avions des retards tout à fait significatifs.
     Plus on aura du retard, plus on aura besoin d'entreposages intérimaires et plus le risque résiduel (risques d'agression externe sur ce genre de stockage) peut être important. Il faut absolument ne pas perdre de vue, pour la problématique des déchets qui vont aller en stockage profond, la notion de ces déchets à vie longue qui ne sont pas les déchets vitrifiés mais qui peuvent représenter du volume, donc un certain risque. En terme de risque potentiel, on a du mal aujourd'hui à imaginer des accidents majeurs comme celui de Tchernobyl, mais ce n'est pas une raison pour ne pas les prendre en compte. Nous sommes tout à fait vigilants pour savoir dans quelles conditions ces déchets seront entreposés. Aujourd'hui, j'aurais tendance à considérer que Cogéma est presque le bon élève de la c1asse.
     Concernant les déchets qui sont conditionnés en ligne dans le cadre d'UP3, nous trouvons les résidus de cisaillage qui sont cimentés, et les boues de traitement des effluents (dans la station de traitement des effluents) pour lesquels nous avons des entreposages de bonnes conditions.
     Aujourd'hui, l'un des points noirs de l'usine de La Hague, ce sont les entreposages qui ont été accumulés dans le passé depuis 1964 ou (?) 1966, début du fonctionnement de l'usine; récemment le Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaires s'est penché sur cette question, notamment lors de ses réunions d'octobre 1990 pour souligner qu'effectivement, il était quand même regrettable qu'on ait attendu tout ce temps pour essayer de développer des techniques de conditionnement. C'est pourquoi l'une des actions du SCSIN aujourd'hui, c'est d'essayer de pousser Cogéma à définir en premier lieu des moyens de reprise et de conditionnement de ces déchets.
p.20

     Ainsi, dans les 2 ans qui viennent, Cogéma doit nous soumettre un dossier de sûreté préliminaire qui explique dans quelles conditions Cogéma pourrait reprendre ces déchets et surtout dans quelles conditions ils seront conditionnés. Si on essaie de poursuivre cette démarche, c'est aussi pour voir quels peuvent être les conditionnements du futur qui pourraient présenter un certain nombre d'avantages, soit en terme de matrice, soit en terme de réduction de volume; la réduction de volume n'est pas tout à fait neutre sur le plan industriel, et là j'aurais tendance à considérer que l'incitation est évidente puisque le volume des déchets induit un coût d'entreposage; donc il n'y a pas forcément besoin de beaucoup d'impulsion de la part des services de sûreté pour pousser Cogéma à le faire pour voir la situation s'améliorer.
     Cogéma, pour tout ce qui concerne le cœur du procédé, est parvenu à un fonctionnement tout à fait valable mais doit encore faire un certain nombre de progrès pour la gestion de ses déchets. Certains signes sont encourageants: lorsqu'on voit les premiers bilans de fonctionnement de l'usine UP3, on s'aperçoit qu'on a quand même beaucoup moins de déchets produits que ce qui était prévu par l'étude d'impact des usines. Ceci montre que, par une organisation interne adéquate et une bonne exploitation du retour d'expérience, on peut améliorer les choses. Quant au retour des déchets, lorsque les contrats de l'usine UP3 ont été signés, un certain nombre de lettres inter-gouvernementales ont été échangées avec les principaux clients de la Cogéma, qui arguaient du principe que ces gouvernements ne s'opposeraient pas au retour des déchets.
     Dans le cadre des décrets créant l'usine UP3, il est prévu que les spécifications de conditionnement des déchets sont soumis à l'appropriation des Ministres de l'Industrie et de l'Environnement. Concrètement, cela veut dire qu'on a d'abord, par le biais de règles fondamentales de sûreté, cherché à définir les paramètres importants à considérer quant au conditionnement des déchets; puis avant le démarrage de l'usine UP3, on a vérifié que les spécifications des déchets soumises par la Cogéma correspondaient bien aux règles fixées.
     Sur le plan international, chacun des clients de Cogéma a dû faire le même exercice avec son autorité de sûreté. Dans le cadre des relations entre ces diverses autorités de sûreté, je peux vous dire aujourd'hui que nous avons un groupe de travail se réunissant 2 fois par an et dont le but est de faciliter le transfert d'informations entre la Cogéma et les autorités étrangères pour voir quels sont les points importants à considérer dans les spécifications des déchets; le groupe s'attache aussi à répondre aux préoccupations des clients étrangers. Les déchets vitrifiés ont ainsi été quasiment approuvés par tous ces clients étrangers.
     Les discussions en cours, avec les autorités allemandes (avec lesquelles nous avons beaucoup de contacts), sont très avancées; au sujet des déchets cimentés et des déchets bitumés, nous espérons que, d'ici 1 an et demi, leurs spécifications puissent être officiellement approuvées de leur côté. Dans ce cadre, notre rôle est justement de faciliter la circulation de l'information et d'essayer de hiérarchiser les problèmes pour bien faire ressortir quels peuvent être les critères de sûreté; la condition principale, à mon sens aujourd'hui, est que les spécifications des déchets Cogéma donnent tous les paramètres nécessaires permettant d'effectuer une étude de sûreté de leur stockage définitif.
suite:
     J'essaierai de répondre très rapidement au problème du ratio. Concernant les prévisions 2010, leur calcul ne prend pas en compte des réductions de volume à venir; en effet, on conçoit que la source de réduction du volume des déchets B et des déchets bitumés ne se situe pas vraiment au niveau du fonctionnement de la station de traitement des effluents, mais au niveau du confinement et de la gestion quotidienne des usines. C'est la façon dont on organise le procédé, les recyclages des flux de matières pour pouvoir en envoyer une partie vers les déchets vitrifiés, vaporation qui entraîne une réduction du volume tout à fait sensible.
     Les chiffres avancés sont des ordres de grandeur. Il ne faut pas perdre de vue qu'on a relativement peu de déchets vitrifiés par rapport aux déchets B; si on a des questions à se poser dans l'avenir vis-à-vis du stockage profond, c'est en terme de surface d'entreposage, d'augmentation des volumes nécessaires pour l'entreposage des déchets B par rapport à l'ensemble des déchets C.
     Il y a de grandes chances que, sur le plan de la sûreté, les questions se posent d'abord à propos des déchets B avant de se poser pour les déchets C. Je répondrai par écrit beaucoup plus longuement à votre question.
     Sur le Centre de stockage de La Hague, un certain nombre d'opérations sont en cours; elles ne vont pas aussi vite qu'on pourrait le souhaiter, comme le montre l'exemple cité des fûts de déchets radifères. Ces déchets sont issus de l'ancienne usine du Bouchet. A l'époque, on a considéré qu'on ne pouvait pas stocker ce genre de déchets sur site et on les a entreposés au Centre Manche; aujourd'hui, comme on ferme le Centre Manche et qu'on a besoin d'un petit peu de place, il va falloir désentreposer ces déchets.
     Ce sont des déchets qui vont rester au moins 20 ans en entreposage; Icur composition chimique est telle qu'ils renferment des substances corrosives et leur reconditionnement pose des problèmes difficiles en cours de résolution. Cela fait 2 ans qu'on est en discussion avec l'ANDRA et une première partie a été réglée l'été dernier, qui correspond, sur le plan technique, au reconditionnement des fûts de 50 litres; la question des fûts de 100 litres reste encore à voir. Ce sont des opérations qui sont vues au cas par cas sur la base de propositions de l'ANDRA et qui, en tout état de cause, seront effectivement résolues progressivement.
     Prenons un autre exemple: il y a un certain nombre de fosses d'entreposage de déchets, une partie en cours de reprise va aller en entreposage sur le Centre de Cadarache que le CEA destine à être un centre d'entreposage un peu regroupé de l'ensemble de ces déchets.
     Sur le site de La Hague, il existait une installation nucléaire qui s'appelait ELAN 2B, qui était destinée à extraire du césium pour en faire des sources radioactives. Sur le plan industriel, cela ne s'est pas révélé intéressant et l'installation est en cours de démantèlement et génère des déchets qui sont fortement chargés en césium. Aujourd'hui, l'un des débats est de savoir si on peut transformer cet ouvrage en stockage définitif ou s'il va falloir retirer ces déchets.
p.21

     Aujourd'hui, la balle est dans le camp de l'ANDRA. C'est à l'ANDRA de proposer une solution, de faire une analyse de sûreté pour voir si cela fonctionne. En ce qui concerne le problème de l'équivalence des déchets B et C, je répondrai uniquement sur le plan de la sûreté; il est vrai qu'au niveau européen, il y a eu un certain nombre de discussions pour savoir comment, de façon subtile, on pourrait définir une équivalence entre les déchets B et les déchets C. Personnellement, j'aurais tendance à considérer que ce sont des questions commerciales. Sur le plan de la sûreté, je ne connais qu'une seule chose: le stockage définitif, conditionné par une analyse de sûreté, va occuper un certain volume de déchets C, un certain volume de déchets B, et muni d'un inventaire, c'est sur la base des propriétés de confinement de tous ces colis que je vais juger les choses.
     A titre personnel, je considère que c'est un problème commercial qui n'est pas à l'ordre du jour et pour moi, cette équivalence n'a absolument aucun sens. Aujourd'hui, tant au stade des lettres inter-gouvernementales qu'au stade des contrats de retraitement, il est prévu le retour des déchets. Nous avons ainsi des discussions avec la partie allemande sur l'acceptation des spécificités des déchets sédimentés et des déchets bitumés.
     M. Anciaux: Je vous demanderai de me remettre vos questions par écrit et je vous répondrai de la façon la plus précise possible.
     M. Cauvin: En fait, beaucoup de ces questions tournent autour de la gestion des déchets et des problèmes de stockage, lesquels seront à l'ordre du jour de notre prochaine réunion.
     Mme Sené: Je voudrais revenir sur le problème de l'entreposage et ce que vous avez dit est fort intéressant, particulièrement en ce qui concerne les déchets radifères qui posent un problème par leur composition chimique. Il est nécessaire d'étudier d'une façon extrêmement approfondie leur entreposage parce que, sinon, cela veut dire que dans 20 ans, quand on va vouloir les reprendre, on va encore avoir des problèmes. Vous dites on va les renvoyer dans leur pays d'origine et on a des discussions; mais les allemands ont des exigences sur les bétons bitumes et, nous-mêmes, on n'est pas sûr des bétons bitumes. Le plan quinquennal du CEA contient des idées là dessus et plein de choses ne sont absolument pas résolues.
     Il y a encore énormément de travail à faire. Cela veut dire que, même pour l'entreposage, on risque d'entreposer actuellement des déchets que l'on sera obligé de reprendre, et dans des conditions qui ne seront pas forcément plus aisées qu'actuellement.

2- Question de Monsieur Barbey
     1) Le PPI, définissant les zones d'évacuation et de confinement autour de La Hague, n'a-t-il pas été largement sous-évalué? Quel est l'accident majeur pris en référence pour établir cette réponse de sécurité civile? Quelles en seraient précisément les conséquences?
     Une étude avait porté sur la mise en ébullition des cuves P.F. avec, comme donnée de base, un volume de 240 m3. Il yen aurait aujourd'hui 1.400 m3...
     2) La Cogéma n'est-elle pas en situation d'illégalité en ce qui concerne ses rejets chimiques (notamment le T.B.P., un solvant organique)? Cogéma en parle très brièvement dans l'étude d'impact de 1983, mais l'autorisation de rejets délivrée en 1984 ne concerne que la partie "radioactive". Il n'y a pas eu d'étude d'impact pour les rejets chimiques. L'arrêté préfectoral délivré par la suite est-il conforme à la législation en vigueur?
     Ne pourrait-on concevoir une seule autorisation pour les rejets radioactifs + chimiques mais après une étude d'impact correcte et complète?
Point 1:
     Une installation nucléaire de base est conçue et exploitée de manière à ce que des parades appropriées puissent être en œuvre pour faire face aux différents scénarios accidentels imaginables. C'est ainsi que des systèmes de sauvegarde respectant notamment les critères de redondance sont prévus pour se substituer aux systèmes de fonctionnement normaux qui s'avèreraient défaillants.
     En application du principe de défense en profondeur, on imagine toutefois que ces systèmes de sauvegarde peuvent, à leur tour, être défaillants malgré la faible probabilité d'un tel cumul d'incidents. L'étude de ces séquences accidentelles de très faible probabilité sert de base à l'élaboration du plan particulier d'intervention visant à protéger les populations des risques ainsi encourus.
     Pour l'usine UP3, l'accident qui a été étudié est la perte prolongée du refroidissement des solutions de produits de fission. Pour en prévoir les conséquences, il convient de définir les quantités des solutions qui seraient concernées ainsi que leurs principales caractéristiques (origine, activité volumique, température ... ).

suite:
La solution de référence qui a été étudiée correspond à un volume de 240 m3, soit l'équivalent de deux cuves, correspondant à la quantité maximale produite par l'usine pendant un an. Il est en effet prévu de vitrifier une quantité de produits de fission équivalente à celle produite. L'origine en serait du combustible usé retiré trois ans auparavant du réacteur, irradié à 33.000 MWjt-1.
     La puissance volumique moyenne des produits de fission lors leur entreposage serait de 8 W/l. Dans cette hypothèse, l'ébullition commencerait environ 7 heures après la perte du refroidissement. Pendant cette phase de 7 heures, il n'y a aucune émission d'effluents radioactifs à l'extérieur. Cette période peut être mise à profit pour préparer les mesures de protection du public qui pourraient s'avérer opportunes. Il est admis que le délai maximal au bout duquel des moyens de refroidissement pourraient être établis est 24 heures. Pendant la période d'émission de rejets radioactifs de 7 heures ainsi définie, l'activité qui serait rejetée a été évaluée de 2,5 térabecquerels. Les conséquences radiologiques pour la personne la plus exposée, et en l'absence de mesures particulières de protection seraient de 2,7 rems pour le corps entier.
     On peut rappeler que la CIPR préconise l'absence de toute contremesure en dessous de 0,5 rem, le confinement facultatif entre 0,5 et 5 rems, le confinement obligatoire et l'évacuation optionnelle entre 5 et 50 rems.
     Tel est donc l'accident majeur pris en référence pour l'usine UP3. En fait, la limite de 240 m3, en produits de fission équivalent à ceux pris dans l'étude, ne sera pas atteinte avant un délai indéterminé compte tenu, d'une part, de la mise en service prochaine de l'atelier de vitrification, d'autre part du fait que les combustibles retraités ont été retirés des réacteurs depuis plus de dix ans. 
Monsieur Barbey mentionne le chiffre de 1.400 m3 de produits de fission entreposés dans l'ensemble industriel UP2. Il s'agissait de la situation début 1990. Depuis lors, la vitrification des produits de fission se traduit par la réduction du volume des produits entreposés. C'est ainsi qu'au 1er janvier 1991, le volume de produits de fission n'était plus que de 1.158 m3. Il convient de préciser qu'il s'agit de produits "anciens" de faible puissance volumique de chauffe puisque selon les cuves, cette puissance volumique varie de 0,13 W/l à 3,13 W/l au maximum. Seuls les contenus de deux cuves d'un volume global de 145 m3 seraient susceptibles d'atteindre l'état d'ébullition, et cela environ 24 heures après l'arrêt de refroidissement. Dans de telles conditions, la perte de refroidissement ne se traduirait que par un début d'émission de rejets radioactifs de très faible ampleur, avant qu'il ne soit possible de retrouver une situation sûre.
     Par ailleurs la mise en service de l'usine UP3 a été l'occasion pour l'autorité de sûreté de demander à l'exploitant d'élargir les accidents "hors dimensionnement" pris en considération afin d'en évaluer les conséquences. Cela permettra également de s'assurer que la perte de refroidissement des solutions de produits de fissions est bien toujours l'accident de référence. 
Point 2:
     L'exploitant a été autorisé, par des arrêtés interministériels signés le 22 octobre 1980 et le 28 mars 1984, à rejeter en mer des effluents liquides radioactifs.
     Dans ces effluents, des substances chimiques, notamment du tributylphosphate, des nitrates et des métaux lourds, sont associés aux radionucléides.
     La règlementation des substances chimiques associées aux radionucléides a posé un problème juridique qui n'a été tranché que le 27 janvier 1987 par un avis du Conseil d'Etat. Celui-ci a indiqué que la totalité de l'effluent, y compris ses composants non radioactifs, devait être réglementée dans le cadre de rejets d'effluents radioactifs.
     Les arrêtés interministériels de 1980 et 1984 rappelés ci-avant ne mentionnent pas les substances chimiques associées aux radionucléides, et l'exploitant n'est donc pas autorisé à rejeter ces substances.
     On ne saurait imputer à l'exploitant la responsabilité de cette situation. En effet, il avait clairement indiqué la nature et les flux de ces substances chimiques dans sa demande d'autorisation de rejet d'effluents radioactifs.
     Cette demande a été soumise à enquête publique lors de la procédure préalable à l'arrêté de 1984 mentionné ci-avant. La question des substances chimiques associées aux radionucléides n'a cessé depuis lors d'être épisodiquement soulevée par divers intervenants.
     La situation actuelle place l'exploitant dans une vulnérabilité juridique certaine. Les autorités chargées du contrôle sont exposées à tout moment au risque d'être appelées à justifier leur absence d'intervention.
     En conséquence, j'ai demandé à ces autorités, qui sont les Ministres chargés de l'Environnement et de l'Industrie de mettre fin à cette situation en modifiant les arrêtés interministériels d'autorisation de rejets d'effluents liquides radioactifs.
p.22

Le dépotoir de Saint-Aubin
     Le 6 mars 1991, le CEA a publié les résultats des analyses effectuées par des équipes du CEA et du CNRS sur le site de Saint-Aubin. Dans une note du 6 mars, la Direction du CEA présentait les résultats d'une façon tout à fait originale. Comme pour les journaux, les Becquerels c'est trop compliqué, le CEA se mettant à leur portée utilise une unité beaucoup plus familière, le gramme. Ce n'est pas l'unité légale de radioactivité mais quand on veut communiquer au diable la légalité!
     Ainsi au CEA on trouve dans le paragraphe "Commentaire officieux du CEA, Résultats des analyses comparatives sur la déposante de Saint-Aubin": "Les principaux résultats montrent une grande concordance; ils sont les suivants:
     - 0,22 gramme de plutonium...
     - 1 milligramme de Césiun 137...
     - 20 milliardièmes de gramme de cobalt 60 sous forme de grains..."
     Les journaux d'informations ont transmis fidèlement l'information (voir Le 
Monde du 8 mars 1991 par exemple).
     Qui pourrait s'inquiéter de 0,22 gramme de plutonium?
     Ces valeurs traduites en Becquerels, l'unité légale de radioactivité, cela donne:
     - 500 millions de Bq de plutonium
     - 2,8 milliards de Bq de césium 137
     - 900.000 Bq de cobalt 60.
     Quelques remarques s'imposent:
     1. Le terrain contaminé a une surface de 70.000 m2, cela donne une contamination surfacique moyenne sur le site de Saint-Aubin:
     - pour le plutonium: 7.140 Bq/m2 ou 0,2 Curie/km2
     - pour le Césium 137: 40.000 Bq/m2 ou 1 Curie/km2
     Signalons que suite à l'accident de Tchernobyl, l'isoligne qui délimite la zone contaminée par le plutonium correspond à 0,1 Curie/km2. L'isoligne qui délimite les zones contaminées par le Césium 137 correspond à 1 Curie/km2. On voit donc qu'il ne s'agit pas dans le cas de Saint-Aubin d'un niveau de radioactivité tout à fait négligeable. Bien sûr, la comparaison avec la contamination post-Tchernobyl en Biélorussie et en Ukraine n'est pas complètement correcte car il s'agit à Saint-Aubin d'un très petit territoire sur lequel il n'y a aucune activité agricole el qui n'est pas un lieu d'habitation. Mais il n'empêche qu'il s'agit d'un terrain bien contaminé.
     2. Pour le cobalt 60, aucun souci se faire, les grains ont été "retirés lors des prélèvements". En somme, les physiciens qui ont fait les mesures sur les prélèvements ont eu la gentillesse de ne pas rejeter leurs échantillons contaminés sur le site!
suite:
     3. Pour le strontium 90, "des mesures ont été faites à partir de trois échantillons". Il n'y a dans le rapport du CEA aucune indication sur la contamination totale du terrain en strontium 90. Evidemment avec seulement 3 mesures un tel bilan était difficile!
     4. En ce qui concerne le cocktail des autres radioéléments trouvés, radium 226, plomb 210, europium, thorium, americium, etc... le rapport est très succinct.
     5. En ce qui concerne les doses de rayonnement, le rapport du CEA signale:
     "D'après les calculs de l'IPSN (organisme du CEA), une personne vivant 24 heures sur 24 sur le terrain de Saint-Aubin recevrait un équivalent de dose supplémentaire de 0,6 mSv/an (60 millirem par an)". Les résultats des calculs de l'IPSN ont été remis au professeur Guillaumont, président de la Commission mise en place par le Préfet de l'Essonne. Il n'est pas mentionné si les modèles mathématiques ayant servi au CEA pour calculer l'effet de la pollution que cet organisme a créé ont été fournis à la Commission.
     Signalons que depuis 1985 la Commission Internationale de Protection Radiologique a fixé à 1 mSv/an (100 millirem par an) la limite de dose "acceptable" pour le public. Et il ne faut pas oublier qu'une personne vivant sur le site de Saint-Aubin recevrait en plus les effluents radioactifs gazeux du centre d'études nucléaires de Saclay. Il est évident que dans ces conditions la limite de la CIPR serait assez bien dépassée.
     6. Il semble que les physiciens des laboratoires "indépendants" du CNRS qui ont participé aux mesures sur le site de Saint-Aubin n'ont pas été choqués que l'unité choisie pour présenter leurs travaux eut été le gramme. Question: dans leurs publications, ces chercheurs utilisent-ils le gramme comme unité de mesure de radioactivité?
     7. Enfin, il faut quand même dire un mot sur une autre innovation du CEA.
     L'expression "déposante" utilisée pour le site de Saint-Aubin n'existe pas dans le Petit Robert. On y trouve divers termes possibles:
     - "dépôt: action de confier à la garde de quelqu'un, de placer dans un lieu sûr". Ce terme, évidemment, ne convient pas pour Saint-Aubin.
     - "dépotoir: lieu destiné à recevoir les matières de vidange". Ce terme semble assez bien convenir pour le site d'après le rapport du CEA lui-même qui précise "cette radioactivité provient de l'épandage des boues résultant du traitement à Saclay des eaux industrielles du Centre".
     - "décharge: lieu où l'on décharge". Ce terme pourrait convenir mais dépotoir semble mieux approprié pour ce qui s'est passé à Saint-Aubin. Nous proposons donc à la Commission chargée d'étudier celle affaire d'utiliser l'expression la plus adéquate de "dépotoir de Saint-Aubin".
p.23

INFORMATIONS SUR LE SITE D'AURIAT
     Depuis une dizaine d'années l'IPSN (Institut de Protection et Sûreté Nucléaire) poursuivait à Auriat dans la Creuse des études sur le comportement des roches granitiques en cas d'enfouissement de déchets nucléaires de Haute Activité. Ce ne devait être que des recherches fondamentales, en aucun cas le site ne pouvait être retenu comme lieu d'enfouissement définitif; l'IPSN l'avait affirmé haut et fort.
     Ayant appris à se méfier des déclarations officielles, les populations locales n'avaient jamais vraiment cru aux propos rassurants de l'IPSN, et restaient vigilantes sur les agissements de cet institut dépendant du CEA. Deux événements ont mis le feu aux poudres de leur colère:
     1. Ces populations avaient obtenu, en février 1990, lors de manifestation sur le site, l'extension à Auriat du moratoire décrété par M. Rocard, alors Premier Ministre, gelant pour 1 an les travaux de recherches sur les 4 autres sites d'enfouissement officiellement désignés (Ain, Aisne, Deux-Sèvres, Maine et Loire). 300 personnes, ce jour-là, avaient été témoin directs de la prise de position du ministère de l'Industrie: à Auriat aussi on arrête tout pour un an.
     Le but de cette suspension était, officiellement, de réfléchir à des solutions autres que l'enfouissement définitif (plus vraisemblablement s'agissait-il d'une manœuvre visant à calmer des esprits échauffés).
     Or, en novembre 1990, au bout de 9 mois, les ingénieurs de l'IPSN, MT Chapuis et MT Derliche, reviennent sur le site! Devant l'étonnement inquiet des populations, ils organisent une réunion publique d"'information", au cours de laquelle certains des témoins de février s'entendent répondre, sans rire (!), à la question sur le non-respect du moratoire: "le moratoire, quel moratoire?!... (Mr Derliche).
     Le mépris des "Ploucs" à ce point-là dépassait les bornes. Beaucoup parmi les auditeurs, après avoir boycotté la réunion, ont commencé à envisager le "passage à l'acte" comme la seule solution possible.
     2. La publication fin 1990 du rapport Bataille (de l'Office Parlementaire d'Evaluation), rendant public le fait que, depuis 1983, Auriat faisait bel et bien partie des "zones potentiellement favorables" à un enfouissement, a éveillé la colère des élus et a fait le reste...
     "Rien ne devra se faire sans l'avis des populations" a-t-on dit à l'Assemblée Nationale en 1981 (Parti Socialiste). L'avis des populations d'Auriat, le CEA et le gouvernement le connaissaient depuis longtemps: pétitions, réunions publiques, etc... les en avaient maintes fois avertis.
     La logique de la situation de mépris dans laquelle les habitants se sont sentis tenus, a conduit à cette action spectaculaire "illégale mais légitime". Les deux forages ont été définitivement rebouchés par des gens estimant normal de "reprendre en main l'avenir de leur sous-sol" puisque les autorités avaient l'intention de laisser dégrader.
     Ils ont laissé sur place une "proclamation":
     "Attendu
     - que nous considérons l'enfouissement des déchets radioactifs comme une solution irresponsable qui ne garantit aucune sécurité à long terme,
     - que le moratoire d'un an que nous avons obtenu le 16.02.1990 n'a pas été utilisé à réfléchir à d'autres solutions que l'enfouissement pour éliminer ces déchets,
     - que cette solution ainsi imposée aux populations présentes et à venir est antidémocratique,
     nous refusons que notre sous-sol devienne le dépotoir d'une industrie que l'on nous a imposé,
     nous ne faisons plus confiance au gouvernement et à ses services et nous décidons de reprendre en main l'avenir de notre sous-sol".
p.31

Retour vers la G@zette N°111/112