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N°103/104

A PROPOS DES SITES DE STOCKAGE DE DÉCHETS


PRÉAMBULE

     Par lettre du 23 février 1990, le Ministre de l'Industrie et de l'Aménagement du Territoire a saisi le Collège de la Prévention des Risques Technologiques de l'examen des questions relatives aux différentes solutions envisageables en matière de gestion des déchets nucléaires à vie longue, aux perspectives du retraitement poussé, à la réversibilité du stockage et aux perspectives de coopération européenne dans ce domaine. Il lui a demandé de lui faire part des problèmes dont l'étude apparaîtrait nécessaire au Collège pendant la période de suspension des travaux.
     Le Collège de la Prévention des Risques Technologiques qui s'était penché sur le problème depuis plusieurs mois déjà, a rendu le premier avis qu'il est prévu de compléter dans un avis ultérieur.

PREMIER A VIS DU COLLÈGE DE LA PRÉVENTION DES RISQUES TECHNOLOGIQUES SUR LE STOCKAGE SOUTERRAIN DES DÉCHETS NUCLÉAIRES À VIE LONGUE

     1. La filière actuelle de retraitement des combustibles irradiés déchargés des réacteurs nucléaires, en France, produit deux catégories de déchets: les déchets dits «à vie courte», dont le stockage en surface, surveillé pendant près de 300 ans, est possible et les déchets dits «à vie longue» qu 'il est prévu de stocker définitivement en couches géologiques profondes.
     Parmi ces derniers, les déchets vitrifiés, parce qu'ils dégagent de la chaleur, sont entreposés et ventilés dans des installations de surface pendant toute la période de forte activité thermique evaluée à trente ans au moins.
     Quant aux autres déchets à vie longue, ils ne nécessitent pas un stockage souterrain immédiat, dès lors que les conditions de leur entreposage en surface, sont correctement assurées. Si les conditionnements actuellement pratiqués ne présentaient pas, sur une longue durée, une stabilité suffisante, il conviendrait, non pas d'enfouir ces déchets prématurément, mais de les soumettre à de nouveaux conditionnements assurant une meilleure aptitude, non seulement à leur entreposage, mais aussi à leur stockage définitif.
     L'option du retraitement, adoptée en France, n'est pas la seule concevable: on peut considérer les combustibles irradiés comme des déchets et envisager de les enfouir directement, ou au contraire procéder à un retraitement plus poussé des combustibles. Quelle que soit l'option choisie, il est pratiquement certain qu'un résidu de déchets contenant des radionucléides à longue durée de vie subsistera, la séparation de ces radionucléides ne pouvant être absolument totale.

suite:
     En toute hypothèse, s'agissant des déchets d'ores et déjà produits, il n'est pas envisageable, ni aujourd'hui, ni dans un avenir prévisible, que la totalité d'entre eux puisse être soumise à une décontamination suffisamment poussée en corps à vie longue pour qu'ils puissent faire l'objet d'un stockage de surface, fût-ce après plusieurs siècles de confinement.
     Si le problème de l'enfouissement définitif de déchets à vie longue ne se pose pas avant au moins vingt ans, il est en revanche inéluctable, seules la quantité et la nocivité des déchets à enfouir pouvant dépendre de l'option choisie. Il importe donc de poursuivre les études relatives à la sûreté de tels enfouissements en couche géologique profonde, ces études étant elles-mêmes de très longue durée. Etant donné l'importance du programme électronucléaire de la France, il serait préjudiciable qu'elle accentue le retard qu'elle a déjà pris depuis plusieurs années dans la conduite de ces études.
     2. La démonstration de la sûreté de ces stockages profonds sera d'autant plus aisée à obtenir que la nuisance potentielle à long terme des déchets aura été réduite. D'autre part, il est légitime de penser que la décision de stockage sera plus facilement acceptée s'il est établi que tout a été fait pour en réduire le risque au strict minimum.
     Cela implique qu'aucun déchet ne doit être enfoui irréversiblement avant qu'aient été explorées les diverses voies qui permettraient d'extraire la majeure partie des radionucléides à longue durée de vie des résidus destinés à la vitrification.
     Cet engagement doit être pris publiquement et les instructions voulues données au Commissariat à l'Energie Atomique pour que cette recherche soit poursuivie sans délai avec des moyens accrus afin d'aboutir à une évaluation claire, technique et économique des perspectives industrielles de cette extraction avant le début de l'exploitation du stockage.
     3. La suspension des travaux de reconnaissance géologique ne doit pas faire obstacle à la prise de mesures qui font actuellement défaut, à savoir:
     - énoncer et faire connaître les objectifs fondamentaux de sûreté du stockage, sans attendre l'ensemble des résultats des mesures menées en laboratoire souterrain;
     - évaluer les limites dans le temps, les avantages et les inconvénients d'une éventuelle réversibilité du stockage;
     - reprendre rapidement les études, indépendantes des 4 sites sur lesquels les travaux ont été interrompus, et relatives aux propriétés intrinsèques des formations géologiques présélectionnées (granite, schiste, argile et sel).
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     4. Le processus devant aboutir au stockage doit offrir le maximum de garanties.
     - A cet effet, lors de la reprise des travaux sur les 4 sites, plusieurs laboratoires souterrains, et non un seul, devront être créés.
     - D'autre part, aucun entreposage de déchets à proximité des sites étudiés ne viendra préjuger, même en apparence, le choix final du, ou des sites de stockage qui sera clairement reporté après la phase d'études.
     5. D'une manière plus générale, il convient de procéder à un réexamen du cadre institutionnel dans lequel se déroulent ces opérations.
     - La collaboration européenne devra être intensifiée, notamment dans le cadre du quatrième programme communautaire sur les déchets;
     - A toutes les étapes, l'évaluation des études menées en laboratoire souterrain devra être soumise à une expertise indépendante et publique, avec participation internationale;
     - Des procédures permettant une meilleure information du public et sa participation aux processus de décision devront être élaborées.
     Par ailleurs, le Collège se réserve de préciser ultérieurement son avis sur d'autres points et notamment sur les suivants:
     - Rôle du SCSIN, autorité de contrôle, chargé d'assurer du point de vue de la sûreté la cohérence globale des opérations allant de la production des déchets à leur stockage définitif.
     - Rôle des autres acteurs concernés par le problème des déchets nucléaires (EDF, CEA, COGEMA, ANDRA).
     6. L'ensemble de ces initiatives ne saurait pour autant dispenser d'un véritable débat national, réunissant des élus, des scientifiques et des associations, sur les questions soulevées par la gestion des déchets nucléaires.
     Un tel débat devrait rendre accessible à un public non spécialisé les enjeux des politiques possibles.

EXPOSÉ DES MOTIFS

     Depuis près de 20 ans, un important programme de production d'électricité d'origine nucléaire a été engagé dans notre pays.
     Ce programme représente la source principale de déchets radioactifs qui proviennent essentiellement de la fin du cycle du combustible nucléaire.
     L'accumulation de ces déchets au fil des ans nécessite l'établissement et la mise en œuvre d'une politique de gestion techniquement fondée sur la prise en compte d'impératifs de sûreté à court et à très long terme et qui soit socialement acceptée.
     Si la production des déchets dépend directement de l'option choisie pour gérer les combustibles irradiés, la situation actuelle justifie un nouvel examen de certaines des données techniques et institutionnelles.

1 - La production des déchets:
     Après quelques rappels relatifs aux déchets contenant des radionucléides à vie longue, nous examinerons les trois options de base de gestion des combustibles irradiés.

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A. Rappels:
     Des déchets radioactifs contenant une proportion plus ou moins importante de corps dits à vie longue proviennent de l'utilisation de la filière uranium-plutonium de production d'électricité.
     Ces corps sont formés au sein des combustibles nucléaires par irradiation neutronique lors de leur séjour dans les réacteurs. Ce sont d'une part certains produits de fission (technetium-99, cesium-135), et d'autre part des transuraniens (neptunium, plutonium, americium et curium). Ils présentent au moins deux caractéristiques - une durée de vie très longue (elle peut s'étendre sur des milliers de siècles) et une radiotoxicité élevée -, qui nécessitent de les isoler de la biosphère pendant des durées variables selon leur nature, mais qui se situent à l'échelle des temps géologiques.
     Ces considérations ont conduit à un classement des déchets nucléaires selon trois grandes catégories A, B et C en raison de leur teneur en émetteurs a à vie longue et de la chaleur dégagée par la très forte radioactivité des produits de fission, de période relativement courte (30 ans ou moins).
     Les déchets A sont les plus volumineux (environ 1 million de m3 cumulés en l'an 2000; ils ne contiennent que des traces de radionucléides à vie longue dont l'activité massive par émission a est réglementairement limitée à une valeur moyenne (sur l'ensemble du stockage) fixée à 0,01 Ci/t par les autorités de sûreté. Ils sont essentiellement constitués par les déchets provenant du fonctionnement des réacteurs. Ils peuvent être stockés en surface, sous réserve d'une surveillance du stockage pendant toute la durée (de l'ordre de 300 ans) nécessaire à la décroissance radioactive des émetteurs à vie courte qu'ils contiennent. Ils ne dégagent pratiquement pas de chaleur.
     Les déchets B (environ 80.000 m3 cumulés en l'an 2000 ne dégagent pas non plus de chaleur mais ont une teneur moyenne en émetteurs a (essentiellement du plutonium) supérieure à la valeur acceptée pour les colis individuels de déchets de type A (0,1 Ci/t et exceptionnellement 0,5 Ci/t).
     Les déchets C (environ 3.000 m3 cumulés en l'an 2000 sont de loin les plus dangereux: contenant la quasi totalité des produits de fission, ils dégagent de la chaleur et contiennent en général une quantité importante d'émetteurs a.
     Ces deux dernières catégories de déchets résultent des opérations post-réacteur portant sur les combustibles irradiés et éventuellement sur le recyclage des matières fissiles qu'ils contiennent (uranium, plutonium). Il est prévu de les stocker en profondeur dans une formation géologique appropriée, destinée à empêcher ou tout au moins à maintenir dans des limites acceptables le retour à la biosphère des radionucléides après destruction des conteneurs.

B. Les trois options de base de gestion des combustibles irradiés:
     Lors de son chargement dans le réacteur, un combustible standard de la filière à eau ordinaire (la plus répandue au niveau mondial) est constitué d'oxyde d'uranium enrichi à environ 3,5% en U-235 (l'isotope fissile), le reste étant de l'U-238. Après un séjour en réacteur de l'ordre de 3 ans, sa composition s'est profondément modifiée. A côté de l'uranium restant (environ 96% en masse), dont l'enrichissement est passé de 3,5 à environ 0,9% d'U235, se sont formés d'une part du plutonium (un peu moins de 1% en masse), d'autre part les produits de fission et les autres transuraniens (environ 3% en masse). Une fois déchargé du réacteur, ce combustible irradié est entreposé en piscine près du réacteur pour une première désactivation.

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     A partir de là, on peut distinguer trois options principales de gestion de ce combustible:
     1. Le retraitement immédiat, en fait après une période de 3 à 5 ans d'entreposage, consiste à extraire séparément l'uranium et le plutonium contenus dans les combustibles. Cette option s'accompagne d'une production de déchets, essentiellement des types B et C. Les déchets C sont constitués par l'ensemble des produits de fission et des transuraniens autres que le plutonium. Les déchets B sont les déchets de procédés[1] et une partie des déchets technologiques[2]. Cette option est celle qui a été retenue dans les pays qui se sont engagés dans le retraitement (France, Royaume-Uni, Japon). Il est prévu, en l'état actuel des choses, que les déchets B seront conditionnés dans les nouvelles usines de La Hague sous forme de bétons et de bitumes et les déchets C sous forme de verres; ces deux types de déchets sont destinés à être stockés définitivement en profondeur.
     2. Le non-retraitement revient à considérer le combustible irradié comme le déchet ultime de catégorie C (il n'y a pratiquement plus de déchets B provenant de la fin du cycle). Après une période d'entreposage de plusieurs décennies, le combustible irradié est stocké définitivement en couches géologiques profondes. Cette voie envisagée par les Etats-Unis, le Canada et la Suède, l'est également par un certain nombre de pays pour une partie de leurs combustibles.
     3. Le retraitement poussé consiste à isoler des combustibles irradiés non seulement l'uranium et le plutonium mais également les autres transuraniens. Associé à un scénario de destruction progressive de ces corps à vie longue par incinération neutronique dans des réacteurs spécialisés ou non à cet effet, le retraitement poussé vise à réduire au maximum la présence de radionucléides à longue durée de vie dans les déchets B et C, afin de s'affranchir au mieux des incertitudes liées au stockage en couches géologiques profondes. Moyennant un facteur suffisant de décontamination en corps à vie longue, on pourrait peut-être faire l'économie d'un stockage à grande profondeur de déchets C vitrifiés, dont la décroissance de radiotoxicité deviendrait alors compatible avec un entreposage surveillé de quelques siècles. Cela dit, et même dans cette option, la production de déchets B lors des opérations de retraitement et de fabrication des combustibles-cibles resterait inévitable, les séparations ne pouvant être efficaces à 100%, et nécessiterait un stockage définitif en profondeur d'une certaine quantité, qui devrait toutefois être beaucoup plus réduite, de radionucléides à vie longue, malgré l'effort de décontamination que cette option suppose.
     Le retraitement poussé n'est actuellement pratiqué nulle part, mais a fait l'objet de nombreuses études de faisabilité et d'impact radiologique. En France, la commission Castaing a recommandé dans son premier rapport (1) que des études soient activement menées pour qu'un tel retraitement poussé puisse être mis en œuvre dès la fin de ce siècle; elle a souligné dans son troisième rapport (2) que «la majorité de ses membres considère le retraitement poussé comme la solution intrinsèquement la plus satisfaisante du problème de la fin du cycle électronucléaire».
     Cette voie est maintenant prise à nouveau en considération - au moins à titre exploratoire - au Japon, en Inde et aux Etats-Unis. Il faut souligner que le retraitement poussé représente une filière industrielle nouvelle dont la mise en place demandera, si on s'y engage, d'importants efforts de recherche et développements.
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Conclusion:
     Il ressort de ce qui précède que, quelles que soient les options de gestion des combustibles, une certaine forme de stockage définitif en profondeur paraît indispensable.
     Toutefois, l'ampleur des problèmes soulevés par le stockage est directement liée à l'option choisie car celle-ci influe sur les quantités, la nature et la radiotoxicité des déchets produits.

II. Les données techniques
     Certaines conditions techniques doivent être réalisées avant tout stockage en profondeur. Elles sont relatives à la production des déchets nucléaires eux-mêmes et au choix du site de stockage.

A. Les déchets:
     Dans le cadre de l'option choisie en France, à savoir le retraitement des combustibles irradiés, il importe tout d'abord de minimiser, au niveau des usines de retraitement, les quantités de déchets, de les décontaminer au mieux en émetteurs a et enfin de les enrober dans une matrice dont l'aptitude au stockage à long terme dans le site réel d'enfouissement soit acquise. Examinons ces trois critères.
     - La minimisation des quantités et volumes de déchets est atteinte avec l'option non-retraitement. Toutefois la dimension du stockage géologique serait du même ordre avec les options non-retraitement et retraitement immédiat, car elle est principalement déterminée par la chaleur que dégagent les déchets C. En revanche, dans le cadre d'une option de retraitement poussé, la taille du stockage profond, qui concernerait uniquement des déchets B, pourrait être beaucoup plus modeste.
     - Le conditionnement mérite d'être précisé. Il est clair que la matrice d'enrobage des déchets doit être telle qu'elle diffère dans le temps la dispersion des radionucléides dans le milieu environnant. Il apparaît à cet égard que la matrice d'oxyde d'uranium, que constituent les combustibles irradiés eux-mêmes, est plus sûre que la matrice vitreuse des déchets C de retraitement[3]. Il semble toutefois difficile de démontrer qu'une matrice soit susceptible de retenir complètement les radionucléides à longue période pendant les milliers de siècles nécessaires à leur décroissance radioactive et la sûreté à très long terme du stockage ne peut dès lors reposer que sur l'aptitude des barrières artificielles et naturelles à empêcher ou tout au moins à ralentir suffisamment leur retour à la biosphère. L'efficacité de cette rétention doit être adaptée à la nuisance potentielle du stockage à l'époque où la matrice et le conteneur du déchet deviendront inaptes à retenir les radionucléides, d'où l'intérêt de retarder au maximum cette époque.

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[1] Les déchets de procédés sont les résidus des procédés mécaniques et chimiques de séparation et du traitement des effluents.
[2] Les déchets technologiques résultent du fonctionnement de l'usine.
[3] On se réfèrera au phénomène du réacteur fossile d'Okhlo au Gabon (4). Il s'agit d'un gisement très riche en oxyde d'uranium qui fut, il y a plus d'un milliard d'années, le siège de réactions de fissions, analogues à celles qui se produisent dans un réacteur nucleaire. On constata que l'ensemble des transuraniens formés restèrent piégés dans la matrice d'oxyde d'uranium elle-même.
     Il faut noter que, s'agissant de l'aptitude des conditionnements au stockage à long terme des déchets, il subsiste actuellement un certain vide réglementaire: à l'heure présente, on n'a pas arrêté de critères précis qui permettraient de juger de la sûreté à long terme de tel ou tel conditionnement. On en trouve une illustration frappante avec les difficultés actuelles rencontrées par nos autorités de sûreté pour autoriser le démarrage du bitumage dans les nouvelles installations de La Hague (5).
    Il paraît urgent de définir clairement ce qu'on attend des conditionnements pour la sûreté à long terme en situation réelle d'enfouissement. Les autorités de sûreté seraient alors mieux à même d'exiger éventuellement l'adoption de nouveaux procédés de conditionnement des déchets B, procédés qui sont réalisables et dont la sûreté à long terme serait a priori meilleure que celle des conditionnements actuels.
     Pour ce faire, on pourrait envisager un entreposage prolongé des déchets B et C sur les lieux de production, sans emprise excessive de surfaces de terrains, ce qui permettrait d'éviter des transports délicats. Leur surveillance peut être facilement exercée en mettant à profit les infrastructures et les compétences existantes qui pourraient par ailleurs s'avérer nécessaires en cas de reprise de ces déchets pour un conditionnement plus performant. Enfin, cette pratique permettrait d'éviter que les études en laboratoire souterrain semblent préjuger d'une décision prématurée sur le stockage définitif.
     - La décontamination, qui ne prend son sens que dans le cadre d'une option de retraitement, vise par la réduction du «terme source» à limiter à un niveau acceptable les risques qui pourraient résulter d'une rétention insuffisante par les barrières artificielles et naturelles.
     Le retraitement poussé doit être activement examiné et un effort particulier de recherche et de développement engagé car ce n'est qu'au vu des résultats de ces recherches que pourra être levé le doute sur la nature des déchets dont le stockage souterrain est indispensable.

B. Le choix du site:
     Une fois conditionnés, les déchets seront, après une période d'entreposage, enfouis en profondeur dans une formation géologique satisfaisant à un certain nombre de critères de sûreté (faible perméabilité, minimisation des écoulements d'eau, stabilité géologique, etc...) qui doivent garantir une limitation des doses reçues par un groupe critique vivant autour du site et ce, à différentes époques du futur.
     Le choix d'un tel site est une procédure longue et complexe.
     La méthode qui a été adoptée en France par les Pouvoirs Publics s'inspire partiellement des recommandations contenues dans le 3e rapport du «groupe Castaing» (2), tandis que les critères géologiques de sûreté découlent implicitement du rapport du «groupe Goguel» (3).
     Au terme d'un premier examen, quatre sites potentiellement faborables ont été sélectionnés (granit dans les Deux-Sèvres, schiste dans le Maine et Loire, sel dans l'Ain et argile dans l'Aisne).

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     Sur chacun de ces quatre sites, l'ANDRA, organisme chargé de la gestion des déchets nucléaires, devait entreprendre des observations à partir du sol et par forages visant à qualifier l'un de ces 4 sites pour l'établissement d'un laboratoire souterrain. A l'issue des recherches conduites dans ce laboratoire, une décision devait être prise de créer (ou non) le site de stockage lui-même. Après la période de remplissage, il était prévu que le site ainsi choisi soit bouché, éventuellement surveillé pendant une certaine durée, puis abandonné d'une manière pratiquement irréversible.
     Ce schéma, tel qu'il apparaît dans divers documents, appelle les remarques suivantes:
     Contrairement à la suggestion du «groupe Castaing» de mettre plusieurs sites en compétition moyennant la construction de plus d'un laboratoire souterrain, la méthode arrêtée par les Pouvoirs Publics consiste à vérifier que le site unique où un seul laboratoire aura été créé est «acceptable» pour un stockage de déchets.
     La crédibilité de cette démarche est faible pour les raisons suivantes:
     a - Comment décider que le site où le laboratoire souterrain a été construit est «acceptable», en l'absence de Règles Fondamentales de Sûreté qui fixeraient les objectifs à atteindre pour les études menées dans ce laboratoire?
     b - Le coût (de l'ordre de 1 milliard de francs) d'un seul laboratoire et les difficultés rencontrées par l'ANDRA pour sa construction, pèseront nécessairement très lourd en faveur de la création sur place du site de stockage. Le discours selon lequel «si les résultats ne sont pas satisfaisants, on renonce et on passe à un autre site» n'est simplement pas cru par les populations concernées. Ce sentiment de «coup parti» est renforcé par la durée relativement courte annoncée par l'ANDRA pour le fonctionnement du laboratoire.
     Or, la faisabilité du projet doit être scientifiquement établie. 
     Trois conditions nous apparaissent donc indispensables pour assurer cette crédibilité:
     1. Préalablement à toute reconnaissance géologique sur les quatre sites sélectionnés, il importe d'arrêter, comme ce fut le cas à l'occasion du stockage en surface de Soulaines, des règles fondamentales de sûreté déterminant les critères requis pour qu'un sous-sol puisse être retenu comme site de stockage. Le problème de la réversibilité éventuelle du stockage devrait faire l'objet d'examens complémentaires.
     2. Plusieurs laboratoires souterrains doivent être installés afin, non seulement de rechercher si les sites sont conformes aux objectifs de sûreté mais aussi de déterminer celui qui remplit les meilleures conditions pour un stockage éventuel. Dans l'hypothèse du stockage de déchets B et C, le site qu'il conviendrait de retenir pourrait être différent pour ces deux catégories de déchets.
     3. L'ensemble des études menées dans ces laboratoires souterrains devrait être rendu public, notamment dans des colloques et au travers de rapports qui circuleraient dans la communauté scientifique internationale travaillant sur ces questions, en vue de recueillir des avis et critiques par le canal des échanges scientifiques normaux (comme ce fut le cas en Suède lors des projets KBS-3 de stockage définitif de combustibles irradiés).
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     L'organisation du travail scientifique dans ces laboratoires souterrains doit intégrer une expertise scientifique multiple exempte de secret.
     Par ailleurs, des études doivent être entreprises afin de déterminer des solutions aux problèmes de mémorisation par les générations futures de la présence et de la nature d'un site de stockage ainsi que d'identifier les aspects humains et socio-économiques liés aux facteurs d'acceptabilité et aux conséquences prévisibles sur les économies locales.

Conclusion:
     La phase de recherche est nécessairement longue. Elle doit être reprise dès que possible. Cela ne signifie pas qu'il y ait urgence à stocker les déchets B et C.

III. Données institutionnelles:
     Pour que les travaux interrompus le 7 février 1990 puissent reprendre dans des conditions meilleures d'acceptabilité, certaines mesures institutionnelles doivent également être prises pour permettre aux populations concernées d'identifier clairement les différentes phases du choix, les associer aux différentes phases de la décision et établir ainsi la crédibilité du projet.

A. Séparer l'étude et la décision:
     Les opérations préalables de reconnaissance géologique et les recherches en laboratoires souterrains constituent la phase d'étude scientifique. Elle doit être nettement distincte du processus ultérieur de décision qui doit conduire ou non au choix d'un site de stockage.
     Cela signifie notamment qu'aucun déchet ne devra être entreposé à proximité d'un lieu d'étude géologique, avant que celui-ci soit choisi comme site de stockage.
     Il s'agira non pas de démontrer qu'un site convient pour l'implantation d'un stockage de déchets radioactifs, mais de rechercher si ce site a des propriétés conformes aux objectifs de sûreté.

B. Améliorer le processus de décision:
     La phase de décision commence au moment où sont exploitées les études de laboratoire dans le cadre de l'expertise diversifiée que nous préconisons. Cette expertise doit au demeurant s'appuyer sur la collaboration internationale et particulièrement européenne dans le cadre du 4e programme communautaire de recherche et de développement technologique qui constitue un élément de crédibilité supplémentaire. Cette collaboration sera d'autant plus fructueuse que d'autres pays se sont déjà engagés dans la construction de laboratoires dits de 2e génération, visant à qualifier un site donné pour le stockage. Dès ce moment tout les intervenants, public compris, doivent être associés à la décision.
     - La recherche de nouvelles procédures doit être engagée, facilitant notamment une information pluraliste et la prise en compte dans de véritables débats des points de vue exprimés.
     Actuellement, l'enquête publique paraît inadaptée tant est grand le déséquilibre entre une décision d'intérêt national et une consultation locale à l'occasion de laquelle les critiques ou contre-propositions peuvent vite prendre l'aspect de doléances individuelles sans pouvoir réel d'infléchissement.
     D'autre part, devrait être revu l'équilibre général des relations complexes entre l'autorité de sûreté (SCSIN), le principal producteur de déchets à vie longue (COGEMA) et le gestionnaire de ces déchets (ANDRA).
     La responsabilité du gestionnaire des déchets est particulièrement importante puisque c'est ce dernier qui garantit - sous le contrôle de l'autorité de sûreté et conformément aux normes qu'elle doit établir - la fiabilité de l'opération finale de stockage et son incidence acceptable sur l'environnement. Afin d'y procéder dans les meilleures conditions, il importe que soit assurée la plus grande indépendance du gestionnaire des déchets à l'égard du producteur de déchets, dont les préoccupations s'inscrivent d'abord dans une logique industrielle.
     Entre ces deux institutions désormais autonomes l'une par rapport à l'autre, la continuité serait assurée par l'autorité de sûreté dont la présence, à toutes les étapes du cycle, devrait être renforcée.
     C'est dans un tel contexte de «séparation des pouvoirs» et de clarté des opérations que le dialogue entre les populations et le promoteur des projets pourrait être repris. Il revêt une importance capitale. Toutefois, si ces conditions nous apparaissent nécessaires, il serait téméraire d'affirmer qu'elles soient suffisantes: quinze années d'insuffisance dans la communication ne se rattrapent pas facilement.
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Références
(1) 1er rapport du «groupe Castaing» (Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire - Rapport du groupe de travail sur la gestion des combustihies irradiés. Décembre 1981 - Novembre 1982. Ministère de la recherche et de l'industrie).
(2) 3e rapport du «groupe Castaing» (Conseil Supérieur de la Sûreté Nucléaire - Rapport du groupe de travail sur les recherches et développements en matière de gestion des déchets radioactifs. Octobre 1983 - octobre 1984. Ministère du redéploiement industriel et du commerce extérieur).
(3) Rapport du «groupe Goguel» (Conseil Supérieur de Sûreté et Information Nucléaire) - stockage des déchets radioactifs en formation géologiques. Juin 1985 - Mai 1985. Ministère de l'industrie. des P. et T. et du tourisme).
(4) R. Hageman, R. Naudet et F. Weber, enseignement tiré de l'Etude des Réacteurs d'Okhlo pour le stockage des Déchets Radioactifs, Int. Symp. on the Underground Disposal of Radioactive Wastes, IAEA, Helsinki, juillet 1979.
(5) Rapport du Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaires (rapport sur les suites données par le Commissariat à l'Energie Atomique aux directives ministérielles relatives aux recherches et développements en matière de gestion des déchets radioactifs. 3 mai 1988.

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