La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°88/89

3. TRANSMIS PAR L'A.S.V.P.P.
(Association de Sauvegarde des Vallées
et de Prévention des Pollutions,
8, rue P. Pierron, Thiaville, 54120 Baccarat)
Dans le journal Blabla:
 

     - Origine: «Les sources d'information du dosage de la radioactivité en Lorraine» 
     - Auteur: Docteur D. Briançon - Chouanière 
     - Organismes responsables 
     · Observatoire de la Santé et des affaires Sociales en Lorraine 
     · Département de Santé publique de la Faculté de médecine 
     · Comité Consultatif régional de la promotion de la 
Santé, DASS-Lorraine. 
     Ce document est un extrait d'une étude faite en Lorraine, il complète bien le document du Var que nous publions aussi dans cette Gazette. Bonne lecture. 

RÉSULTATS DES MESURES
SYNTHÉTISÉES PAR PRODUIT
OU MILIEU TESTÉ

1. Précisions techniques
     Les mesures, effectuées en Lorraine et que nous avons pu recenser, portent sur l'air, l'eau, les dépôts au sol, les thyroïdes de bovins, le lait, les végétaux. 
     Presque tous les radio-éléments présents dans le nuage venant de Tchernobyl sont des émetteurs b ou g sauf le Krypton 85 et le Strontium 90 qui sont émetteurs b pur. Les mesures portent habituellement sur le rayonnement total puis sur le rayonnement émis par chaque radio-élément. Un radio-élément est caractérisé par un spectre d'énergie; en se plaçant sur une fenêtre entourant le pic énergétique, on recueille le nombre de coups émis par le radio-élément. 
     Certains organismes, non officiels, qui ont voulu mesurer la quantité d'iode 131, ne disposaient pas de l'étalon correspondant dont la période est très courte (8,05 jours). Or, l'étalon permet de bien ajuster l'enregistrement sur une fenêtre parfaite. 
     Un certain nombre de radio-éléments sont habituellement mesurés par les organismes officiels (CEA, SCPRI). Ils permettent une surveillance stricte et un diagnostic à distance en cas d'évacuation dans l'atmosphère des produits radioactifs. Nous n'avons pu répertorier, dans la limite de cette étude, l'effet de tous les radio-éléments du nuage sur les organismes vivants 
     En effet, un autre versant complémentaire à cette étude aurait dû décrire, à travers la littérature, l'effet biologique de chaque radio-élément. Nous n'avons retenu que les principaux connus pour leur retentissement sur les organismes vivants : Iode 131, Tellure 132, Césiurn 137, Krypton 85, Baryum 140, Strontium 90.

suite:
     Certains pourtant présents dans le nuage et ayant des effets biologiques ne figurent pas dans tous les tableaux car ils n'ont pas été mesurés. C'est le cas du strontium 90 qui se fixe sur l'os. 
     Le CEA nous a précisé que l'activité en Strontium 90 trouvée dans les prélèvements d'herbes ou de végétaux (salades et épinards de la région parisienne) est de l'ordre de 1 à 10 % de l'activité en Césium 137. 
     Les résultats chiffrés qui suivent doivent être replacés dans la situation habituelle d'exposition des individus. 
L'irradiation naturelle représente 1.10-3Sievert[1]) provenant de l'irradiation terrestre, cosmique et corporelle; le corps humain contient du Potassium 40 responsable à lui seul de 0,4 x 10-3 Sievert (40 millirem/an) (ce qui correspond à une activité de 2.000 Bq environ).
     L'irradiation liée au développement des techniques (écran cathodique, montre, etc...) et à l'irradiation médicale représente 1.10-3 Sievert (100millirem) supplémentaire par an. 
     Le seuil admissible pour le public est de 5 x 10-3 Sievert (0,5 rem par an) et pour les travailleurs exposés de 5 x 10-2 Sievert (5 rem par an).
 

2.Air
     La valeur maximalé quotidienne trouvée en mai à Vioménil est de 25 Bq/m3 (mesure portant sur les poussières atmosphériques de l'air au niveau du sol, effectuée 5 jours après la fin du prélèvement). Les valeurs habituelles sont 20.000 fois moins importantes (0,0013 de maximum en mars 1986 à Vioménil). 
     Le SCPRI ne donne pas la date de la valeur maximale. Par contre, d'après le CEA, c'est bien le 1er mai que les valeurs ont été maximales avec 9,4 Bq/m3 en Iode 131 et 5,3 Bq/m3 en Césium 137 (valeurs mesurées à l'antenne de Verdun). 
     Les mesures de l'air ambiant sont faites sur des filtres qui retiennent les poussières atmosphériques. C'est l'activité de ces poussières qui est ainsi testée et non des gaz radioactifs. 
     Certaines critiques ont été faites aux techniques françaises de filtrage qui semble avoir sous-estimé l'activité de l'air. Il est à noter qu'aucun organisme non officiel lorrain n'a pratiqué de mesures de l'air ambiant. 
[1] Pour mémoire: 1 Sv = 100 Rem; 1 mSv = 100 mRem
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p.19

     Un laboratoire de la Faculté de Sciences a enregistré par le passé en continu cette radioactivité, mais faute de moyens, a cessé cet enregistrement quelques mois avant «Tchernobyl». 
     Le «bruit de fond» de nombreux appareils de détection des rayonnements a été augmenté, mais aucune mesure systématisée n'a été réalisée. On nous a signalé une augmentation de celui-ci de 40 à 80% dans les locaux de travail. 
     Les résultats des mesures faites par le SCPRI à Vioménil sont présentés en moyenne par semaine de la radioactivité totale. Ils ne donnent pas non plus le niveau de radioactivité de chaque radio-élément au jour le jour, mais une moyenne sur 16 stations pour tout le mois de mai. Nous n'avons donc pas les concentrations des radioéléments aux périodes des risques maximaux pour Vioménil. Le CEA donne, par contre, pour certaines stations, des résultats par radio-éléments au jour le jour. Mais d'une part, entre les différents documents émanant de cet organisme, on relève pour la station de Saclay, le 1er mai, des valeurs maximales différentes: 18 Bq/m3 sur 2 premiers documents, 10 Bq/m3 et 2 Bq/m3 sur les données du dernier rapport. 
     D'autre part, il n'y a pas forcément de suivi dans les résultats. Si pour les stations d'Orsay et Verdun, nous disposons de toutes les mesures des radio-éléments du 29 avril au 9 mai (1er rapport), nous n'avons pas ensuite ces conséquences pour les autres stations, ce qui empêche de repérer les valeurs maximales. De plus, les différents radio-éléments n'ont pas leur valeur maximale le même jour. Un radio-élément peut être à son maximum tel jour à telle station, mais le sera un autre jour dans une autre 
     L'hétérogénéité des mesures rend-elle compte de concentrations variables des différents produits de fission du nuage au même moment, d'une grande variabilité de celui-ci dans le temps, ou d'une confusion dans les dates?

3. Dépôts au sol
     Nous ne disposons que de quelques résultats du CEA et du SCPRI (via Science et Vie...) non retrouvés dans le document récapitulatif mensuel de mai 1986, publié par le SCPRI. 
     Le CEA et le SCPRI ont des chiffres très différents. Par exemple à Marcoule, 6.300 Bq/m2 le 29 avril pour le CEA et 220 Bq/m2 pour le SCPRI (cité par Science et Vie). Mais les chiffres cités par Science et Vie ne précisent ni le lieu, ni la date, rendant difficiles les comparaisons. 
     Comme pour l'air ambiant, les dépôts au sol (sur herbe, ou dépôt sec) n'ont pas intéressé les laboratoires lorrains. Certains ont effectivement "baladé" des sondes de détection et constaté une augmentation très nette des crépitations, mais considérant que leurs mesures sont peu fiables ou ne disposant pas de mesures de référence, ont préféré ne pas communiquer leurs résultats. On nous a rapporté que, dans le Morvan, des géologues prospectant les gisements d'uranium ont dû cesser lçur activité durant cette période, leurs détecteurs hypersensibles étant «affolés».
4. Eau
     Contrairement à ce que l'on pouvait attendre, les mesures de l'eau n'ont pas non plus intéressé les chercheurs, notamment en ce qui concerne l'eau de consommation de l'agglomération nancéienne provenant pourtant ditectement des eaux de la Moselle. 

suite:
Les seules stations officielles chargées de ces contrôles sont à Apach pour la Moselle, à Chooz pour la Meuse, et à Vioménil pour les précipitations. 
     L'Ecole Nationaie Supérieure d'Agronomie des Industries Alimentaires (ENSAIA) trouvait encore le 27 mai, dans les eaux de pluie recueillies sur le plateau de Brabois, entre 100 et 120 Bq/l pour l'activité totale b). 
     La comparaison entre les valeurs de mars et mai 1986 montre (en activité totale): 
     - pour les eaux de pluie (en activités volumiques) de Vioménil, un passage de moins de 0,25 à 920 Bq/g (entre le 1er et le 11 mai), soit une multiplication par 3.700. 
     - pour l'eau de la Moselle de la station d'Apach 
     · eau filtrée: 0,21 à 0,74 Bq/l (multiplication par 3,5) 
     · résidu de filtration: 1,5 à 54 Bq/g de cendres (multiplication par 35) 
     · boue de décantation: 1,2 à 17 Bq/g calciné (multiplication par 14). 
     L'hétérogénéité du coefficient d'augmentation est, elle aussi, paradoxale. 
     Les mesures pour mai 1986 ne sont pas détaillées, mais données par une moyenne sur le mois.

5. Lait
     Le lait a par contre toutes les faveurs des analyses aussi bien dans le réseau officiel que parallèle. Bon nombre de sociétés laitières qui cherchaient des certificats de non contamination pour l'exportation ont frappé à toutes les portes 
     Les administrations habituellement concernées par la surveillance du lait ont multiplié les prélèvements. Il s'agit notamment: 
     - du laboratoire départemental vétérinaire de Meurthe-et-Moselle. Celui-ci n'étant pas équipé dans ce domaine, les échantillons lorrains ont été analysés au Laboratoire Vétérinaire Départemental de Colmar ou au Laboratoire d'Hygiène Alimentaire de Paris (A partir du mois d'octobre 1987, un service de dosage de la radioactivité est fonctionnel pour les analyses de routine des denrées alimentaires dans ce laboratoire). 
     - Les services d'hygiène du milieu des DDASS qui adressaient du lait lorrain au SCPRI. 
     D'autres structures ont été sollicitées: 
     - L'Ecole Nationale Supérieure d'Agronomie des Industries Alimentaires (ENSAIA) 
     - le Laboratoire de physique des milieux ionisés (Faculté de Sciences) 3 
     - le Laboratoire de Biochimie A (Faculté de Médecine). 
     D'autres ont fait des mesures pour leur propre compte: 
     - Centre de Pédologie Biologique 
     - probablement le CPN de Cattenom.

6. Végétaux
     A partir du 13 mai et jusqu'au 16 juin 1986, des directives émanant de la Direction Généralede la Concurrence ont demandé à leurs Directions Départementales de prélever deux échantillons quotidiens sur des légumes. Ils étaient envoyés au Laboratoire de Massy-Palaiseau puis réexpédiés au SCPRI pour les mesures.

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     Nous disposons des résultats pour les 13-14-15 mai en Meurthe-et-Moselle uniquement. 
     Un service de médecine nucléaire de la Faculté de Médecine de Nancy qui a réalisé des mesures sur des salades de la banlieue nancéienne, les 7 et 8 mai et 25 novembre a trouvé pour l'activité de l'Iode 131 1.222 Bq/kg en mai contre 222 Bq/kg en novembre 1986. 
     L'antenne de Vioménil fournit des résultats sur les végétaux les 5 et 12 mai. Compte tenu de la situation météorologique, il aurait été tout à fait souhaitable d'avoir des résultats pour les 3-4 mai pour des légumes feuilles (épinards, salades) et pour juger de la concentration. Par ailleurs, le SCPRI ne donne pas le résultat de la concentration en Strontium 90 le 12 mai. La comparaison entre les mesures faites à Vioménil les 2 mars et 5 et 12 mai 1986 montre une augmentation:
     - de moins de 0,2 à 88 Bq/g de cendres (5 mai) pour l'activité de l'Iode 131 (multiplication par 440 au moins) 
     - de 0,029 à 0,14 Bq/g - 11 Bq/g de cendres (le 12 mai) pour le Césium 137 (multiplication par 150 au moins) 
     - de moins 0,075 à 10 Bq/g (le 12 mai) pour le Ruthénium 103 (multiplication par 130 au moins) 
     - de moins de 0,2 à 2,8 Bq/g (le 5 mai) pour le Baryum 140 (multiplication par 14 au moins). 
     La possibilité des comparaisons s'arrête là, puisque le CEA et le SCPRI n'ont pas les mêmes méthodes de mesures.... Le CEA mesure sur des légumes frais, le SCPRI sur les cendres dont l'origine n'est pas précisée (s'agit-il de salades, de carottes ou d'autres légumes?). Il aurait été intéressant de rechercher, si elles existent, les tables de conversions entre les deux méthodes. Mais là aussi cette enquête préliminaire n'a pu aborder cet aspect.

7. Produits animaux
     La surveillance de l'Iode 131 par le SCPRI se fait habituellement par des prélèvements de thyroïdes de bovins. Le 25 mars 1986 à Vioménil, les résultats étaient en-dessous du seuil de mesure: 0,055 Bq/g d'organes frais. 
     Les différentes mesures réalisées au cours du mois de mai montrent des chiffres importants allant jusqu'à 450 Bq/g d'organes frais soit une augmentation d'au moins 8.200 fois.
     La dose maximale se situe le 22 mai et l'antenne de Vioménil met en évidence que, constamment, les résultats trouvés (sur 10 prélèvements) ont été au moins de 10 fois supérieurs aux 49 autres prélèvements en provenance du reste de la France: Allier, Sud-Ouest, Eure, HauteLoire, Saône et Loire, Val d'Oise, Haute-Loire, Seine Maritime, Puy de Dôme, Lozère, Côte d'Or, Somme, Yvelines, Aveyron, Yonne. 
     Si l'on compare également ces résultats avec ceux publiés par Science et Vie pour les autres pays européens, l'antenne de Vioménil présente les mesures les plus élevées. 
     On peut montrer que Tchernobyl a induit pour les produits animaux, une concentration 45 fois supérieure à celle produite par les essais nucléaires.

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8. Commentaires
     L'ensemble des éléments mesurés et rapportés ici montre clairement que la Lorraine a subi une importante exposition. 
     Le réseau parallèle de contrôle a bien fonctionné: 7 laboratoires ont fait des mesures. Mais ne disposant pas d'étalons en Iode 131, ou de valeurs de référence antérieures à l'accident, ils émettent des réserves quant à la diffusion ou à la précision des valeurs. Notons cependant qu'aucune mesure ne peut être surévaluée mais au contraire sous-évaluée. 
     Le SCPRI est l'auteur des mesures non seulement pour ses antennes, mais il a également travaillé pour la Direction de la Concurrence, les DDASS. 
     Il n'y a pas de mesures officielles réalisées en Lorraine. Le plus proche laboratoire officiel pour notre région est à Colmar. 
     Enfin, on peut constater qu'il n'existe pas de différences importantes entre les résultats du réseau officiel et ceux du réseau parallèle. 
     Les mesures ont dépassé les limites recommandées d'après les chiffres publiés par Science et Vie pour les salades du 2 mai à Cadarache (CEA), pour la concentration atmosphérique en émetteur b total, en Iode 131 à Vioménil et probablement pour les thyroïdes de bovins, toujours à Vioménil (SCPRI). 
     Cependant, la notion de limite recommandée en matière de radioactivité ne relève pas d'un calcul précis comme pour la dose maximale admissible (DMA) en toxicologie. Pour les denrées alimentaires, ces limites ont d'ailleurs varié durant l'épisode Tchernobyl, servant plus à protéger économiquement les productions agricoles nationales que la santé des habitants
     Le problème de la toxicité des faibles doses reste entier et a bien été mis en évidence par les discussions durant cet épisode. 
     On peut espérer qu'un effet positif de Tchernobyl sera de permettre de mieux cerner ce problème et que l'épidémiologie des cancers et malformations congénitales sera renforcée en Europe (du Nord en particulier). 
     Il faudrait, par ailleurs, pour être objectivement rassuré sur les conséquences de cette pollution,  avoir des résultats: 
     - géographiquement plus précis. Nous disposons, en Lorraine, cette étude le montre, d'un important réseau de laboratoires: ces ressources auraient pu être utilisées à établir une carte très précise de mesures en tenant compte des phénomènes météorologiques locaux (prélèvements des principaux légumes et fruits sur les zones sous précipitations orageuses, et/ou sous vents contaminés). 
     - établis plus vite: le nuage est passé le 1er mai, des orages se sont abattus le 3 mai, les eaux de la Moselle étaient probablement les plus contaminées les 3-4-5 mai, de même pour le lait et les produits végétaux. Les antennes de Vioménil et d'Apach disposent-elles des résultats? Ils ne nous ont pas été communiqués pour ces jours-là. 
     - diversifiés: l'absence de coordination a fait que, sous la nécessité de l'exportation, tous les efforts se sont localisés sur les mesures des produits laitiers; les autres produits alimentaires et l'eau de consommation n'ont pas soulevé le même intérêt.
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L'ACCÈS À L'INFORMATION
ET SA CIRCULATION

     Cette étude n'aurait pas dû avoir lieu, au moins en tant qu'enquête à caractère scientifique. Ses objecteurs relèvent plus d'une démarche d'information à laquelle tout citoyen peut prétendre que d'un travail apportant une plus-value à la connaissance générale. 
     Elle s'est révélée, cependant, justifiée, tant l'information est difficilement accessible, complexe, spécialisée, centralisée. 
     Par ailleurs, elle permettra peut-être de dégager des axes pour améliorer le diagnostic et les décisions à prendre en cas d'accident similaire. 
     Elle a atteint ses objectifs puisqu'elle a permis: 
     - d'accéder à des résultats, non officiels, qui seraient restés ignorés (mais qui ne sont sûrement pas exhaustifs) 
     - de connaître des réseaux de surveillance habituelle 
     - et en cas d'incident, d'identifier des laboratoires compétents pouvant participer à une surveillance régionale.
     Comme nous l'avons précisé plus haut, notre relevé n'est pas non plus exhaustif; la protection civile a, en effet, cette mission, mais réserve son intervention aux cas de pollution sévères.

1. L'accès à l'information
     Quatre structures, disposant de résultats, n'ont pas voulu nous les communiquer. Il s'agit du CPN de Cattenom, du Centre de Pédologie Biologique, de la Direction Régionale et Générale de la Consommation et de la Direction Départementale des Services Vétérinaires. 
     Le SCPRI n'a pas répondu à notre demande sur les résultats des jours les plus exposés - 3 et 4 mai - ni sur l'exactitude des chiffres cités par Science et Vie
Le CEA a, par contre, amplement publié sesrésultats et complété, à notre demande, certaines informations. Nous avons cependant signalé plus haut la non-exhaustivité des résultats(1).
     La plupart des organismes ont coopéré facilement, moyennant quelques précisions sur nos objectifs. Le mandat des trois structures de Santé Publique à l'origine de cette étude et son caractère universitaire ont levé bien des suspicions. 
     Nos interlocuteurs ont trouvé cette synthèse intéressante et utile et en ont apprécié le caractère régional. Les 17 répondants au questionnaire désirent d'ailleurs recevoir le rapport final. 
     Une seule réaction d'agressivité a été notée, vis-à-vis des représentants administratifs de la santé qui n'avaient pas fait leur travail durant cet accident et du fait de notre appartenance médicale et universitaire nous étions désignés comme responsable de ce manque. 
     Mais l'information, pour autant que nous y avons eu accès, n'a pas été quantitativement suffisante. On est loin d'avoir réalisé en Lorraine toutes les mesures indispensables pour porter un diagnostic sur l'importance de la contamination. En période critique, une seule structure centralisée (le SCPRI) est-elle suffisante? En période normale, son intérêt est de pouvoir atteindre un niveau élevé de précision dans les résultats. Mais en période critique, les taux étant multipliés par 10, 100, voire 20.000, la précision peut laisser le pas à la fiabilité qui elle est capitale et doit être un critère de décision pour adopter une stratégie à l'échelle de la région.

suite:
     De plus, la centralisation en période critique manque de souplesse. Il s'agissait de répondre vite à des problèmes simples : «cette salade, arrosée le 3 mai par l'orage, alors que la concentration atmosphérique était maximale, est-elle consommable ou non ?» 
     La solution pouvait se trouver sur place moyennant une bonne organisation régionale ou départementale. Etait-il alors utile d'envoyer cette salade au SCPRI qui, vu l'afflux des demandes, avait besoin outre le temps d'acheminement, d'un délai pour répondre.

2. Circulation de l'information
     Une certaine information existe donc. Mais à qui est-elle parvenue? Nombreux sont les interlocuteurs, qui bien qu'ayant un rôle officiel n'ont pas été informés des résultats alors qu'eux mêmes recevaient de nombreux appels de lorrains anxieux. 
     A titre d'illustration, on peut dire, par exemple, que ces appels portaient sur l'inocuité d'un voyage en Hongrie ou d'un camp d'adolescents en Pologne, sur une demande d'examen radio-isotopique de thyroïdes pour les enfants d'un médecin affolé, sur une demande d'interruption de grossesse après un voyage en avion, etc. 
     Faute de pouvoir s'appuyer sur des résultats, chacun y allait de son «sentiment», de son estimation personnelle. Cette absence d'information a mis bon nombre de ces responsables dans une situation ambigile et difficile. Elle a été source de ressentiments. 
     Les différents télex envoyés aux administrations ne différaient en rien de ce qu'on pouvait lire dans la presse durant les premiers jours de mai : le laconique «absence de danger». 
     La Sécurité Civile est un organisme d'Etat, chargé d'intervenir en cas d'alerte. Son rôle se situe dans l'intervention éventuelle en cas d'accident d'envergure, de quelque nature qu'il soit. 
     En cas de catastrophe nucléaire, un plan appelé «ORSEC-RAD» est déclenché qui, en particulier, fait appel au SCPRI pour la surveillance des différents éléments de l'environnement (du personnel et des moyens techniques sont dépêchés sur la région). La Sécurité Civile dispose par ailleurs d'un réseau d'alerte de surveillance de la radioactivité ambiante. L'alerte ne s'étant pas déclenchée, il n'a pas reçu de mission particulière ni pour la surveillance de l'environnement, ni pour la coordination des mesures, ni pour la centralisation des résultats, ni pour les réponses à donner au public. 
     Les différentes administrations n'ont pas habituellement, pour ce sujet, de coordination officielle, car le SCPRI a pris en charge, au fil du temps, la surveillance des produits végétaux et animaux qui autrefois étaient contrôlés par le Service de Protection des Végétaux, la Direction Départementale Vétérinaire, dotés à cet effet de laboratoires nationaux équipés. 
     Chaque administration a donc appliqué les directives de son ministère de tutelle. Les ministères n'ayant pas harmonisé leur rôle dans le détail, entre eux et avec le SCPRI, la surveillance de certains milieux a été complètement négligée (eau de consommation, végétaux, produits animaux). D'autres ont été surcontrôlês (lait et produits laitiers).

(1) Ndlr: le CEA de Cadarache n'a pas indiquéaux autorités sanitaires de Lorraine qu'il avait fait une étude de contamination du bassin versant de la Moselle.
retour au texte

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     Les responsables des laboratoires non officiellèment mandatés ont, de même, fonctionné en parallèle entre eux, et en parallèle par rapport aux circuits officiels. La plupart de nos interlocuteurs ne connaissaient ni les missions, ni les possibilités des circuits officiels. Ainsi, dans notre région, chacun a cherché, s'est débrouillé (d'où le nombre de mesures «sauvages»), sans profiter de toutes les possibilités techniques et administratives. 8 des 9 questionnaires qui apportent des avis aux questions d'opinions sur Tchernobyl mentionnent la nécessité d'une coordination entre les différents laboratoires: «se connaître, se rencontrer, standardiser les méthodes...».

PROPOSITIONS

     La situation créée par Tchernobyl ne rentrait dans aucun plan pré-établi. Nos institutions ont dû faire face à une situation de relative urgence, imprévue et ont réagi avec la centralisation et la lenteur ordinaire, inadéquate dans ce cas. 
     La surveillance de l'environnement au niveau départemental est assurée Par le service d'«Hygiène du milieu» des DDASS et du Conseil Départemental d'Hygiène qui émet des avis à l'autorité de tutelle. La seule nuisance qui échappe au contrôle de ces instances est justement la radioactivité qui est sous la surveillance exclusive du SCPRI. 
     Le test qu'a représenté Tchernobyl met en évidence la nécessité d'une structure départementale ou régionale: cellule de crise pour certains (2/9 des réponses à la question 11) ou commission permanente (pour les 7 autres). 
     Le souhait des participants est que cette première étude puisse permettre d'envisager à un échelon départemental ou régional: 
     - un recensement exhaustif et précis sur la nature des équipements et le type de mesures possibles et régulièrement remis à jour des laboratoires pouvant participer au réseau de surveillance en cas d'alerte 
     - un bilan des taux de concentration des produits radioactifs pour un certain nombre de produits, alimentaires en particulier. Le SCPRI a 2 antennes en Lorraine (Vioménil et Apach) et bientôt une troisième à Cattenom.

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     Il est normalement chargé de cette surveillance continue. Encore faut-il que cette information soit accessible. Jusqu'à présent les rapports (annuels, trimestriels et mensuels) de ces relevés étaient adressés exclusivement aux préfectures. Les DDASS et les DRASS ne les recevaient pas directement. Les précisions citées plus haut, demandées au SCPRI, ne nous ont pas été apportées 
     - Un réseau régional pour établir ces taux de références de base. Certains laboratoires l'ont proposé et sont prêts à le réaliser. Cela permettrait de couvrir les départements de la Meuse et la Meurthe-et-Moselle, dépourvus d'antennes SCPRI 
     - Un plan d'utilisation des ressources régionales en cas d'accident similaire prévoyant les nécessités techniques (approvisionnement en étalons), l'organisation des contrôles en fonction des compétences, etc. 
     Sur les 17 répondants aux questionnaires, 9 ont manifesté leur souhait de voir se créer un tel réseau et d'y participer. 
     Cette étude, faite à l'initiative de 3 organismes sur des crédits limités et prélevés sur leurs fonds propres, n'a pas la prétention d'avoir étudié le problème dans son ensemble. 
     Ses limites en ont été signalées au fil du rapport. 
     Certains aspects pourraient etre approfondis. Ils ont été également pointés précédemment, mais l'heure n'est plus au constat, mais à une démarche pragmatique de concertation, de stratégie, d'organisation. Si Tchernobyl se reproduisait, que ferions-nous de mieux aujourd'hui ? 
     L anniversaire de «Tchernobyl» a entraîné la production d'un certain nombre d'articles, de bilans, de revues spéciales. La revue Que Choisir a publié en avril 1987 un numéro spécial sur «Tchernobyl ce qui est noté radioactif». 
     Ce bilan réactualise les conclusions de ce rapport sur la nécessité d'une cellule de coordination dont la première mission pourrait être l'organisation du contrôle de l'environnement et des denrées alimentaires et de l'information de la population Lorraine.
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