La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°76/77
SITES DE STOCKAGE: UN POINT

LES BONNES PAGES: SUPERPHENIX
 

     Notre «cher» bijou technologique montre des signes de défaillance, tout juste 14 mois après sa montée én puissance de 1986. Pas triste. D'autant moins triste que si on ne vide pas le réservoir (le fameux barillet) de son sodium, c'est parce que (euphémisme) la station de lavage est indisponible. Eh oui, on a fait démarrer un réacteur prototype, donc a priori à réaction inconnue avec des installations essentielles non terminées, la station de lavage qui permet de débarrasser les combustibles de leur sodium avant de les envoyer dans la station de stockage, le fameux APEC (Atelier pour l'Evacuation du Combustible) n'est pas finie de construire. Nos chers nucléocrates avaient pensé disposer de 400 jours pour la finir. Et manque de chance, le barillet fuit.
     Bien sûr, rien de grave, la fuite de sodium (20 litres à l'heure soit 500 kg par jour parce que la densité du sodium est d'environ 0,9) est faible enfin face aux 700 tonnes du barillet. Rien de grave, c'est peu radioactif.
     Rien de grave, le barillet ne contient que:
     - deux cent quatre vingt dix éléments en acier non irradiés
     - vingt sept éléments en acier légèrement irradiés
     - un élément combustible très faiblement irradié
     - neuf assemblages de combustible et sept assemblages fertiles.
     Alors voilà, on a donc cherché la panne sans vraiment la trouver parce qu'on ne pouvait vider le barillet. Mais tout cela ce n'est pas grave dixit les officiels.
     Eh bien, nous affirmons «Oui c'est grave» parce que l'imprévoyance des nucléocrates est à la hauteur du danger de Superphénix.
     Inconvenable l'incident. Inconvenable de laisser un réacteur en marche alors que ce système est indispensable à l'évacuation du combustible.
     Incroyable d'être aussi léger mais c'est pourtout vrai. Alors que va-t-on faire finalement. On va laisser le réacteur en marche à mi-puissance (tout de même un peu de prudence) et on va évacuer les éléments du barillet. Bien sûr il va falloir 2 mois pour s'en sortir. Enfin pour stocker dans des conditions acrobatiques des éléments qu'on devra manipuler en atmosphère inerte puisqu'on ne peut pas les laver!
     Acrobatique ou pas, pour réparer le barillet il faut bien trouver la panne. Donc on va retirer ces fameux éléments. On va en stocker dans leur emballage sous housse et atmosphère d'azote (les 287), les 27 autres seront en tube d'acier de grosse épaisseur pour empêcher le rayonnement puisqu'ils sont irradiés. Ils seront un jour lavés.
     Quant à l'élément faiblement irradié, il sera mis en conteneur spécial. Reste les 16 derniers dont on ne sait pas encore ce qu'on va faire.
     Enfin, ce barillet pourquoi a-t-il eu la mauvaise idée de fuir? Sa réparation est déjà estimée à 400 millions. Quant à la longueur des travaux, on avance 1 an. Pas mal tout de même.
p.29

     Des mauvaises langues ont insinué que les plans de ce barillet étaient dus aux Italiens et la réalisation aux Allemands. Un complot quoi! Ou l'Axe qui renaît. Bon, trêve de plaisanterie, Superphénix n'est pas au point. Bien sûr ce barillet n'est pas le coeur mais tout de même on ferait bien de se livrer à une étude approfondie de toutes les soudures, ça nous éviterait de désagréables autres surprises.
     Je vous joins un plan du fameux barillet et des commentaires officiels...

Description de l'installation:

     Le barillet de stockage du combustible permet le stockage en sodium à 180°C des assemblages combustibles avant et après leur passage dans le réacteur (voir plan en coupe, ci-dessous):


Schéma représentant le réacteur, le barillet de stockage
et les rampes de manutention des assemblages combustibles

     Le barillet est composé de deux réservoirs concentriques (le réservoir de stockage et le réservoir de rétention) soudés à un plancher métallique obturant le puits de béton dans lequel l'ensemble se trouve.
     Le réservoir de stockage est un cylindre de 9,5 m de diamètre et de 13 m de hauteur.
     Le réservoir de rétention entoure celui de stockage à une distance de 10 cm. Ce dernier est à son tour enveloppé de calorifuge revêtu d'une tôle métallique.
     Des tuyauteries traversent les deux réservoirs en partie haute pour permettre le remplissage et la vidange du sodium, son refroidissement et le remplissage en argon (gaz inerte) de la surface libre du sodium situé dans le réservoir de stockage.
     L'espace entre les deux réservoirs est rempli d'azote (gaz inerte).
     En partie basse de cet espace sont installées 4 bougies (semblables à celles des voitures) qui permettent de détecter la présence éventuelle de sodium (le sodium étant un métal, sa présence met en court-circuit les deux électrodes des bougies). Des détecteurs de fuite de sodium sont également installés dans l'espace compris entre la double enveloppe calorifugée et le béton armé du puits du barillet.
     Le barillet peut abriter jusqu'à environ 400 assemblages et contient 700 tonnes de sodium.
     Il y a actuellement, en son intérieur, environ 300 faux assemblages (maquette en acier utilisée pendant les essais), quelques assemblages neufs et 10 assemblages combustibles dont certains ont été utilisés au cours des essais neutroniques: leur puissance résiduelle est très faible (inférieure à 100 W: une grosse ampoule), et ces assemblages peuvent être refroidis sans aucun problème en l'absence de sodium.

suite:
Une courte

     EDF publie un journal luxueux, papier glacé, nombreuses photos, bien composé, etc...: «EQUIP'ECHOS, le Journal de l'Equipement».
     Le numéro de mars consacre une large place à Superphénix. En première page, un titre «Superphénix, et maintenant elle tourne», il y a un an Equip'Echos titrait: «Creys-Malville: un an pour convaincre. En un an le surgénérateur s'est imposé comme une réussite technique indiscutable».
     En pages 4 et 5 une interview de Rémy Carie, directeur de l'Equipement à EDF sous le titre «Notre dossier est prêt».
     Et le clou. Un titre barre en grosses lettres les 2 grandes pages du journal «Les européens apprivoisent le sodium».
     Monsieur Rémy Carie n'a pas de chance, son papier a fait moins de bruit que... la fuite!

     Le sodium du barillet n'est pas radioactif (il pourrait l'être dans les années à venir, après stockage d'assemblages irradiés ayant eu des ruptures de gaines).

Description de l'incident:

     Les alarmes reliées aux quatre bougies dans l'espace délimité par la double enveloppe du barillet se sont successivement enclenchées, annonçant de ce fait la présence de sodium.
     Une estimation faite récemment montre que près d'une vingtaine de mètres cubes de sodium se sont déversés dans le réservoir de rétention. Ce sodium N'EST ABSOLUMENT PAS RADIOACTIF et il ne peut brûler car l'espace entre les deux enveloppes est rempli d'azote.

Lignes d'action:

     Il a été, tout d'abord, procédé à la baisse du niveau de sodium pour «dénoyer» les tuyauteries traversantes, mentionnées ci-dessus, afin de les examiner avec une micro-caméra.
     Cet examen visuel a montré l'excellent état des soudures de ces traversées et l'absence de toute trace de sodium. Il en résultat donc que la fuite de la cuve du réservoir de stockage vers le réservoir de détention, évaluée à environ 500 kg par jour (l'équivalent d'un arrosoir toutes les heures*), se situe à un niveau inférieur.

* Note de la rédaction: un arrosoir de sodium!

p.30

     Compte tenu de la géométrie du barillet (voir le schéma), il y a tout lieu de penser que la fuite serait localisée au niveau du «bec de cafetière» qui constitue un point singulier de la structure. Les investigations se poursuivent par la mise en oeuvre d'une micro-caméra pour voir le niveau de sodium dans l'espace de rétention et pour étudier la procédure de vidange de l'espace de rétention et du barillet.
    Dans le cas extrême où serait nécessaire le remplacement du barillet, l'opération, bien que complexe et longue, serait possible.

Remarque importante:

     Il convient de souligner avec force que le fonctionnement du réacteur n'est pas directement affecté par cet incident. Le barillet sert à charger ou à décharger le réacteur et, entre deux campagnes de chargement, le fonctionnement du réacteur est indépendant de celui du barillet. De ce fait, le réacteur est maintenu en marche.
     Néanmoins, le fonctionnement du réacteur ne pourrait être affecté que dans le cas d'une indisponibilité du barillet de très longue durée. En effet, dans ce cas, il ne serait, en particulier, pas possible d'évacuer le combustible usé et de le remplacer par du combustible neuf.
     Il s'agit donc d'un incident qui pourrait se révéler important, d'abord pour ce qui concerne l'aspect économique et les frais engagés; par contre, il ne présente aucun danger pour l'environnement ni pour le personnel d'exploitation* *

** NDLR: évidemment, mais qui peut prédire ce qui se passerait si un combustible s'échauffait, si un combustible fuyait, si... (si un accident commençait bien sûr!). A Tchernobyl, jusqu'à l'explosion, l'accident était impossible!

Une autre courte

     Dans le Dauphiné Libéré du 31 mars 1987, le Directeur de Superphénix déclarait:
     - «Comme les alpinistes qui ont gravi un sommet et savourent le mouvement qui suit l'ascension, nous voici au bout de la montée en puissance de Creys-Malville et il serait dommage de ne pas reconnaître notre satisfaction»...

Et si on parlait sûreté

     Les difficultés considérables que les techniciens de la Nersa ont rencontré pendant le démarrage de Superphénix, les retards qui en ont résulté ont fait qu'il n'était pas possible d'exiger de l'exploitant qu'il fournisse le rapport définitif de sûreté dans les délais fixés par le décret de création du 12 mai 1977. Profitant d'une modification de périmètre de l'installation, les juristes ont introduit dans le décret de modification un article qu'il faut décrypter: «Le délai prévu à l'article 5 du décret n°63-1228 du 11 décembre 1963 modifié susvisé est de douze ans à compter de la publication du présent décret au Journal officiel de la République française».
     Ceci permet à la Nersa de ne fournir son rapport définitif de sûreté qu'en juillet 1989.
     La transparence n'a pas encore gagné les spécialistes qui rédigent les décrets.
     Il se pose quand même un problème. Le démarrage d'une centrale nucléaire est soumis au respect des règles d'un rapport provisoire de sûreté. Quand le fonctionnement de routine est atteint, le rapport définitif de sûreté va régir l'exploitation du réacteur. Pour Superphénix, s'il n'est pas possible d'exiger de l'exploitant un rapport définitif de sûreté, c'est parce que les essais n'ont pas suivi les prévisions du rapport provisoire de sûreté. Des dérogations ont été nécessaires pour atteindre la puissance nominale. S'il faut ainsi faire jouer une prolongation de 2 ans, cela signifie que de nombreux problèmes non prévus dans le rapport provisoire sont apparus. Celui-ci ne couvre donc pas les essais en cours et le rapport définitif ne peut pas être rédigé. Il est donc nécessaire qu'un nouveau rapport provisoire soit rédigé par la Nersa et traité par les instances administratives qui doivent normalement examiner ces problèmes.
     Il y a là un problème juridique concernant les procédures de sûreté qui devrait être étudié soigneusement.
     Il n'est pas possible de laisser un exploitant nucléaire démarrer son installation sans règles strictes de sûreté.
     Hélas, le Service Central de Sûreté des Installations Nucléaires n'a guère de pouvoir. Peut-être un jour, dans le cadre des économies dans les services administratifs, le supprimera-t-on! Depuis des mois on entend la voix d'un tas de gens de l'établissement nucléaire. La voix de Monsieur Laverie, directeur du SCSIN, est inaudible. Le muet du sérail!

A.C.R.O.

L'Association pour le contrôle de la Radioactivité, BP 7028 Caen, communique: une Antenne ACRO pour la Touraine-Sarthe vient de se créer (qui intéresse essentiellement les départements 37, 41, 72).
A.C.R.O. Antenne Touraine/Sarthe, La Petite Ferme, Bueil en Touraine, 37370 Neuvy- le-Roi. Tél : 47.24.47.58.

p.31-32

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