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N°71/72
TCHERNOBYL (2)
CONSEQUENCES RADIOLOGIQUES


3. EFFETS DES RAYONNEMENTS
SUR L'ORGANISME

     Les rayonnements peuvent affecter l'organisme de plusieurs façons: 
     - soit par irradiation externe ou par contamination cutanée quand la peau est en contact avec des substances radioactives, 
     - soit par contamination interne provenant de l'ingestion de produits radioactifs par voie respiratoire ou digestive. 
     On distingue les effets somatiques qui affectent le corps de l'individu irradié des effets génétiques qui peuvent apparaître dans l'organisme des descendants par mutation ou destruction cellulaires. 
     Au-dessus de 600 rems d'exposition, la mort est probable dans les quinze jours. Entre 100 et 200 rems, des troubles digestifs légers, une fatigabilité continue apparaissent, mais l'individu ne meurt pas immédiatement. 
     Il est connu que l'irradiation entraîne des risques de cancérisation. Cet effet peut être tardif et les connaissances actuelles sur les probabilités de cancers sont très mauvaises surtout en ce qui concerne les faibles doses
     Il n'y a pas de seuil, c'est-à-dire que toute dose, aussi infime qu'elle soit, présente un risque. Les «doses admissibles» sont des limites légales qui ne sont pas fixées à partir de seuil de danger mais d'intérêt socioéconomiques. Même une radiographie (donnant une dose entre 9 et 130 mrems), généralement acceptée pour des raisons médicales, n'est pas dénuée de dangers. Pour des professionnels exposés aux radiations, la dose admissible est fixée à 5 rems/an. 
     Ceci ne veut pas dire qu'en dessous de cette dose, il n'y a aucun danger (le nombre de radiologues victimes de cancers peut en témoigner). Seulement 5 rems/an constituent une dose qu'un travailleur peut légalement recevoir. 
     La prise de risque (moindre pour les populations) est le fait d'autorités administratives, et c'est tout le problème de la civilisation industrielle et de ses nuisances.

suite:
Encart
 
Définition Irradiation
     L'action d'un corps radioactif sur la matière vivante ou inerte se fait toujours par l'intermédiaire des particules émises par ce corps. Cette action dépend du type de particules (a, b, g, de leur énergie et du temps d'exposition. Cette action est la même que le corps radioactif soit artificiel ou naturel. 
     On distingue deux types d'atteinte selon que la substance est extérieure ou intérieure a la matière directement exposée au rayonnement.
Externe
     Les particules frappent la matière exposée. On peut se défendre en s'éloignant de la source ou en interposant des écrans. En cas de contamination externe, c'est-à-dire si le corps est déposé en surface, on peut ôter ses vêtements contaminés, on peut laver la surface contaminée. L'irradiation cumulée est fonction du temps de contamination.
Interne
     Le corps radioactif a alors été ingéré ou inhalé. Son action est alors plus importante que dans le cas de contamination externe car toutes les directions d'émission induisent une irradiation de l'organisme. L'irradiation totale que subira la matière vivante est alors fonction de: 
     - la quantité d'élément ingérée 
     - la nature du rayonnement 
     - la période radioactive physique 
     - la période biologique soit le temps au bout duquel l'organisme aura éliminé la moitié de la quantité ingérée. 
     Le mécanisme d'atteinte est complexe mais en général la substance radioactive, en se désintégrant, lèse ou tue les cellules. Le mécanisme de réparation cellulaire est mal connu, cependant on estime que dans 50 % des cas une cellule lésée se répare mal et pourra alors présenter un danger. 
     Ceci explique la consigne en cas de nuage radioactif: 
     RESTER ENFERMÉ EN CONDAMNANT LES ISSUES. Rester enfermé: c'est pour diminuer l'irradiation externe à l'aide d'un écran. Condamner les issues: c'est pour éviter une contamination interne.
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     Il est difficile de chiffrer l'effet des faibles doses. Les estimations utilisent une extrapolation linéaire sans seuil à partir des fortes doses. 

Action des radionucléides
     Chaque radionucléide agit selon sa demi-vie radioactive, sa période biologique, ses propriétés chimiques et la nature des particules émises. 
     Le Strontium 90 a des propriétés chimiques proches du Calcium et se fixe sur les os tandis que le Césium 137 est analogue au Potassium et se fixe dans les muscles, ce qui rend ces deux isotopes très dangereux pour les enfants en cours de croissance. 
     Quelques chiffres pour se faire une idée:

Pu, De137, St90, I131, Tr, Co60

4. QUELS CONCEPTS SONT A LA BASE DES NORMES DE RADIOPROTECTION?

     Les concepts à la base de tous les systèmes de radioprotection sont définis dans le texte de la CIPR 26 adopté le 17 janvier 1977.

1. Limites de dose absorbée: elles ont été choisies pour être «acceptables» sans discussion: 
     - pour les travailleurs la limite correspond au risque de l'industrie la plus sûre (5 rem/an) (1 mort pour 10.000 travailleurs par an) 
     - pour le public la limite correspond au risque des transports publics (0,5 rem/an) (1 mort pour 100.000 à 1.000.000 de personnes par an).

2. Limites dérivées
     A partir des limites précédentes, on déduit des limites dérivées telles que:
     - concentration maximale admissible (CMA) dans l'air et l'eau: si une personne vit dans une ambiance (air ou eau) ayant ces CMA, la dose qu'elle aura reçue (rayonnement externe + contamination interne) correspond à la limite maximale admissible (0,5 rem).
     - limites annuelles d'incorporation (LAI) par inhalation 
     elles ont été établies pour chaque radionucléide et correspondent à la quantité admissible d'un radionucléide qui peut être fixé dans le corps en 1 an. De ces LAI on déduit des CMA pour l'air à partir d'un modèle respiratoire pour l'homme et le métabolisme du radionucléide.

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     - limites annuelles d'incorporation par ingestion: du même genre que la précédente mais la contamination s'effectuant par ingestion. Le modèle est moins simple car il va dépendre, pour relier les LAI aux CMA, de la quantité des divers produits ingérés et de leur métabolisme dans l'organisme.

3. Effets stochastiques
     Le modèle retenu dans la CIPR 26 pour les effets stochastiques à long terme (cancers et effets génétiques dans les 3 générations à venir) est un modèle linéaire sans seuil avec des facteurs de risque bien définis: 
     1,25.10-4 cancer/rem
     0,42.10-4 mort par effets génétiques/rem
     Total du détriment 1,67 10-4 mort/rem
     Il n'y a pas dans la CIPR d'autre modèle numérique qui permettrait une évaluation des dégâts d'une irradiation.

4. Dose collective. Pour calculer les dégâts d'une irradiation massive de population, il faut évaluer la dose collective (égale à la somme des doses reçues par chaque individu) y compris la dose correspondant aux radionucléides ingérés qui se seront fixés dans le corps et qui peuvent y subsister bien longtemps après le passage du nuage contaminant (dose collective engagée).
     Conséquence: toute irradiation aussi faible soit-elle produira des morts proportionnellement à la dose collective engagée. 

5. Fixation de limites en période de crise : la fixation
     la fixation d'une concentration maximale pour le lait par l'OMS (le texte officiel de l'OMS n'a pas été publié) relève de la pratique suivante (du moins si l'OMS a respecté la CIPR): 
     a) Fixation d'une durée probable de l'événement 
     b) Modèle pour l'ingestion du lait (nombre de litres par jour) 
     c) Métabolisme (iode dans le lait dose engagée) 
     d) La dose engagée ne doit pas dépasser la limite maximale admissible de 0,5 remian. 
     A l'intérieur de ce cadre, chaque institution nationale peut fixer les limites correspondant à sa propre analyse «coût-avantage».
     Exemple: 0,5 rem/an pour 50 millions d'habitants cela fait 0,5 x 5.107 x 1,25.l0-4=3.125 morts.
     On peut estimer (ou non) que cette valeur est trop élevée d'un facteur 10 ou 100 et fixer une limite 10 à 100 fois plus faible que la limite «admissible» maximum. Le prix supplémentaire à payer pour cela (indemnisation des agriculteurs par exemple) est considéré alors comme «raisonnable». 
     La fixation de limites différentes pour les différents pays européens ou dans les différents länders en RFA, n'a rien de contradictoire ni d'incohérent. Cela signifie que ces diverses institutions nationales ne placent pas la barre du prix à payer «raisonnable» pour limiter le nombre de morts, au même niveau.

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6. Concept d'ALARA (as low as it is reasonnably achievable)
     Article 9 de la CIPR 26: «Le but de la protection contre les rayonnements ionisants devrait être de prévenir les effets nocifs non stochastiques (fortes doses)* et de limiter la probabilité d'apparition des effets stochastiques (faibles doses)* à des niveaux jugés acceptables (0,5remlan pour le public)*. Un objectif supplémentaire est de s'assurer que les pratiques impliquant une exposition aux rayonnements sont justifiées.

     Article 12 de la CIPR 26:
     a) aucune pratique ne doit être adoptée à moins que son introduction ne produise un bénéfice net positif 
     b) toutes les expositions doivent être maintenues au niveau le plus bas que l'on pourra raisonnablement atteindre, compte tenu des facteurs économiques et sociaux
     Les recommandations sont claires et explicites: 
     - pas d'irradiations supérieures aux limites maximales admissibles 
     - à l'intérieur de ces limites minimiser au mieux les doses reçues. 
     Ce dernier point relève d'une analyse «coût-avantage» qui évidemment dépend des conditions socio-économiques et même politiques. La CIPR ne donne aucune valeur numérique des paramètres qui entrent dans cette analyse.


5. NORMES D'IRRADIATION: LA NÉCESSITÉ DE CHANGEMENT

     Il y a maintenant au moins 600.000 américains qui pendant les quatre dernières décennies ont travaillé dans les usines nationales de traitement de matériaux radioactifs. Ces gens servent effectivement de cobayes humains pour éprouver les normes d'irradiation admissible. Des chercheurs suivent les travailleurs nucléaires sous l'égide du DOE (Ministère de l'Energie) et contrôlent leur état de santé ou enregistrent la cause de leur mort. En examinant cette année les résultats de ces études en grande partie inédites, l'Institut de Politique Environnemental (EPI - établissement privé, sans but lucratif) a conclu dans son nouveau rapport que «La gestion par le DOE des études épidémiologiques sur l'irradiation accuse un biais inhérent qui se traduit par des statistiques trompeuses et des méthodes analytiques grossières, qui ensuite soutiennent des prétentions fallacieuses sur le manque de dangers sanitaires dans les installations nucléaires du DOE.»*
     Pendant qu'officiellement le DOE proclame la sécurité de ses installations, les données le contredisent. L'EPI a trouvé par exemple que les Drs. Mancuso, Stewart et Kneale dans une série d'articles (1977 à 1984) avaient établi un lien entre irradiation et mort par cancer du poumon, du pancréas, et de la moelle parmi les travailleurs à la grande installation nucléaire à Hanford (Washington).

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     Ces études sont devenues très controversées. Le DOE a licencié le Dr. Mancuso dès le premier article et embauché des savants plus soumis, auxquels le Ministère a donné des informations, selon l'EPI, sélectionnées et truquées. Il est à noter que les Drs. Mancuso, Stewart et Kneale n'ont pas décelé une vraie épidémie. Les morts de cancer ne sont élevé que de 5% ou 6%, ce qui est de 10 à 30 fois l'élévation escomptée par les normes en vigueur en ce moment, mais facile néanmoins à dissimuler si on le veut. 
     Le DOE a supprimé une étude de 19.000 femmes qui travaillaient à Oak Ridge (Tennesee) jusqu'en 1947 pour le Projet Manhattan. Ces femmes semblent maintenant avoir un taux élevé de mortalité à cause des cancers divers et des maladies respiratoires non-malignes. Supprimée également, une étude qui a trouvé un risque excessif de leucémie et de cancer du poumon à l'usine de plutonium à Savannah River (South Carolina). Ce dernier rapport est d'ailleurs resté caché pendant huit ans. 
     Bien qu'un chercheur ait témoigné sous serment qu'il n'y a aucun rapport entre l'exposition à la poussière d'uranium et la fibrose du poumon, son étude de l'usine de traitement d'uranium à Fernald (Ohio) montre le contraire. D'autres ont trouvé que les cancers de la voie digestive arrivent à un taux élevé chez ces travailleurs. 
     Le rapport EPI décrit 12 cas au total. L'auteur de ce rapport, Robert Alvarez (lui-même épidémiologue-conseil au DOE dans le passé), a constaté surtout que le DOE use de fausses méthodes pour améliorer ses résultats. Hormis l'exclusion des personnes les plus exposées au risque (au site des essais de la bombe atomique dans le Nevada par exemple), il emploie comme groupe témoin la population entière des Etats-Unis tandis que les travailleurs de ces installations nucléaires proviennent évidemment d'un sous-groupe plus sain que la moyenne. Se fondant sur les études menées par le DOE et sur une réanalyse de leurs résultats, M. Alvarez préconise un décroissement brusque des normes d'irradiation faible admissible. Jusqu'ici on a extrapolé ces normes de la surveillance des survivants d'irradiation forte (à Hiroshima). C'est un procédé douteux de toute façon et d'autant plus que l'exactitude des études d'Hiroshima a été mise en cause ces dernières années. 
     Un tel changement de normes coûterait à l'industrie nucléaire américaine, y compris au DOE, des dizaines de milliards de dollars, d'abord par la reconstruction qu'il faudra faire, mais aussi pour dédommager les malades et les morts provoqués par l'application des normes actuelles. C'est une raison pour remplacer le DOE en cette matière par un organisme indépendant. On l'a justement proposé au Congrès des Etats-Unis mais son adoption est considérée comme peu probable. 
(article envoyé par un Américain)

* Robert Alvarez, «Occupational Radiation Health Risks: Folklore and Fact», Environmental Policy Institute, 218 D Street SE, Washington, DC 20003, USA.
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