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N°41/42
L'URANIUM
ANNEXE 1

GITOLOGIE DE L'URANIUM: A LA REMORQUE DE LA GEOPOLITIQUE?

     En préambule, il convient de rappeler l'extraordinaire inaccessibilité de la littérature géologique en matière d'uranium en France: aucune bibliothèque scientifique ne recèle de référence postérieure à 1958. Il s'agit d'une mesure de «mise au secret» apparemment sans précédent, qui confirme à la fois le caractère hautement stratégique de la chose (il est plus facile de se documenter très précisément sur la technologie des missiles, son évolution et ses tendances!), et la clairvoyance dont les plus hautes autorités françaises ont fait montre à cet égard dès la fin des années 60. Il n'en reste pas moins que cette rétention systématique de l'information nous contraint à la plus grande prudence, dans nos interprétations comme dans nos extrapolations.

I- RAPPELS DE GEOLOGIE DES GITES URANIFERES
(On se limitera à énoncer ici quelques principes généraux, critères simples et informations de base)

     L'uranium est présent dans toutes les roches d'origine magmatiques primaires, sa dispersion et sa concentration en d'autres environnements ne dépendant ensuite que de processus relevant de la géodynamique interne ou externe. On peut, sans grand risque d'erreur, apprécier le caractère «vraisemblable», ou mieux, «probable» ou «certain» d’une minéralisation U à l'aide de séquences d'observations et critères dont on expose ci-dessous les plus généraux:

     En terrain cristallin, les indices minéralisés et gites uranifères sont, pour la plupart:
     - en bordure des massifs granitiques, granulitiques, pegmatitiques, etc. (métamorphisme homogène, régional, plutôt haute pression, température moyenne à haute). Il n'y a pas, à notre connaissance, de gisements de type «impactite», tandis que les gisements liés à des phénomènes volcaniques ont souvent subi des remaniements gommant leur structure initiale pour présenter une morphologie et une organisation reflétant les processus postérieurs, lesquels possèdent, eux, de très nombreux caractères communs dès lors qu'ils interviennent dans un environnement de roches ignées. Autrement dit, les gisements U en terrain cristallin sont, dans leur quasi-totalité, le produit de reconcentration par recristallisation. Il est également fréquent de constater un pic de concentration en U dans les structures minéralisées à symétrie radiale de certaines provinces métamorphiques. Ainsi s'explique sans doute le voisinage - au sens topolotique et métallogénique - des gisements - c'est-à-dire des pics de concentration - de cuivre, d'or, d'uranium: cf. SW Pérou, N Chili;
     - au voisinage des zones intensément fracturées: ces fractures, dans l'idéal, trouvent leur expression jusqu'en surface, à la suite de séquences conservant à peu de chose près les mêmes répartitions de contraintes, d'épisode à épisode. La circulation hydrothermale et la proximité des gîtes primaires sont bien entendu des conditions nécessaires;
     - En Europe occidentale, ces gisements seront situés dans les régions affectées par l'orogénèse hercynienne, puis les remaniements et rejeux liés à l'épisode pyrénéo-alpin. Idem en direction du croissant caucasien; probablement aussi dans les secteurs péri-himalayens (N et NE de la péninsule indienne).

suite:
     En terrain sédimentaire, les gisements sont pour la plupart le produit du remaniement de matériel détritique minéralisé provenant de massifs cristallins; ils prennent alors souvent la forme de pièges gréseux, par exemple. Le remaniement des minéraux uranifères peut également participer d'épisodes tectono-sédimentaires associant ces minéraux à des produits organiques (gisements houillers uranifères, bitume, tourbe...). On trouvera donc préférentiellement les indices U:
     - au voisinage des massifs granitiques;
     - fréquemment en liaison avec une tectonique cassante associée à une sédimentation détritique, au sein de formations perméables et poreuses;
     - souvent en association avec des matières organiques.

     L'un des points communs aux gisements connus est leur caractère superficiel (pour les plus étendus d'entre eux): les solutions uranifêres précipitent facilement, à l'issue de leur transit dans un réseau de fractures, sous l'effet d'une rapide ou brusque chute de pression et/ou de température: c'est ce qui se produit lorsque les solutions hydrothermales parviennent, par circulation naturelle, au voisinage de la surface (ceci pour les gîtes de type filonien).
     Les gisements en encroûtements sont probablement le résultat d'un processus faisant succéder à une sédimentation détritique ou organique, une phase d'érosion, puis un calme orogénique durable au cours duquel se développent des conditions macro-climatiques arides (on pense également à l'association de sels d'U avec les phosphates maghrébins). Ces conditions climatiques associées à un environnement alcalin limitent également la solubilité des sels d'U (très solubles à bas pH et haute température).
 

II - CARTE DU POTENTIEL MONDIAL D'URANIUM
(carte page suivante)

     Elle rassemble des informations de deux natures: y figurent les gisements connus officiellement, qu'ils soient exploités, en passe de l'être ou considérés comme «réserves in situ». Nous avons situé d'autre part les zones et provinces où le raisonnement géologique et l'existence de campagnes de prospection intensives (et d'intensité croissante - ce qui est significatif) laissent prévoir d'importants sites minéralisés.
     Il convient toutefois de rappeler que, plus encore que pour d'autres substances minérales, une telle carte est inévitablement biaisée, en ce qu'elle reflète en partie ce que l'on peut appeler la «tradition minière»: il ne faut donc pas s'étonner de voir en Europe occidentale une densité d'indices plus importante qu'en Amazonie.occidentale. Ces disparités peuvent donc avoir pour causes, à la fois:
     a) le degré de minéralisation ou d'occurrence d'indice (tout de même!),
     b) la richesse des gisements (exprimée par exemple en tonnage par hectare),
     mais aussi:
     c) la tradition minière, au sens où telle région, connue et exploitée depuis fort longtemps pour un minerai donné, est a priori parmi les premières à faire l'objet de prospections complémentaires visant éventuellement d'autres substances: le matériel et les hommes sont sur place, la région est «globalement» connue.

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GITOLOGIE DE L'URANIUM: LE POTENTIEL MONDIAL
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     Nous pensons qu'il en a été - est et sera - ainsi pour ce qui concerne la minéralisation U de la «ceinture africaine» (du Ghana à la Somalie en passant par le Maghreb), alors que bien peu d'arguments géologiques prêchent en faveur de ce secteur (Mauritanie mise à part, peut-être...)
     d) la cohérence métallogénique, dont les effets vont dans le même sens que le facteur précédent: on a évoqué plus haut le cortège Cu-Au-U (dans lequel s'intercalent d'autres métaux stratégiquement ou économiquement moins «sensibles») dans le cas du versant SW des Andes. On se souvient également de l'existence de minéralisation U liée aux gisements aurifères d'Afrique Australe pour n'en citer que les plus spectaculaires...
     e) enfin, the last but not the least, la proximité du monde industriel et/ou son influence (économique, politique): il ne s'agit pas seulement de proximité géographique (laquelle intervient bien entendu pour réduire les coûts de transports), mais également proximité au sens géopolitique: ce qu'illustre magnifiquement la présence jadis exclusive des ingénieurs et techniques BRGM, CEA-COGEMA, MINATOME, DONG TRIEU, etc., en Afrique Equatoriale, celle de leurs homologues anglo-saxons aux fins fonds des arides et sauvages déserts australiens, ou encore celle des Américains au nord de l'Alberta, dans le Labrador, etc.
     Ce disant, on aura noté combien ces remarques, indispensables, réduisent progressivement la cohérence géologique au rang de déterminante mineure.
     f) Aveu traditionnel en pareille matière: notre document pèche également par omission en ce qui concerne la plupart des provinces orientales de l'URSS (Où nous ne connaissons avec certitude que les zones minéralisées de l'Oural méridional, des Républiques du Sud-Est, et de l'Anadyr au NE). Même remarque pour la Chine.

III PROBLEMATIQUE GEOLOGICO-GEOPOLITIQUE

     Plutôt que de nous livrer, à ce stade, à une énumération aussi fastidieuse qu'incomplète et simplifiée des grands gisements évoqués du seul point de vue du géologue, nous avons préféré développer ci-dessous certains aspects de cette problématique géologico-géopolitique, laquelle se révèle, à l'usage, la seule apte à conserver quelque cohérence et à supporter l'épreuve du temps comme la confrontation avec les faits.

     A. Du point de vue technico-économique, il convient d'abord de savoir qu'un indice minier n'a d'intérêt qu'en ce qu'il indique un gisement potentiel. Tautologie que l'on peut expliciter ainsi: plus le site est éloigné des grands axes économiques (d'activité ou de transit), plus le gisement doit être:
     - concentré dans l'espace (un siège minier étendu sur 10 kilomètres carrés est préférable, toutes choses égales d'ailleurs, à 10 sièges de 2 kilomètres carrés répartis sur 1.000 kilomètres carrés, fût-ce au détriment du tonnage total);
     - riche (ce qui renvoie à la teneur), ou nécessitant un prétraitement compatible avec les ressources locales (eau en abondance, proximité et faible coût des approvisionnements en énergie, abondance de main-d'oeuvre, proximité d'unités industrielles ou de voies d'accès fournissant les produits d'attaque).

     B. Cette remarque valait essentiellement pour les provinces non métropolitaines (au sens où l'entend un Occidental). Lorsqu'il s'agit de gisements situés au coeur du monde industriel, tout dépend en fait de la politique du pays concerné.
     Il peut choisir - ou avoir le loisir - de constituer des réserves in situ: sa politique sera celle de l'inventaire systématique. Il s'agit de savoir «combien il y en a, où?». Le protocole de prospection (c'est-à-dire le choix et la séquence des moyens techniques mis en œuvre) se limite à ce qui permet la connaissance, sans chercher l'accès ou l'exploitation: des moyens légers, sophistiqués (à cet égard, le marteau de géologue et le satellite sont plus utiles que le sismographe et la foreuse). Ainsi procédera sur son territoire une nation désireuse de constituer des stocks stratégiques à très long terme, ou de répertorier des gisements ponctuels «tampons» pouvant servir de transition momentanée entre deux approvisionnements principaux.
     Prospection tous azimuts, donc, généralement compatible avec la poursuite de programmes de recherche orientés vers d'autres substances. Un train peut en cacher un autre, et le BRGM qui n'a, en principe, pas qualité pour chercher de l'uranium, peut... en trouver!
     Il en va autrement lorsque ce pays est à la recherche de gisements à exploiter à court terme. Ainsi, la France, pour ne citer qu'elle, poursuit-elle activement un programme intensif de prospection sur son territoire, dans le but d'être capable, le plus vite possible, d'assurer la «soudure» entre certains gisements africains politiquement fragiles exploités à ce jour, et ceux sur lesquels elle mise pour la fin du siècle (cf. les développements sur la politique française d'approvisionnement en U dans ce numéro).

suite:
     Le protocole de prospection est alors celui de l'artillerie lourde, à grands renforts d'hommes et de matériel: campagnes de forages, campagnes sismiques... mais aussi toute la gamme des méthodes fines et légères: prospection héliportée, photo-interprétation, prospection géochimique fine, analyse sédimentologique de pointe, etc. Et ce, d'autant plus qu'il s'agit aujourd'hui de passer au crible toutes les formations détritiques satisfaisant aux critères généraux rappelés plus haut!
     Noter qu'à ce propos, les hommes et le matériel utilisés sont nécessairement hautement spécialisés. Il existe beaucoup de laboratoires «en déclin» qu'on relance... avec l'uranium.

     C. Les réserves mondiales sont évaluées (cf. cette Gazette) à 10-20 millions de tonnes d'uranium métal. Une telle proposition inspire au géologue les réflexions suivantes:
     Ce sont là des réserves connues. Or, dans bien des cas (provinces géologiques difficiles d'accès, peu accueillantes), la géologie ne peut répondre à la question posée que dans des termes fort qualitatifs. L'évaluation chiffrée relève en majeure partie de la télédétection. Celle-ci n'est pour l'instant guère capable (en utilisant les repères posés par l'observation géologique) de «voir» au-delà des 20 premiers mètres à partir de la surface (satellite Landsat utilisé par la NASA, mais aussi l'INAG, le CNES, l'Ecole des Mines, etc.). Il n'est pas impossible que l'on puisse d'ores et déjà faire mieux (ainsi que le laisse entendre l'excellent «Blackblood» de Francis More). C'est en tout cas pour très bientôt.
     Or il est probable (ceci est le fruit d'extrapolations d'observations ponctuelles corrélables) que d'immenses zones sont minéralisées au pour mille à une profondeur de quelques dizaines de mètres: Sahel, Ouzbékie, Sin Kiang, Gobi, Mongolie Extérieure, ou Namibie Orientale, etc. Une télédétection appropriée aurait pour résultat de bouleverser l'évaluation et la politique de gestion de réserves, lesquelles seraient alors véritablement certaines. Le discours géologique perdra d'un seul coup tout son sens et sa portée, pour n'être plus qu'une technique d'aval. L'accessibilité, l'exploitabilité d'un gisement ne sera qu'affaire de coût, ce dernier intervenant, en dehors de toute considération de contrôle impérialiste, comme critère de discrimination entre plusieurs gisements, et d'échéancement des mises en exploitation. Exactement comme avec le charbon.
     Résumons-nous: les méthodes classiques de prospection ont presque partout posé les jalons nécessaires; l'évolution des techniques de télédétection devrait, au cours de la décennie à venir, rendre transparentes les réserves situées à faible profondeur. Et sans doute, par le jeu de la compétition internationale entre «Grands», cette transparence deviendra publique. Ces réserves sont immenses. L'uranium, minéral cher à exploiter, presque uniformément réparti sur le globe pour peu qu'on y mette le prix? !... et c'en sera fini du caractère stratégique de ce matériau - à la condition bien sûr que la demande persiste...

     D. Nous n'en sommes pas là. Pour le temps présent, on lira par ailleurs dans ce numéro ce que l'on peut penser des zones actuellement stratégiques à cet égard. Quant au moyen terme, et dans l'état actuel de nos connaissances et de nos techniques, il convient d'attacher la plus grande importance à 7 (ou 8) régions du globe, ou l'uranium constituera un facteur stratégique dont on ne peut pas toujours mesurer aujourd'hui l'influence:
     1. La façade orientale des Rocheuses. Pour tout renseignement, écrire à l'USAEC ou à la CIA. Plusieurs centaines de milliers de tonnes.
     2. Le pourtour des Andes, c'est-à-dire:
     - les associations minérales des gisements ouest-andins, d'une part (le Pérou va-t-il protéger ses gisements? Sera-t-il l'instigateur d'une OPEU des pays non alignés? Le Chili sera-t-il à cet égard le «Niger» des USA, comme il l'est déjà pour le cuivre?);
     - les gisements détritiques du haut-bassin amazonien, d'autre part: le BRGM et le CEA les connaissent de longue date... Mais quel peut être l'intérêt de la transamazonienne?
     3. Québec, Labrador, Sud Groenland: le Québec utilisera sans doute l'argument uranium dans le bras de fer qui l'oppose symboliquement aux USA par Canada interposé. Dans quel sens le fera-t-il?
     Labrador et Groenland sont quasi inexploitables, ou alors très difficilement; ils peuvent par contre très bien jouer le rôle de réserves in situ, enjeu d'une lutte d'influence entre Grands.
     4. La ceinture africaine: mal connue, mal évaluée, c'est l'un des lieux où une super-télédétection peut bouleverser le jeu mondial.
     5. La linéation Iran-Mongolie: le Shah connaissait l'existence de ces réserves potentielles. Carter et Brejnev également, bien sûr. Et Khomeiny?
     6. Que recèle le nord de la Sibérie?
     7. Indonésie, Indochine: un interface entre impérialismes qui n'est pas près de s'effacer.
     8. Il y aurait de l'uranium sur le continent antarctique...

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ANNEXE 2

LA FIXATION DES NORMES POUR LE RADON *


     Les normes en matière de radioactivité sont fixées par la Commission Internationale  de Protection Radiologique (C.I.P.R.) qui, en général, fait loi en la matière. Elles sont par ailleurs contestées par ceux qui s'inquiètent des effets à long terme des faibles doses sur l'organisme humain. Celles-ci sont en effet déterminées suivant un compromis entre les nécessités de protection de la santé et les impératifs économiques et technologiques, parmi lesquels le développement de l'énergie nucléaire est considéré comme un facteur bienfaisant pour l'humanité. D'une part la fixation des normes est donc un choix politique fait par une infime minorité de déci-deurs, et ne correspond pas à un véritable objectif de protection de la santé puisqu'il s'agit de fixer le seuil en fonction des possibilités actuelles de la technologie et de la rentabilité économique du nucléaire qu'il faut éviter de trop grever par des impératifs de sécurité. D'autre part, les normes s'appliquent à un homme standard qui n'existe pas dans la réalité, et nient les différences de sensibilité biologique des individus entre eux.
     L'histoire de la fixation des normes pour le radon est fort instructive à cet égard**. Suivant les critères précédemment définis, la CIPR demande que l'on applique une dose maximale de 1,5 rem par an pour les populations et de 15 rem pour les travailleurs du nucléaire. La norme a été fixée en 1959 à 1 picocurie (1 millionième de millionième de curie) de radon par litre d'air pour les populations et 30 picocuries pour les travailleurs, le radon n'étant pas à l'équilibre avec ses descendants à vie courte. Peu après, la CIPR admettra l'équivalence de 4 millirem par an au niveau des poumons pour une exposition constante d'1 picocurie de radon par mètre cube d'air, sans que l'équilibre radioactif ne soit réalisé, c'est-à-dire lorsque l'on ne se trouve pas dans les plus mauvaises conditions[1].
* Voir également Gazette NucléaireN°32et N°33/34.
** Voir le site SEBES consacré à cette évolution. (accès webmaistre)
1. Publication N°2 de la C.I.P.R.

     Si l'on fait le calcul par rapport aux normes CIPR, cela équivaut à 4 rem par an pour la population et 40 rem pour les travailleurs, ce qui outrepasse les principes de 1,5 et 15 rem par an respectivement. Déjà la CIPR a donc admis que l'impératif technologique et économique (grande difficulté technique et coût très important pour abaisser la teneur en radon de l'air) passait avant les nécessités de garantir la santé des personnes exposées. Mais ce n'est que le début d'une longue lutte pour rendre les normes moins sévères. Alors que l'ensemble des normes définies par la CIPR sont adoptées par tous les pays participants à cette commission, et même parfois rendues encore plus contraignantes, seules celles concernant le radon rencontrent une opposition généralisée. Les raisons de cette action entreprise contre les seuils nouvellement fixés sont claires: s'il fallait appliquer ces normes, le prix de l'uranium extrait grimperait considérablement, suite à de lourds investissements pour limiter les émanations de radon, et les niveaux maximum auraient toutes les chances d'être dépassés pour les minerais à moyenne et haute teneur. D'un commun accord, l'Agence Internationale de l'Energie Atomique, Euratom et la France décident donc de rendre les normes dix fois moins contraignantes, justifiant cet état de fait par les arguments suivants (cf. Pradel,...): «La CIPR a défini la concentration maximale admissible (C.M.A.) pour le radon de la façon suivante:
C.M.A. Travailleurs = 3.000 pCi/l / (1 + 1.000 f)

     f  étant la fraction en activité des ions de radium A (c'est-à-dire le polonium 218) non attachés à des aérosols. Cette norme a été établie à la suite de travaux théoriques et expérimentaux sur l'efficacité de la rétention des particules par l'appareil broncho-pulmonaire, qui avaient montré notamment, l'importance de la contribution des particules ultrafines. Ayant adopté pour f la valeur de 0,1, la C.M.A. recommandée par la CIPR est donc de 30 pCi/l»

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     «Mais des réserves émises à propos de la toxicité des particules ultrafines et le fait que dans les mines le facteur d'équilibre est inférieur à 0,1 ont amené de nombreux pays ou organismes à choisir d'autres valeurs. L'A.I.E.A., Euratom et la France en particulier, ont adopté pour la C.M.A. du radon la valeur de 300 pCi/l.» Et voilà, le tour est joué. On néglige le rôle des particules ultrafines qui devraient pourtant être considérées comme les plus nocives.
     Si la législation française passe sous silence l'existence des descendants du radon, ne fixant des normes que pour ce dernier, la circulaire D.M./H n°119 du 4 mars 1965, qui s'applique aux mines d'uranium, rectifie cet «oubli» en interprétant la loi de façon à considérer que la norme s'applique au radon en équilibre avec ses descendants et «si les mesures ne portent que sur le radon et si les produits de filiation du radon ne sont pas en équilibre avec lui dans l'atmosphère au point de prélèvement, les résultats peuvent être affectés d'un facteur tenant compte des concentrations relatives des différents produits de filiation en ce point.» Ainsi, le CEA, puis la COGEMA calculeront par la suite les taux de contamination des mineurs par rapport à la teneur maximale moyenne de 600 pCi de radon par litre d'air, un facteur de correction de 0,5 étant appliqué pour tenir compte du déséquilibre entre le radon et ses descendants.
     Ainsi, par le jeu de raisonnements non fondés sur la réalité des phénomènes biologiques et la mise en place d'une législation manipulable à la guise des exploitants miniers, la norme en radon est rendue pratiquement vingt fois moins contraignante en France que celle définie par la CIPR (30 picocuries de radon en équilibre moyen avec ses descendants par litre d'air pour la CIPR, contre 600 picocuries de radon en demi-équilibre avec ses descendants par litre d'air pour la France).
     La révélation des enquêtes épidémiologiques tchécoslovaques et américaines dont les résultats sont catastrophiques, oblige les responsables de ces pays, suivis par de nombreux autres (mais pas la France), à redéfinir leurs normes. Cependant, il ne s'agit pas pour eux de revenir à la définition de la CIPR qui porterait un mauvais coup du point de vue économique et technologique à l'exploitation de l'uranium et par répercussion à l'ensemble de l'industrie nucléaire. Faisant preuve d'imagination, il est alors décidé d'évaluer la contamination par le radon, non plus en picocurie comme précédemment, mais en Working Level (WL.). Cette unité prenant en compte l'énergie alpha délivrée par les descendants du radon. Si scientifiquement cette unité d'évaluation se justifie pleinement, son utilisation dans les sites miniers est rendue particulièrement difficile du fait du manque de précision des moyens de mesure.
suite:
     Le W.L. correspond à l'énergie alpha totale libérée lors de la désintégration totale dans un litre d'air de 100 pCi/l de chaque descendant; 1 W.L. correspond à 1,3.105 MeV par litre. Pour calculer en W.L. l'énergie alpha totale délivrée par un mélange de radon et de ses descendants, il faut multiplier la concentration en activité (exprimée en 100 pCi/litre) par 0,104 pour la polonium 218 (RaA), 0,514 pour le plomb 214 (RaB), 0,382 pour le bismuth 214 (RaC) et d'ajouter les trois contributions. Les expositions cumulatives sont calculées en Working Leval Month (W. L.M.); un W.L.M. correspondant à l'exposition d'un homme pendant 170 heures (un mois de travail) à une moyenne de un Working Leval. La norme américaine pour les mineurs, dite Dose Maximale Admissible annuelle, est de 4 W.L.M., c'est-à-dire onze mois d'irradiation pendant 170 heures par mois à 0,33 W.L. en moyenne. Pour la population, la norme est à diviser par 10, ce qui fait une quantité maximum admissible annuelle de 0,4 W.L.M. ou 12 mois d'irradiation à 0,0075 W.L. en moyenne, 24 heures sur 24. Cela fait une dose cumulée maximum de 120 W.L.M. pour un mineur ayant travaillé trente ans d'affilée en atmosphère contaminée, et 28 W.L.M. pour un habitant exposé pendant 70 ans. Selon l'enquête épidémiologique tchécoslovaque, pour une exposition cumulée de 220 W.L.M., le risque est déjà très important, et pour 28 W.L.M., bien que les données ne soient pas statistiquement valables, les résultats laissent penser que le risque serait loin d'être négligeable.
     D'autre part, la norme américaine permet plus de latitude que celle proposée par la CIPR. 4 W.L.M./an, cela fait une exposition moyenne de:
     - 33 picocuries de radon en équilibre avec ses descendants par litre d'air;
     - 66 picocuries si le facteur d'équilibre est de 0,5;
     - 330 picocuries s'il est de 0,1.
     La différence est notable, d'autant plus qu'il est extrêmement difficile de comptabiliser l'activité des descendants du radon, qui ont une durée de demi-vie très courte (de 3 à 30 mn), à des valeurs très basses (à l'échelle de quelques dizaines de picocuries) et ceci dans une atmosphère contaminée. Le calcul du facteur d'équilibre est alors soumis à un fort taux d'erreur, et peut être manipulé sans difficulté par ceux qui ont intérêt à minimiser l'évaluation des risques créés par l'exploitation minière.
     Les auteurs concluent que la mise en oeuvre de nor¬mes légèrement plus strictes, d'un facteur 3 par exemple, aurait à court terme une incidence faible sur le prix de re¬vient de l'uranium extrait des mines actuelles; cette inci¬dence serait sans aucun doute amortie pour les mines fu¬tures dans la mesure où l'exploitation serait dès le début conçue pour ces nouvelles norrnes. A long terme, le marché de l'uranium ne serait pas perturbé et l'effet sur le volume des réserves mondiales resterait négligeable. Par contre, des variation à court terme des normes plus sévères, au-delà d'un certain seuil, risqueraient de rendre l'exploitation impossible et donc, de réduire l'état des réserves mondiales à ce qui est exploitable en carrière.
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* D'après «Incidences des normes de radioprotection sur le marché de l'uranium» de Y. Français, J. Pradel et P. Zettwoog, Centre d'études nucléaires de Fonteney-Aux-Roses, Département de Protection, septembre 1972.
Variation à court terme des réserves en fonction de la norme radon
(hypothèse du prix constant de l'uranium)
p.17

ANNEXE 3
LE CAS DE LA REGION DE LIMOGES *

     La plus grande partie de l'uranium français provient actuellement de la région de Limoges; ce qui s'y passe est particulièrement intéressant.
     Les minerais extraits par la COGEMA dans les Monts d'Ambazac contiennent, outre de l'uranium, de nombreux autres éléments radioactifs qui font partie de la chaîne de désintégration de l'uranium, mais qui sont jusqu'à plusieurs dizaines de fois plus toxiques que celui-ci. Citons le radium et deux thorium, qui ont des propriétés chimiques semblables à celles du calcium et se fixent sur les os après ingestion; plusieurs isotopes de polonium, plomb et bismuth du protactinium et un gaz qui se dissout dans l'eau, le radon.
     A l'état naturel, certaines sources qui traversent les gisements d'uranium peuvent être contaminées par ces radioéléments, et se révéler dangereuses pour les populations qui les utilisent. De récentes études sur l'impact des faibles doses de radioactivité confirment cette hypothèse. Les services d'hygiène, qui ont des instructions précises en la matière, ne semblent pas porter toute l'attention nécessaire pour maîtriser ces problèmes. Heureusement peu de gens sont concernés. Cette pollution est en effet limitée, sinon il y aurait belle lurette que l'uranium déposé ici depuis plusieurs dizaines de millions d'années, et qui est l'élément pratiquement le plus soluble, serait parti dans les eaux, direction l'Atlantique.
     Il en est tout autrement lorsque l'on brise le minerai, qu'on l'extrait, le concasse, puis le traite. Toutes ces opérations ont lieu en présence d'eau, qui va d'autant plus aisément dissoudre les éléments radioactifs que le minerai sera partagé.
     Les eaux particulièrement agressives (acides) du Limousin entraînent facilement les 13 radioéléments principaux contenus dans le minerai. Seuls trois d'entre eux sont contrôlés par le S.C.P.R.I. (2 isotopes de l'uranium et le radium). Pour les autres (thorium, protactinium, radon, polonium, plomb... notamment), le S.C.P.R.I. ne semble pas estimer nécessaire de rechercher leur existence. Seules des mesures de radioactivité bêta sont faites (nous ne les avons pas interprétées ici par manque de temps). Les mesures de radioactivité alpha, exécutées uniquement sur les eaux potables de Limoges, ont été stoppées au moment où elles atteignaient leur maximum fin 1975 (voir les courbes en annexe). Le système de contrôle choisi pour les mesures alpha et bêta pourraient d'ailleurs sous-estimer de beaucoup les taux de pollution, car il semble bien que le radon et une partie de ses descendants à vie courte soient éliminés lors de la phase de mesure.
     Les contrôles du SCPRI sur un certain nombre d'eaux de la région permettent de tirer les indications suivantes:
     - le Vincou: rivière qui se jette dans l'étang de la Crouzille après avoir reçu les effluents des mines du Fanay et des anciennes mines de Sagnes et d'Henriette.
suite:
Puis le Vincou reçoit les effluents de la mine de Margnac et se jette dans la Gartempe après avoir traversé plusieurs étangs et la ville de Bellac.
Eh bien cette rivière qui, à l'origine, n'était pas contaminée (concentration en radium 226 inférieure à 1 picocurie par litre) est maintenant très «riche» en uranium et en ses descendants.
     - la Gartempe: c'est elle qui reçoit les rejets de l'usine de traitement des minerais d'uranium de Bassines et les eaux qui ont drainé le site où a été enfouie l'ancienne usine du Bouchet (que l'on a déménagée de plus de 400 km, parce qu'elle contaminait toute une zone en région parisienne). Cela représente plusieurs dizaines de milliers de tonnes de poutrelles, moteurs, boues de décantation, et autres déchets pollués.
     Au total, la Gartempe est moins polluée que le Vincou, mais a néanmoins subi d'importantes contaminations par le Ra 226 (jusqu'à 28 pCi/l) durant l'année 1973. Si le problème du radium est devenu chronique, il s'est passé en 78 un certain nombre de pollutions très importantes par l'uranium (mesure jusqu'à 140 microgrammes/l) difficile à corréler avec les mesures sur le Vincou. Il faudrait donc regarder de plus près les sources potentielles de ces pollutions pour essayer d'en tirer une hypothèse ou des hypothèses;
     -l'étang de la Crouzille, principal réservoir d'eau potable de la ville de Limoges, a une situation caractérisée par une très grande variabilité des taux d'uranium qui est suivie avec un délai de quelques 3 à 5 mois par une variabilité plus atténuée (facteur d'atténuation approximativement de 5) de la teneur en radium. L'évolution générale est plutôt à la hausse avec des mesures dépassant 10 pCi/l pour le Ra et 40 pCi/l pour l'uranium.
     Tout ceci fait que la contamination des eaux «potables» distribuées à Limoges a subi une augmentation lente, mais constante en moyenne, depuis 1972.
     Pour les relevés antérieurs à 76 dont nous disposons, on constate une corrélation entre la contamination en Ra 226 de l'étang de la Crouzille et les eaux de Limoges (atténuation autour de 4).
     C'est beaucoup moins évident pour la pollution par l'uranium, sauf en 1976 où l'on a une bonne corrélation, pour les quelques mesures dont nous disposons, avec une atténuation de l'ordre de 13. Ce dernier chiffre peut être retenu en valeur moyenne sur de longues périodes.
     La contamination globale alpha a doublé entre 72 et 76, suivant en cela l'augmentation de la teneur en Ra 226 (30% entre 72 et 78). La pollution par l'uranium a brusquement triplé à partir du 3ème trimestre 75, alors qu'elle n'avait pratiquement pas évolué entre 1972 et 1975.

     Comme on le voit l'«uranium est l'avenir du Limousin»... !

p.18
* Le problème atteint un niveau tel que le pouvoir ne limite plus sa diffusion, comme en témoignent ces pages consacrées à ce sujet dans le numéro 121 de janvier 1981 de la revue «50 millions de consommateurs» pourtant contrôlée par l'Etat!

BONNE FEUILLE

     Nous avons recu, à la Gazette, la copie d'un document fort intéressant adressé à la Commission de la Communauté Européenne par un de ses correspondants en Afrique, plus précisément au Niger. Nous donnons connaissance à nos lecteurs des passages se rapportant plus particulièrement au sujet de cette Gazette.
«(...) Il importait, en fait, beaucoup plus au Chef de l'Etat, de me confier, à l'occasion de cette entrevue, ses préoccupations quant à la situation actuelle du Niger, mais les choses sont évidemment liées, notre refus «pesant» sur une conjoncture délicate.
     Le Président Kountche est très inquiet, d'une part, du mauvais démarrage de la saison des pluies (pluies irrégulières et «pause» actuelle anormale des précipations) et de la baisse sensible du cours de l'uranium. Il m'a précisé, à ce sujet, que le prix actuel du kilo de l'uranium métal se situait aux alentours de 18.000 F CFA, ce qui m'a été confirmé, alors que le prix contractuellement débattu fin 79, pour l'achat de l'uranium nigérien 80, était de 24.500 F CFA, une chute donc de près de 27%. Si cette situation ne devait pas se redresser, d'ici à la fin de l'année, il craint que l'uranium 1981 ne soit acheté à un niveau sensiblement inférieur à son cours de vente actuel, avec les conséquences que cela entraînerait pour l'exécution du nouveau plan quinquennal, surtout si cette baisse se conjugue avec une mauvaise récolte. Le Pésident m'a semblé quelque peu désemparé, n'arrivant pas, apparemment, à comprendre «pourquoi l'uranium baisse alors que le pétrole augmente». J'ai cru opportun d'avancer quelques explications fort peu originales: freinage de certains programmes d'équipement nucléaire pour cause notamment «d'écologie», abondance de minerai dans le monde, etc., qui - c'est inquiétant pour la confiance que l'on peut accorder à son ministre des Mines - ont paru l'intéresser... Le Président, c'est manifeste, cherche actuellement du secours auprès de la Communauté et attend, pour le moins, de nous, explications et conseils. Il m'a même précisé, «si à la fin de l'année la situation ne s'arrange pas, dites à Cheysson que j'irai le voir...».
suite:
     (...) J'ai eu, à plusieurs reprises, dans de précédents rapports, à insister sur l'importance au Niger, de la pluie et du cours de l'uranium, les «deux mamelles» de l'économie locale. Il est clair qu'il ne faut pas encore dramatiser: l'hivernage peut reprendre un cours plus normal et le prix de l'uranium se redresser. Mais il est également clair que si se conjuguent mauvais hivernage et chute des cours, nous allons vers une année 1981 difficile. En tout état de cause, le Président m'a précisé que le budget 1981 serait un budget de pause après ces années d'expansion rapide et qu'il n'espérait guère de son très prochain voyage dans les pays arabes (Irak, Syrie, Bahrein, Koweit, Arabie Saoudite) car maintenant «les Arabes savent compter»... (sic).
     Il me paraît que dans cette perspective maussade, la Commission devrait se préparer à étudier les initiatives les plus à même de faire comprendre à l'une des rares vitrines montrables de l'Afrique francophone d'aujourd'hui, que nous sommes prêts à l'aider, au cas de crise. Je suggère, personnellement, avis pris auprès des directions générales qu'intéresse l'uranium nigérien, que quelque chose soit fait pour aider le Niger à y voir plus clair dans la situation actuelle du marché mondial de ce minerai. Le Chef de l'Etat a été très pressant sur ce point. Ce serait aussi une façon de concrétiser, enfin, au niveau de la Commission, la mission «Vincent-Silvain-Euratom», sur l'énergie, de juin 1978 qui n'a donné lieu, jusqu’ici, qu’a des initiatives de la BEI (SMTT et SONTCHAR).
     Il me semble qu'une note faisant le point du marché mondial de l'uranium, de ses perspectives à court, moyen et plus long terme et des conditions de fixation des prix serait une réponse très appréciée, parce que rapide et répondant manifestement à une attente
Nota : les parties soulignées, le sont dans l'original.
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