La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°35/36
PLOGOFF
 

2. DES MANIPULATIONS TROUBLANTES


     A l'occasion de l'enquête d'utilité publique et de ses péripéties, des protestations de scientifiques se sont fait entendre. Il nous est apparu intéressant de les donner dans ce numéro. Les faits décrits posent en effet des questions importantes sur la responsabilité scientifique.
     Tout d'abord, voici l'APPEL SCIENCE PLOGOFF signé par des chercheurs et des universitaires.

APPEL A L'OPINION PUBLIQUE
A PROPOS DE L'ENQUETE SUR
LA CENTRALE NUCLEAIRE DE PLOGOFF

     Les conditions déplorables de préparation et le déroulement de l'enquête publique concernant le projet de centrale nucléaire de Plogoff soulèvent l'indignation dans l'opinion publique et particulièrement dans la communauté scientifique.
     Qu'ils soient favorables au développement de l'industrie nucléaire ou qu'ils émettent les plus vives réserves à son égard, tous les scientifiques conscients de leur responsabilité sociale s'accordent à considérer que, devant la gravité du problème, les choix possibles doivent être débattus dans une atmosphère de sérénité, d'indépendance et d'esprit critique à partir de dossiers d'information correctement et honnêtement instruits. Force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies pour le choix du site de Plogoff.
     Le volume apparent du dossier d'enquête publique masque mal ses faiblesses, ses absences et ses incohérences entre les faits décrits et les conclusions déduites. Les délais nécessaires à des études préalables scientifiquement significatives n'ont pas été respectés et toutes les études nécessaires n'ont pas été menées. Mais il y a pire: les rédacteurs du dossier se sont permis de réinterpréter les études scientifiques d'avant-projet et de complément d'avant-projet (réalisées notamment par des chercheurs du CNEXO, de l'ISTPM et de l'U.B.O.), d'en modifier les conclusions, voire les données brutes et de les faire passer pour de véritables études d'impact bien qu'elles n'en aient pas les caractères. Les remarques et les protestations transmises officiellement par les chercheurs concernés ont été en grande partie ignorées, comme cela s'était déjà produit pour la centrale de Flamanville. Ainsi, un point aussi important que celui de la dispersion des eaux chaudes rejetées à la mer apparaît à ce jour non résolu bien qu'il conditionne les possibilités de refroidissement de la centrale. De nombreux indices montrent que les calculs effectués par EDF s'appuient sur des hypothèses fausses Le problème des eaux rouges est délibérément sous-estimé. Celui de la pollution du milieu marin par les radioéléments rejetés n'a même pas été étudié. L'étude géologique du site tant en mer (risques d'envasement liés aux ouvrages) qu'à terre (circulation des eaux pluviales, structure et résistance du sous-sol, extraction des matériaux d'emprunt) n'a pas été réalisée.
     Le dossier d'enquête publique de Plogoff est en fait un modèle de ce qu'il faudrait à tout prix éviter: une pseudo-étude d'impact servant à justifier a posteriori des choix politiques et administratifs et qui tente de s'auréoler de la caution des scientifiques et des organismes auxquels ils appartiennent. Chercheurs et organismes sont par ailleurs tenus au silence par les clauses de confidentialité des contrats d'études. Comment dans ces conditions peut-on parler d'information et de consultation démocratique des populations loçales? Les énormes intérêts économiques et financiers mis en jeu par le programme nucléaire seraient-ils à l'origine de telles pratiques? Ne vaudrait-il pas mieux établir des dossiers d'enquête scientifiquement honnêtes et débattre librement et démocratiquement des choix, plutôt que de déployer un arsenal répressif policier et judiciaire pour imposer des décisions prises dans la hâte et l'ignorance de bien des réalités?
     Les scientifiques signataires demandent aux pouvoirs publics d'annuler l'enquête d'utilité publique pour insuffisance d'information sur l'impact réel qu'aurait une centrale nucléaire de 5.200 MW installée à Plogoff. Ils apportent leur soutien et leur solidarité aux populations du Cap Sizun en lutte. Ils considèrent que le gouvernement doit enfin organiser les conditions d'un large débat contradictoire et démocratique sur le programme nucléaire français.

suite:
     Puis, nous donnons ci-dessous, de larges extraits d'une conférence de presse CFDT tenue à Quimper le 7 mars1980.

     Au moment où les pouvoirs publics prétendent assurer l'information de la population en envoyant plusieurs centaines de gendarmes mobiles, l'Union Départementale CFDT a tenu à inviter la presse pour dénoncer les truquages et manipulations effectués par EDF sur les dossiers Plogoff.
     Ces manipulations ont un triple but pour les pouvoirs publics et l'EDF:
     1. Obtenir la caution d'organismes scientifiques pour justifier des décisions politiques.
     2. Tromper les élus régionaux et départementaux en leur imposant le choix d'EDF, sous couvert de prétendues nécessités techniques.
     3. Faire croire à la population, d'une part que la construction d'une centrale nucléaire à Plogoff est un choix technique et scientifique, et d'autre part que tous les effets de la centrale sont connus et contrôlés, ce qui est faux.
     Vu de l'extérieur, tout est simple: l'EDF confie les études à des organismes scientifiques publics qui rendent leurs conclusions en toute indépendance.
     Mais la réalité n'est pas celle-là!
     1. Les organismes scientifiques (Universités, CNEXO, ISTPM, etc.) ne sont pas totalement indépendants d'EDF.
     - C'est un contrat de commerce qui lie ces organismes à l'EDF.
     - L'argent manque cruellement dans la recherche et les contrats EDF financent presque totalement certains laboratoires.
     - La majorité des techniciens et scientifiques travaillant dans ces laboratoires pour EDF sont hors statuts, leur emploi est donc menacé en permanence.
     2. Comme c'est EDF qui finance, il n'attribue des crédits que pour certaines études et pas pour d'autres qui seraient plus gênantes. Ainsi a-t-on beaucoup étudié les rejets d'eau chaude, mais très peu la radioactivité.

Comment Plogoff a-t-il été choisi?

1 - Choix des cinq sites bretons (Beg-An-Fry, Erdeven, Saint-Vio, Plogoff, Ploumoguer).
     EDF prétend que ce sont les premières études scientifiques qui ont permis de retenir ces cinq sites. Ceci est totalement faux. Le CNEXO, l'ISTPM et l'Université ont fait des études d'avant-projet exclusivement pour ces cinq sites, c'est donc bien qu'ils avaient été sélectionnés avant par EDF.
     En réalité, ces cinq sites ont été choisis sans aucune étude préalable.
2. Choix de Plogoff
     En novembre 1976, l'EDF a organisé au CNEXO à Brest des «journées de thermoécologie». Dans leur compte rendu de travaux, les scientifiques du CNEXO avaient conclu en refusant de classer les cinq sites bretons. Dans le compte rendu écrit, cette conclusion a disparu!!!
     En 1978, le préfet de région demanda à l'EDF d'établir un dossier afin de préparer le choix des conseillers régionaux. A cette date, seules les études d'avant-projet étaient réalisées sur les cinq sites. C'est pourquoi les scientifiques qui travaillaient sur ces sites, considéraient les connaissances insuffisantes pour faire ressortir un site plutôt qu'un autre.
     L'EDF demanda alors au Professeur Peres de Marseille de faire une synthèse. C'est cette synthèse qui met Plogoff en avant, bien que le professeur Peres lui-même considère les études d'avant-projet insuffisantes. Comment les conseillers auraient-ils pu faire un choix autre que celui de cet éminent professeur? Et pourtant, peut-on considérer que ce professeur est vraiment objectif alors qu'il déclare dès 1976:
     «Mon but est d'aider EDF à opposer les arguments scientifiques inattaquables à ceux, de plus en plus nombreux, qui agitent l'opinion publique contre les programmes de centrales littorales»?

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3. Le dossier d'utilité publique prétendument destiné à informer la population
     Il est basé seulement sur l'étude d'avant-projet et un complément d'avant-projet.
     - Les sujets abordés y sont soigneusement sélectionnés. Ainsi, on parle beaucoup de l'eau chaude et très peu de la radioactivité, beaucoup plus inquiétante.
     - Les réponses à beaucoup de questions angoissantes sont reportées dans le futur (déchets radioactifs, marée noire sur la centrale, etc.).
CENTRE NATIONAL POUR L'EXPLOITATION
DES OCEANS

Centre Océanologique de Bretagne

Plouzané, le 3 mars 1976
réf. DS/87.78YC
NOTE

     Le Chef de l'Opération «Centrales nucléaires» à D/COB pour transmission à M. NOUNOU.
     Objet: Dossier d'impact EDF-REC concernant la centrale nucléaire de Flamanville.
     Je vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous quelques remarques générales sur le rapport «Impact de la centrale de Flamanville sur le milieu», réalisé par EDF-Région d'Equipement Clamart. Vous trouverez également joint à cette note une critique point par point de ce document, préparée par l'équipe U.L. de Roscoff qui travaille actuellement sur le site.

     Remarques générales concemant le rapport EDF: Impact de la centrale de Flamanville sur le mffieu.
     1. Le chapitre pollution ne foumit aucune donnée concernant la pollution radioactive alors que la centrale de Flamanville est située à environ 10 km de l'usine de La Hague
     2. Le chapitre «étude écologique des peuplements benthiques», résumé à partir du rapport d'avant-projet CNEXO, offre une vision trop succincte du milieu, ne retenant que les aspects négatifs. Il entretient, en particulier, une confusion orientée entre «faible diversité spécifique» et «pauvreté écologique», «recouvrement alguale» et «Biomasse»... Certaines informations sont ignorées telles que l'abondance des peuplements de Cirripèdes dont la production larvaire représente la plus grande part du plancton en mars, dans le secteur.
     3. L'étude d'impact constitue certainement le point le plus critiquable du dossier. Il importe de souligner que les estimations quantitatives de l'infralittoral sont fondées sur des prélèvements semi-quantitatifs (dragues) et que certaines zones déclarées abusivement pauvres n'ont fait l'objet d'aucune prospection biologique (bancs de sable existant éventuellement au pied de la falaise, p. 18). Cette étude fait apparaître un certain nombre d'hypothèses hardies et optimistes sur la valeur trophique du plancton mort, la régénération du plancton en milieu réchauffé et les conséquences
écologiques de l'utilisation du chlore (en ne tenant pas compte de l'effet possible de dérivés halogénés, chloraminés, hyprobromités).

suite:
     Enfm, une absence totale de vision dynamique conduit à des conclusions abusives concernant l'impact sur le benthos, en ignorant notamment le problème du recrutement à partir des formes larvaires pélagiques.
     En conséquence, le CNEXO ne peut cautionner une telle étude d'impact dont les conclusions sont totalement illusoires.

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Plouzané, le 19 juillet 1978
Le personnel U.L. sites EDF à D/COB pour transmission à D4 direction du cabinet et PDG/CNEXO
Objet: Dossier d'impact EDF concernant la centrale nudéaire de Flamanville.
     Le dossier d'impact de la centrale de Flamanville (réalisé par EDF.REC) nous avait amené courant février, à formuler de nombreuses critiques de fond concernant tant la description de l'état initial du milieu vivant à partir des données avant-projet CNEXO, que l'impact de la centrale sur ce milieu (initiative EDF).
     Nous avions conclu à un manque d'objectivité de la part d'EDF et précisé que ledit organisme, à partir de données très insuffisantes ou inexistantes, s'était livré à des prévisions d'impact totalement illusoires qui ne lui incombaient pas et que le CNEXO ne pouvait cautionner. Ces critiques ont fait l'objet d'une lettre adressée le 1er mars au chef de l'Opération Centrales Nucléaires qui les a fait immédiatement parvenir à D/COB et à D4.
     Un article paru dans Le Monde du 12 juillet 1978 informait l'opinion que le dossier d'impact sur l'environnement était rendu public dans différentes administrations du Nord-Cotentin durant la période du 7 au 19 de ce mois, et en présentait très succinctement le contenu. Il apparaît au vu de ce document que la partie halieutique a été remodelée par rapport à celle du dossier original après intervention de l'ISTPM alors qu'aucune modification fondamentale ne concerne les études réalisées par le CNEXO.
     Il semble de toute évidence que les critiques que nous avions formulées en février ne soient pas parvenues à EDF.

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Paris, le 7 aout 1978
Le D/CAB à D/COB
Objet: Dossier d'impact concernant la centrale nudéaire de Flamanville.
     1. Note sans numéro de l'Unité Littoral transmise le 22 juillet 1978 par D/COB
     2. Note DS/87.78 du 3.3.78
     Le personnel de l'Unité Littoral qui participe aux études financées par l'EDF s'étonne que le dossier d'impact lié à la demande de permis de construire sur le site de Flamanville, rendu public à la mi-juillet dernier, ait insuffisamment tenu compte des données présentées par le CNEXO et en particulier des critiques formulées le 3 mars 1978 par le Chef de Projet.
     Cet étonnement est compréhensible. Sans nous attarder sur l'anomalie constatée, il convient essentiellement d'en examiner les causes et dans toute la mesure du possible d'essayer d'y porter remède dans l'avenir.
     Il est important de souligner tout d'abord que l'EDF, propriétaire des études, a la faculté des sélections et d'interpréter les résultats que l'ISTPM ou le CNEXO lui adressent, dans le cadre de leurs contrats respectifs, en fonction des dossiers qu'elle est tenue d'établir. Cette faculté qui peut nous apparaître léonine est en réalité largement tempérée dans ses effets par le fait que d'une part l'EDF est un service public, ce qui, il faut bien en convenir, offre une certaine garantie de sérieux et d'objectivité, et que d'autre part il existe avec cet organisme de nombreuses occasions de dialogues nous permettant de faire valoir notre point de vue. Si du moins nous savons nous montrer convaincants.
     Cela étant, les critiques formulées par le Chef de Projet n'ont pas en leur temps été transmises par voie officielle. Les raisons sont les suivantes:
     - Fin 1977 le dossier d'impact nous a été adressé officieusement par le Ministère de l'Environnement. Par voie officieuse par conséquent, nous avons fait connaître nos observations qui pour l'essentiel recoupaient celles formulées ultérieurement par le Chef de Projet.
     - En novembre 1977, une réunion CNEXO/ISTPMI EDF a été tenue. Nous pensions qu'à cette occasion l'ISTPM ayant formulé des critiques, l'Unité Littoral avait fait de même.
     - Le dossier d'impact en question avait trait à la demande de permis de construire. Un dossier du même type mais traitant de l'impact des rejets d'eau à la mer, autrement plus déterminant pour l'environnement marin, devait suivre.
     C'est pour l'ensemble de ces raisons, considérant que l'EDF était déjà informé de nos réserves et que par ailleurs ces réserves s'appliquaient mieux au dossier ultérieur d'impact des rejets d'eau à la mer, que l'EDF n'a pas été officiellement saisi par nos soins.
     L'expérience prouve que nous avons sans doute eu tort.
     Quoi qu'il en soit, les critiques formulées par le Chef de Projet ont été transmises à l'EDF le 4 août et je me suis assuré qu'elles seront prises en considération pour l'établissement du dossier d'impact relatif aux rejets d'eau.
     En ce qui concerne l'avenir, j'ai exprimé le souhait auprès d'EDF que des réunions de concertation soient tenues entre le COB et des représentants de l'EDF avant que les dossiers d'impact ne soient rendus publics.
suite:
     Je précise en outre, afin d'éviter dans le futur des pertes de temps en transmission et des malentendus entre le Siège et le COB, que le directeur du COB est désormais nanti de l'autorité nécessaire pour traiter directement avec EDF toutes questions ayant trait à l'aspect scientifique de nos études et à leur utilisation par EDF.
Signé C. RIFFAUD
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Plouzané, le 6 mars 1980
Le Personnel D/ELGMM sur programme EDF à D/COB pour transmission à D/CAB et PDG/CNEXO
Objet: Dossier de déclaration d'Utilité publique, concernant la construction de la Centrale de Plogoff.
Pièce jointe: lettre D/CAB à D/COB n°78-30 du 7 août

     Par une lettre du 19 juillet 1978, nous faisions part de notre indignation devant la non-transmission à EDF de nos critiques formulées sur le Dossier provisoire d'Impact concernant la Centrale de Flamanville. Ces critiques avaient été envoyées par la voie hiérarchique le 8 mars 1978.
     En conséquence, le Dossier d'Impact définitif présenté dans les mairies du Cotentin en juillet 1978 ne pouvait tenir compte de nos remarques et corrections pourtant essentielles.
     Le directeur de cabinet avait répondu (lettre jointe): «Sans nous attarder sur l'anomalie constatée, il convient d'en examiner les causes et dans toute la mesure du possible, d'essayer d'y porter remède dans l'avenir».
     L'avenir nous montre que le remède (si tant est qu'on ait voulu l'utiliser) manque d'efficacité.
     En novembre J 979, le dossier provisoire de Déclaration d'Utilité Publique concernant la centrale de Plogoff, nous a été communiqué. Ce dossier contenait des interprétations inadmissibles des rapports scientifiques.
     Par l'intermédiaire du Chef de Projet Centrales Nucléaires, des critiques très importantes ont été envoyées, toujours par voie hiérarchique, pour transmission à EDF (décembre 1979).
     Lors d'une réunion sur le programme d'études sur le site de Plogoff (26 févier 1980), entre des représentants D/ELGMM et des représentants EDF (responsables des études sur Plogoff), ceuxci s'étonnèrent d'entendre parler de critiques CNEXO dont ils affirmèrent ignorer l'existence jusqu'à ce jour.
     Les auteurs (U.B.O., D/ELGMM) du rapport de complément d'avant-projet ayant servi à l'élaboration du Dossier de D.U.P. de Plogoff (ainsi que des autres études de sites) sont scandalisés que la direction du CNEXO fasse aussi peu de cas de leurs remarques et, par là, du contenu scientifique de leurs travaux.
     Même si, comme l'affirmait le Directeur de Cabinet: «... l'EDF, propriétaire des études a la faculté de sélectionner et d'interpréter les résultats que l'ISTPM ou le CNEXO lui adressent,...» (lettre jointe), nous tenons à ce que la direction du CNEXO s'engage à défendre l'objectivité des travaux réalisés par ses agents en contrôlant leur utilisation par les organisrnes demandeurs, et en transmettant en temps utile les critiques éventuelles.

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