La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°26/27

THREE MILE ISLAND
1. Informations techniques
AVANT-PROPOS
     Une fois encore, certains de nos lecteurs vont trouver que la Gazette est vraiment difficile à lire et trop technique!... Mais pour ce numéro, particulièrement, il est important, très important même de s'appuyer sur des bases techniques sérieuses et précises. Et que surtout cet avant-propos ne rebute pas certains; en fait, ce numéro se lit comme un roman ... noir.

1. informations techniques

     Avant de décrire l'accident tel qu'il ressort actuellement des informations à notre disposition, il nous faut faire un bref rappel technique qui sera d'ailleurs aidé par les schémas ci-dessous.
     Le réacteur de Three Mile Island 2 est du type PWR, c'est-à-dire qu'il comprend un circuit primaire dans lequel un pressuriseur maintient une pression telle (150 bars) que l'eau ne bout pas à la température de fonctionnement (320°C). Le modérateur et le caloporteur étant constitués par cette eau du circuit primaire, il est nécessaire d'enrichir légèrement l'uranium naturel: on passe de 0,7% en U235 à 2,6% dans le cas de la centrale qui nous intéresse. Le circuit primaire comprend ainsi le réacteur[1], quatre pompes primaires[2] qui ont pour but de faire circuler l'eau, deux échangeurs de chaleur[3] et un pressuriseur[4]. Tout ce premier circuit peut être contaminé par suite des fuites des gaines des combustibles tolérées dans ce type de centrale à eau légère (environ 1% de gaines fissurées), aussi est-il à l'intérieur d'un bâtiment en béton appelé enceinte de confmement et séparé de l'eau secondaire qui traverse la turbine par la paroi des tubes des générateurs de vapeur.
     L'accident grave est toujours dû au fait que, pour des raisons diverses, le cœur du réacteur n'est plus suffisamment refroidi; cela provient soit d'un mauvais refroidissement par le circuit secondaire, soit d'une défaillance propre au circuit primaire, soit des deux en cascade. Aussi sont prévues des injections de sécurité dans le circuit primaire: à haute pression, s'il s'agit de brèches de faible importance, à basse pression et fort débit, s'il s'agit de la rupture franche d'une tuyauterie primaire. De plus une aspersion extérieure au circuit est installée dans l'enceinte contenant le réacteur. Enfin, un circuit auxiliaire permet de refroidir le réacteur à l'arrêt (RRA).

     Sur ces différents circuits, il y a bien sûr des vannes et des soupapes. Ces dernières, en particulier, ne sont pas sans poser des problèmes car elles sont surtout prévues pour s'ouvrir.
     Certaines soupapes de sécurité installées sur le circuit primaire n'expédient pas leur vapeur ou leur eau dans l'atmosphère mais dans des volumes de stockage: il s'agit en effet d'une eau très contaminée.
     Le circuit secondaire qui fait tourner la turbine et l'altérateur comprend:
     - les générateurs de vapeur[3] qui récupèrent la chaleur du circuit primaire et produisent la vapeur du circuit secondaire;
     - les turbines[5] dans lesquelles cette vapeur se détend et fournit l'énergie mécanique qui entraîne l'altérateur;
     - le condenseur[6] où la vapeur se condense au contact de la source froide du circuit: autre circuit (tertiaire en somme) qui à Three Mile Island cédait sa chaleur à l'atmosphère grâce à des aéro-réfrigérants;
     - des turbo-pompes alimentaires[7] qui renvoient l'eau après réchauffage aux générateurs de vapeur.
     Sur ce circuit existent aussi des sécurités et en particulier un système auxiliaire qui permet d'envoyer de l'eau dans les générateurs de vapeur (côté secondaire) en cas de défaillance de l'alimentation normale.
     Au moment de l'accident, le réacteur n°1 était à l'arrêt pour rechargement du combustible et le réacteur n°2 (accidenté) était, lui, à 97% de sa puissance nominale.
p.2
Three Mile Island unité N°2
ANNEXE 2

2. description de l'accident
Description de l'accident lors des 16 premières heures, le 28 mars:
     Lors d'une réunion publique le 4 avril, les ingénieurs de la NRC ont présenté à leurs directeurs, le scénario de l'accident tel qu'il découlait du dépouillement des enregistrements de la centrale. Seuls les enregistrements correspondant aux 16 premières heures avaient été dépouillés.[1]
     En prenant comme origine des temps l'instant où débute l'accident (4 heures du matin, heure locale), le 28 mars, le scénario est le suivant:
Temps:
- 0:
     Perte pour une raison non encore établie de l'alimentation normale des générateurs de vapeur. Ceci entraîne l'arrêt automatique de la turbine.
- 3 à 6 s:
     Ouverture de l'électrovanne de décharge du pressuriseur sur signal de pression primaire élevée (153 bars)[2].
- de 9 à 12 s:
     Arrêt d'urgence du réacteur au signal pression primaire élevée (161 bars).
- de 12 à 15 s:
     La pression primaire descend à 152 bar, puis à 148 bars. La température de la branche chaude à la sortie du cœur atteint 320°C. La vanne de décharge du pressuriseur aurait dû se refermer à 155 bars, or elle ne se referme pas.
- 30 s:
     Les trois pompes d'alimentation de secours des générateurs de vapeur marchent à pleine pression. Leur débit est nul: les vannes en aval sont fermées, ce qui est en contradiction flagrante avec les spécifications techniques.
- 60 s:
     Le niveau pressuriseur monte rapidemcnt - Niveau «bas» des générateurs de vapeur A et B.
- 2 mn:
     Démarrage automatique de l'injection de sécurité haute pression sur signal basse pression primaire, 110 bars.
- de 4 à 11 mn:
     Le niveau pressuriseur sort de sa gamme de lecture. Successivement à 4,5 mn et 10,5 mn, l'opérateur arrête les deux pompes d'injection de sécurité.
     A 6 mn, ébullition en masse («steam flashing») dans le cœur. Pression primaire: 93 bars; température sortie du cœur: 308°C
     A 7,5 mn, les pompes des puisards d'enceinte se mettent automatiquement en service.
     A 8 mn, l'opérateur ouvre les vannes d'alimentation de secours des générateurs de vapeur.
     A 8 mn 18 s, la pression est minimum dans le générateur de vapeur B.
     A 8 mn 21 s, la pression (côté secondaire) dans le générateur de vapeur A remonte.
- de 11 à 12 mn:
     Le niveau pressuriseur est de nouveau lisible.
     Remise en route manuelle des pompes d'injection de sécurité haute pression.
- 15 mn:
     Rupture des membranes d'éclatement du ballon de décharge du pressuriseur à environ 13,5 bars.
- de 20 à 60 mn:
     Les pression et température du circuit primaire restent stables; pression primaire: 72 bars; température du cœur: 287°C (conditions d'ébullition).
- l h 15:
     L'opérateur arrête les deux pompes primaires de la boucle B.
     «A ce stade des dégradations s'étaient certainement déjà produites sur le combustible, mais le plus grave était à venir» (citation NRC). 
- 1 h 40:
     L'opérateur arrête les deux pompes primaires de la boucle A.
- 1 h 45 à 2 h:
     Le cœur commence à s'échauffer fortement.
     La température de sortie du cœur dépasse 327° et sort de la gamme de lecture pendant 14 mn.
     La température d'entrée du cœur décroît à 65°.
- de 2 h 15 à 3 h:
     La pression primaire passe de 48 à 148 bars.
     A 2 h 20, isolement du générateur de vapeur B. Décharge à l'atmosphère de la vapeur secondaire par les soupapes de décharge commandées.
     A 3 h, ouverture de la vanne de décharge du pressuriseur (action manuelle).
     A 3 h, détection de radioactivité dans le réseau de drains des puisards d'enceinte.
suite:
- 3 h 15:
     Pic de pression: 34 bars dans le ballon de décharge du pressuriseur.
- 3 h 50:
     Nouveau pic de pression: 0,76 bar dans le ballon de décharge de pressuriseur.
     La pression primaire serait de 120 bars.
     La pression dans l'enceinte atteint 0,31 bar.
     Isolement automatique de l'enceinte à une pression de 0,3 bar (suppression).
- 5 à 6 h:
     La pression primaire passe de 85 à 145 bars.
- 7 h 30:
     Ouverture de la vanne de décharge du pressuriseur pour réduire la pression primaire.
Nota: De nombreuses manœuvres ont été effectuées sur la vanne de décharge. Elle semble donc être restée, dans une certaine mesure, manœuvrable pendant l'accident. 
- de 8 h à 9 h:
     La pression primaire décroît à 35 bars.
     Les températures mesurées par les thermocouples du cœur (52 mesures) donnent des valeurs très diverses. Les thermocouples sortent de leur gamme de lecture: 325 à 370°C. Une ébullition dans une partie du cœur est certaine.
     Les accumulateurs se sont en partie déversés dans la cuve (pression de charge des accumulateurs: 41 bars).
- 10 h:
     Pic de pression de 1,9 bar dans l'enceinte (probablement explosion d'hydrogène).
     Démarrage de l'aspersion d'enceinte qui est arrêtée (manuellement?) après avoir injecté 20 m3 d'eau sodée dans l'enceinte.
- 13 h 30:
     Fermeture de la vanne de décharge du pressuriseur pour augmenter la pression primaire afin de:
     - réduire les dimensions d'une bulle d'incondensables et/ou de vapeur,
     - permettre le démarrage des pompes primaires.
     Mise en route des pompes primaires de la boucle A.
     A ce moment, la forte différence de température entre l'entrée et la sortie du cœur (branches froide et chaude) indique un débit quasiment nul dans le cœur.
- 13 h 30 à 16 h:
     La pression primaire augmente de 44,8 à 158 bars.
- 16 h:
     La température de sortie du cœur décroît à 293°C.
     La température d'entrée du cœur remonte à 204°C.
     Le générateur de vapeur A fonctionne et évacue sa vapeur vers le condenseur où le vide a été rétabli.
     16 heures après l'accident, l'installation se trouve dans l'état général suivant:
     - très forte dégradation du combustible: les ingénieurs de la NRC estiment qu'environ 10 à 25% des crayons de combustible ont été rompus. Le refroidissement des crayons de la zone centrale du cœur est gêné par leurs déformations. Cependant, les mesures faites ultérieurement sur l'activité de l'eau primaire montrent une faible concentration en produits de fission solide, ce qui indique qu'il n'y a pas eu de fusion notable du combustible.
     - Présence d'une bulle d'incondensablés au sommet du cœur. La présence et les dimensions de cette bulle ont pu être estimées en corrélant les variations de pression du circuit primaire, les températures des branches chaudes et froides, les températures du cœur et le niveau du pressuriseur. 
     Cette bulle est essentiellement composée d'hydrogène provenant d'une réaction zircaloy/eau qui a pu se produire lors des phases d'assèchement du cœur au cours desquelles la température des gaines aurait atteint un niveau rendant possible cette réaction (on nous a même cité la valeur de 1920°C!).
     - Ebullition locale dans le cœur indiquée par les thermocouples du cœur.
     - Présence dans l'enceinte d'une eau fortement contaminée dont l'activité était de 800.000 Ci/m3.
     - Contamination du bâtiment des auxiliaires nucléaires à la suite du déversement d'environ 40 m3 d'eau contaminée puisée dans l'enceinte par les pompes d'exhaure[3]. Ce déversement est dû au débordement des réservoirs du traitement des effluents liquides.
     - Le refroidissement du cœur est assuré par circulation de l'eau primaire (utilisation d'une pompe primaire) dans la boucle A et évacuation de la chaleur par le générateur de vapeur A. Ce mode nécessite le fonctionnement du système d'eau d'appoint et notamment un débit de décharge d'eau primaire fortement contaminée d'environ 80 l/mn en direction des circuits du système de contrôle volumétrique et chimique (RCY). 
     - Rappelons que la pression primaire est de l'ordre de 118 bars, la température de branche chaude de 293°C; les thermocouples du cœur indiquent la présence de zones d'ébulution dans le cœur.
p.3

ÉVOLUTlON DE L'INSTALLATION DU 28 MARS AU SOIR 
AU 6 AVRIL 1979

     Nous n'avons pas pu recueillir de renseignements précis concernant l'évolution exacte des paramètres de la centrale au delà des seize premières heures. Cependant, les principales actions de l'exploitant, agissant sous le contrôle des ingénieurs de la NRC et avec le concours d'ingénieurs de Babcock et Wilcox, ont eu pour buts:
     a) En ce qui concerne le refroidissement du cœur, de réduire les phénomènes d'ébullition dans le cœur tout en réduisant progressivement la pression primaire.
     Le passage en arrêt froid du circuit primaire et son refroidissement par le circuit de refroidissement à l'arrêt étaient rendus très délicats pour différentes raisons:
     · présence d'une bulle d'incondensables au-dessus du cœur: la réduction de pression qu'aurait nécessité le passage sur le circuit de refroidissement à l'arrêt aurait pu entraîner une augmentation de la taille de la bulle et donc un dénoyage partiel du cœur et des risques de cavitation des pompes (d'où arrêt possible de la circulation du fluide primaire),
     · les pompes et échangeurs du circuit de refroidissement à l'arrêt sont situés dans le bâtiment des auxiliaires nucléaires et non à l'intérieur de l'enceinte de confinement, d'où risque de rejets radioactifs à l'extérieur (fuites possibles sur ce circuit),
     · la déformation du combustible pouvait faire craindre, à pression faible, un mauvais refroidissement des assemblages, 
     b) En ce qui concerne l'enceinte, de réduire la teneur en hydrogène par mise en service de recombineurs. Cette utilisation des recombineurs a nécessité la mise en œuvre d'environ 400 t de plomb en briquettes pour limiter les doses pour le personnel. Ce plomb, non disponible sur le site, a été collecté en deux jours chez des industriels, Certaines quantités ont même été transportées par avion.
     Les recombineurs ont été mis en service, le 3 avril, sur le mode suivant: un en service traitant environ 1,7 m3 /mn, l'autre en attente. 
Nota: 1) La teneur en hydrogène dans l'enceinte avait atteint 2,2% juste avant la mise en service du recombineur, alors que le 31 mars au matin, la concentration maximale était de 1,7%, 2) Les experts de la NRC considèrent qu'il faudra environ 11 jours pour réduire à 1% la concentration en hydrogène. 

     c) En ce qui concerne les rejets, de réduire les rejets extérieurs (gaz rares) en renvoyant les produits de dégazage des réservoirs d'effluents primaires à l'intérieur de l'enceinte, par l'intermédiaire d'une ligne provisoire.
ÉTAT DE L'INSTALLATION AU 5 AVRIL 1979 
ET PROBLEMES POTENTIELS 

    Au 4 avril, les mesures dans le cœur n'indiquaient plus aucune trace d'ébullition dans ce dernier.
     · Température maximale dans le cœur: (248°C) 4 (seuls 3 thermocouples indiquent plus de 205°C). 
     · Pression primaire: (69 bars).
     · Températures moyennes entrée et sortie du cœur: 138°C.

suite:
     La puissance résiduelle du cœur était de l'ordre de 5 MW. Les estimations conduisaient à penser que la bulle d'incondensables avait fortement décru. Aucune indication chiffrée de son volume ne nous a été communiquée alors que, le 3 avril, il était question d'environ 1,4 m3 et que, précédemment, les estimations les plus pessimistes avaient indiqué environ 25 m3 à 60 bars.

*

     L'exploitant envisageait de passer en circulation naturelle, tout en remplissant complètement d'eau le pressuriseur. Une telle opération permettrait de s'affranchir des problèmes suivants:
     · disponibilité des pompes primaires: celles-ci ont certainement souffert au cours de l'accident et leur fonctionnement permanent peut être aléatoire,
     · disponibilité des sources électriques externes: une perte du réseau entraînerait l'arrêt des pompes qui ne sont pas secourues,
     · disponibilité des mesures de niveau du pressuriseur: signalons qu'un des trois capteurs de niveau est tombé en panne le 3 avril.
     Cependant, le passage en circulation naturelle supposait que l'on puisse garantir l'établissement du thermosiphon. Les études des ingénieurs de Babcock et Wilcox étaient orientées dans ce but et il était même envisagé d'effectuer un essai d'établissement du thermosiphon sur un réacteur du même type.
     Le passage au refroidissement par le système de refroidissement à l'arrêt n'était pas encore envisagé à court terme, en raison surtout, des problèmes de rejets radioactifs et de contamination que pourraient poser des fuites sur ce circuit, situé hors de l'enceinte, et qui aurait eu à véhiculer un fluide particulièrement actif.

RAPPEL DES CONCLUSIONS DE LA RNC 

     Lors de la réunion du 4 avril, la NRC a indiqué en conclusion de son exposé que l'accident était dû aux six causes suivantes:
     1. Le non-fonctionnement du système d'alimentation de secours des générateurs de vapeur (ASG), lié à la position fermée des vannes d'isolement de ce système en violation des spécifications techniques. Ces vannes avaient certainement été fermées pour permettre des opérations de maintenance ou de test sur ce circuit, deux semaines auparavant.
     2. La non-fermeture complète de la vanne de décharge du pressuriseur après chute de la pression primaire.
     3. Les indications inexploitables données par le niveau d'eau du pressuriseur,
     4. Il n'était pas prévu que l'isolement de l'enceinte s'effectue automatiquement par la mise en route de l'injection de sécurité sur le réacteur de Three Mile Island. Cependant, la mise en service de cet isolement aurait arrêté les pompes d'exhaure et, ainsi. évité le débordement des réservoirs d'effluents primaires et, partant, aurait fortement limité les rejets extérieurs.
     5. L'opérateur a arrêté prématurément l'injection de secours,
     6. L'arrêt des pompes primaires a largement contribué à aggraver les dégâts sur le combustible.

p.4

Notes:
1. Nous remercions tout spécialement MM. Cayol et Roche de leur excellente traduction, (Rapport de la Mission effectuée aux USA. ler au 6 avril 1979). M. Roche, Service Central de sûreté des installations  nucléaires, M. Cayol, C.E.A.
2. 1 bar égale à peu près 1 kg par centimètrc carré.
3. Terme technique de mine ou carrière: épuisement des eaux d'infiltration.
4. La température de saturation de l'eau à 69 bars est de 285°C.
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