La G@zette Nucléaire sur le Net!
N°8/9
Situation du programme nucléaire
4) LA SITUATION DU NUCLEAIRE A L'ETRANGER
D.a. Les programmes de nucléaire civil
     «Partout, dans le monde, le nucléaire est attaqué et, le plus souvent, régresse ou même disparaît. Aux Etats-Unis, l'industrie nucléaire, victime de règlements et de structures inadéquates, victime aussi des attaques des groupes écologiques est bloquée: déficit prévisible d'uranium naturel, plus de commande de centrale, pas de relais aux usines de séparation isotopique actuellement saturées, pas de perspective de retraitement du combustible avant trois ans au moins pas d'horizon réel pour les surgénérateurs.
     Que ce soit en Grande Bretagne, en Allemagne, en Italie, en Suède, partout des blocages et des échecs apparaissent, dus à des difficultés financières ou techniques et plus encore aux attaques des écologistes...».
     Nous citons à nouveau ces propos de M. Giraud, Administrateur général du CEA, parus dans les Echos du CEA de novembre 1976. car ils décrivent parfaitement la réalité.
Ô Aux Etats-Unis (informations de source EDF: Informations général;es nucléaires du février et mars 1977) en 1976, les producteurs dÌélectricité nÌont commandé ferme que trois réacteurs de 1200 MWe (signalons, pour fixer les ordres de grandeurs, que ce rythme correspondait pour la France à une commande de centrale tous les trois ans... au lieu des 5 à 6 par an du programme Messmer!). Les autorisations de fonctionnement ont été respectivement de 9 centrales en l974, 3 en 1975 et 6 en 1976. Les autorisations de construire ont été de 14 en 1974, en 1975, et 9 en 1976. C'est le marasme! Et pourtant la consommation d'électricité, au cours de l'année 1976, a progressé de 5,5 % par rapport à celle de 1975: les Américains ne font pas confiance à l'énergie nucléaire pour satisfaire leurs besoins en électricité. L'industrie nucléaire est vigoureusement attaquée,les normes de sécurité sont de plus en plus sévères. Résultats: les délais de construction s'allongent, les prix de revient montent, le nucléaire est de moins en moins compétitif.
     Mais surtout Jimmy Carter vient de porter un coup sévère au programme électronucléaire américain en interdisant tout retraitement des combustibles irradiés. Nous y reviendrons plus loin (chap. 5).
Ô La Grande Bretagne a décidé d'abandonner la filière américaine PWR qu'elle juge notamment trop dangereuse, au profit de la filière canadienne qui brûle mieux l'uranium. A la suite du rapport de la Commission Royale pour l'environnement (voir chap. précédent), aucune décision n'a été prise en ce qui concerne la construction d'un surgénéteur en Ecosse   la décision de Jimmy Carter risque d'être fatale à ce projet.
Ô La contestation anti-nucléaire, qui a fait preuve de tant d'efficacité aux USA, est en train de gagner l'Allemagne.. «les récents retards dans la construction des centrales nucléaires n'ont pas eu jusqu'ici d'effet sensible à cause de la récession. Mais de nouveaux décalages paraissent inévitables avec: 
     - la contestation autour de la centrale de Brochdorf;
     - l'alourdissement, depuis quelques mois,
     - de la procédure d'autorisation de construction des centrales
     - l'interruption, par décision judiciaire, de trois chantiers importants pour une durée indéterminée
     - le refus de certains gouvernements provinciaux d'accorder toute nouvelle autorisation de centrale nucléaire tant que la question du stockage des déchets radioactifs ne sera pas résolue
     - la proposition par le gouvernement de Basse-Saxe des anciennes salines de Gorlebem pour l'implantation d'un centre de retraitement et de stockage des déchets. La proximité (5 km) de la frontière de l'Allemagne de l'Est paraît constituer un inconvénient majeur pour le choix de ce site par le gouvernement Fédéral.
     Un débat au parlement fédéral doit intervenir prochainement sur le retraitement et le stockage des déchets radioactifs ainsi que sur l'éventualité d'une suspension totale de toute nouvelle autorisation vis-à-vis des centrales nucléaires tant que cette question des déchets radioactifs n'aura pas été résolue ».
Source EDF:
Informations générales ucléaires
10/3/1977
     Comme on peut le voir, le programme électronucléaire allemand est bien parti!! Cette situation est le résultat d'actions massives et résolues menées par les populations concernées contre le programme nucléaire. Même les tribunaux s'en sont mêlés.
     - le  tribunal administratif du Schleswig Holstein a décidé d'interdire la reprise des travaux de construction de la centrale de Brockdorf car aucune solution satisfaisante n'avait été apportée au problème des déchets
     - le tribunal de Fribourg-en-Brisgau a interdit la construction de la centrale nucléaire de Wyhl. Cette décision a été prise à la suite d'une procédure exceptionnelle: les juges se sont transportés sur le site. Pendant plusieurs semaines, au cours de séances publiques (véritable hearing à l'américaine), ils ont entendu les experts des diverses parties.
suite:
Ils en ont conclu que le risque d'une explosion du réacteur ne saurait être considéré comme négligeable. Celle-ci serait une véritable catastrophe, d'ampleur nationale, entraînant de nombreuses victimes dans un rayon de 15 km, la région serait inhabitable pendant des années.
     Où va-t-on si la contestation gagne la justice allemande?
Ô Au Japon l'avenir du nucléaire n'est pas plus brillant: «L'objectif officiel pour 1985, qui avait été fixé à 60.000 MW au moment de la crise du pétrole, avait été réduit l'an dernier à 49.000 MW...
     Les compagnies électriques viennent de proposer de réduire l'objectif ofliciel à 25.000 MW, soulignant l'augmentation du délai de mise en service des centrales en raison des discussions interminables avec les collectivités locales et déplorant l'absence d'effort du gouvernement pour combattre cette résistance efficacement ».
Source EDF
Informations générales nucléaires
14.10.1976
     Comme les choses ont bien changé en deux ans!   Rappelons que la Délégation à l'information écrivait en 1975 «... on assiste aujourd'hui... à l'intensification, de la part de nombreux pays, de leurs efforts pour développer d'importants programmes électronucléaires» (voir plus haut). La question que l'on peut poser aujourd'hui est la suivante: la Délégation à l'information manquait-elle en 1975 d'informations (ce qui serait un comble!), de perspicacité, ou bien a-t-elle voulu nous tromper ?

D.b. La proliferation de l'arme nucléaire
     L'énergie nucléaire, à la différence de toutes les autres sources d'énergie, ne peut être dissociée de ses applications militaires. L'atome pacifique a toujours été une «retombée technologique» du développement fantastique de l'atome militaire: la filière PWR (Westinghouse) a été mise au point pour les sous-marins atomiques; la filière graphite-gaz a permis à de Gaulle de faire sa force de frappe. L'atome pacifique a bénéficié de l'effet d'entrainement dû au formidable développement de l'atome militaire: il a ainsi bénéficié de moyens considérables qui lui ont permis de démarrer vite contrairement à d'autres sources d'énergie comme le solaire par exemple.
     Les promoteurs des programmes électronucléaires tentent de nous faire oublier les «liens particuliers» qui existent entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire. Ils y étaient presque parvenus lorsque le 18 mai 1974: l'Inde fit exploser sa première bombe atomique obtenue grâce à... l'atome pacifique. Depuis, le doute ronge les esprits.
     Tout le monde est conscient des risques énormes pour l'humanité de tout conflit nucléaire. Mais les avis divergent lorsque l'on posé la question de savoir si le développement de l'atome «pacifique» va entraîner la prolifération de l'arme nucléaire et donc augmenter les risques de conflits nucléaires.
     Nous pensons, pour notre part, que le développement à grande échelle de l'industrie nucléaire, et principalement de l'industrie du plutonium, conduit à terme à la banalisation de l'arme nucléaire. En effet, la confection d'explosifs nucléaires nécessite trois choses:
     1. Un certain nombre de connaissances techniques et scientifiques. Celles-ci sont maintenant dans le domaine public.
     2. Un minimum d'infrastructure industrielle, minimum que possèdent évidemment, à l'image de l'Inde, la plupart des pays.
     3. Quelques quantités de matières fissiles. Jusqu'à maintenant, c'est l'impossibilité pour la plupart des pays de se procurer de l'uranium 235 ou du plutonium 239 qui interdisait effectivement la prolifération de l'arme atomique. La preuve: l'acharnement que mettent certains pays peu «démocratiques» à avoir accès à la technologie nucléaire: l'Iran vient en effet de conclure avec l'Inde un accord technique d'assistance (Enerpresse, le 3.3.77 no 17775).

Il existe deux façons de supprimer le risque de la prolifération nucléaire:
     1. mettre en place des verrous juridiques, c'est ce qui a été tenté avec le Traité de Non-prolifération et la création de l'AIEA, Agence de l'ONU, chargée de l'application du dit traité. Actuellement, personne ne croit plus à ce verrou juridique pour les raisons suivantes:
     - de nombreux pays (dont la France) n'ont pas signé le TNP. Le traité peut être facilement résilié (3 mois de délai).
     - «la mission américaine à l'AIEA reconnaît elle-même que les mesures de sécurité prises pour prévenir la fabrication d'armes atomiques à partir de matériaux exportés ne sont pas infaillibles et qu'il est relativement aisé à un pays acquéreur de s'y soustraire»... Selon l'Agence pour le Contrôle des armes et le désarmement, près de 40 pays devraient avoir suffisamment de plutonium pour construire quelques bombes atomiques vers 1985.

AFP Science, 22.9.1976
p.13

     2. placer des verrous techniques (c'est le choix que vient de faire Jimmy Carter). Rappelons les décisions prises par celui-ci le 7 avril 1977:
     - ajournement indéfini du retraitement et du recyclage à des fins commerciales du plutonium produit aux USA;
     - coup de frein au programme de développement des surgénérateurs au plutonium et recherche d'autres filières
     - embargo sur l'exportation d'équipement et de technologies qui rendraient possible l'enrichissement de l'uranium et le retraitement chimique
     - pression «amicale» mais ferme sur les pays exportateurs de matériel sensibles pour qu'ils suivent l'exemple américain
     - développement des capacités de production d'uranium enrichi (pour les PWR) des Etats-Unis.
     Si l'on en juge par les réactions dans les pays intéressés Ò France, Allemagne, Japon - ces décisions constituent un véritable pavé dans la mare nucléaire. C'est le tollé. Le Monde titre «Un luxe américain». Un luxe ou une mesure de sauvegarde de l'espèce humaine?
     «Je crains que lorsque l'histoire de ce siècle sera écrite, il apparaîtra que le plus grand désastre subi par notre nation sera non pas la tragédie du Vietnam, mais notre fabrication d'énormes quantités de plutonium dont la mise en lieu sûr représentera une condition essentielle pour la survie de l'humanité, non pas pour quelques dizaines ou centaines d'années, mais pour des milliers d'années, plus que la durée passée de l'humanité».
James Watson,
Prix Nobel de médecine 1962 cité par Lehénaff dans «Aspects
techniques, écologiques, économiques
et politiques de l'énergie nucléaire».
     Nous ne sommes pas dupes: la décision américaine, qui a paraît-il reçu outre-Atlantique un accueil très favorable, n'est pas aussi pure qu'il n'y pourrait paraître. Elle a des implications économiques et politiques évidentes: le maintien de l'hégémonie américaine et soviétique. L'URSS soutient en effet Carter dans cette affaire: «notre informateur, qui vient des neiges de l'Est Européen, considère comme certain que lors du contact américano-soviétique, la question de l'embargo nucléaire a été abordée... L'idée d'embargo a été avancée l'année dernière au sein du groupe de Londres par l'URSS, avec le soutien apparemment total du Canada et l'appui plus réservé de la Grande-Bretagne: l'explosion atomique indienne était dans toutes les mémoires... La notion d'embargo a pour elle la logique: elle tire les conclusions extrêmes de la politique des verrous techniques que forment les interdictions en cours de définition pour les équipements sensibles du cycle du coinbustible. »
Enerpresse, 3.3.77 no 1775
     Ceci dit, nous pensons que les mesures prises par Carter:
     - sont les seules susceptibles de limiter la prolifération de l'arme nucléaire... si elles sont appliquées dans les faits,
suite:
     - quelles doivent être suivies de mesures de désarmement complet et notamment de destruction des énormes stocks de bombes A et H fabriquées par les USA et l'URSS.
     Sans entrer plus à fond dans le débat général, signalons que les Etats-Unis ont les moyens d'appliquer leurs décisions chez eux et à l'étranger:
     - ils ont actuellement le quasi-monopole de l'enrichissement de l'uranium et ceci jusqu'au démarrage d'Eurodif (en 82... 84 ?) qui ne représentera que 45 % de l'approvisionnement en uranium enrichi en 1985;
     - ils possèdent, avec le Canada et l'Australie, les deux tiers de réserves mondiales d'uranium naturel du bloc occidental. Ces deux pays sont également de chauds partisans de mesures draconiennes pour limiter la prolifération. Signalons que l'Australie, malgré ses importantes réserves d'uranium, se propose de couvrir, en l'an 2000, 4/5ème de ses besoins en énergie par le solaire.
     Ces décisions vont avoir des conséquences sur les programmes électronucléaires:
     - tous ces débats jettent un peu plus de discrédit sur l'énergie nucléaire: elle s'en serait bien passée
     - l'avenir des surgénérateurs est compromis. Le nucléaire ne sera jamais aux USA qu'une énergie d'appoint. La France se lance donc dans une nouvelle opération «Concorde»;
     - on dit que Carter va relancer le nucléaire «classique». C'est fort probable: il ne peut «étrangler» un secteur d'activité comme le nucléaire d'un seul coup, les intérêts en jeu sont trop puissants: il faut laisser Westinhouse et General Electric retirer leur mise. Ceci étant, on voit mal, sans retraitement des combustibles irradiés, un avenir très brillant pour le nucléaire classique: il est condamné à terme, comme le disait si bien M. Giraud;
     - les décisions de Carter vont porter un rude coup à l'ensemble de l'industrie nucléaire dans le monde entier étant donné le rôle de leader joué par les Etats-Unis dans cette industrie. Le commerce des installations nucléaires va être considérablement  réduit.  Les défenseurs du «tout nucléaire» qui fondaient beaucoup d'espoir dans les possibilités d'exportation d'installations nucléaires (voir l'argumentaire officiel cité ci-dessus) vont être déçus!
     - il est possible que la question du retraitement soit réexaminée, que des centres internationaux, donc sous contrôle américain soient créés à cet effet. Mais dans quels délais? Ce qui paraît assez évident, c'est que les décisions de Carter portent un rude coup à l'avenir des programmes électronucléaires. Tout le monde en est bien convaincu.
     Le doute commence à gagner les esprits. M. Ph. Boulin, Directeur général de Creusot-Loire, trouve que «l'industrie nucléaire bénéficie de l'attention excessive de beaucoup trop de gens pas toujours aussi bien intentionnés qu'ils veulent bien le dire» (Enerpresse, no 1783 du 15.3.1977).

     Effectivement,  beaucoup  de  gens s'intéressent  au  nucléaire, notamment ceux qui seront aux premières loges en cas d'accident.

p.14

Retour vers la G@zette N°8