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N°8/9
Situation du programme nucléaire
3) LES SURGENERATEURS

C.a. Le programme nucléaire français actuel  implique  le développement rapide des surgénérateurs.
     Compte tenu de la mauvaise utilisation de l'uranium naturel dans les filières à eau légère et des faibles ressources mondiales d'uranium (voir texte précédent), le développement du nucléaire peut se faire suivant deux stratégies
     1. Le nucléaire est considéré comme une énergie d'appoint qui permettra d'attendre l'arrivée des énergies inépuisables solaire, géothermie. Son développement sera lent afin d'économiser l'uranium. Il sera modeste afin de dégager les moyens nécessaires au développement industriel des énergies nouvelles.
     2. Le nucléaire est développé à marche forcée. C'est la stratégie actuelle de la France. Selon cette stratégie, le nucléaire représenterait 25% de l'énergie primaire en 1985, 40% en l'an 2000. A ce rythme de développement la France épuisera ses propres réserves d'uranium en dix ans. Il faut donc trouver rapidement un relais aux centrales nucléaires actuelles: ce relais, c'est le surgénérateur. Un programme ambitieux a donc été lancé avec comme première étape la construction, à Creys-Malville (Isère) du surgénérateur géant Superphénix (1200 MWe) qui devrait bientôt être suivi de plusieurs surgénérateurs de 1800 MWe dans la région de Chalons-sur-Saône.
     Ce programme est officiellement justifié par des raisons techniques: le caractère limité des réserves d'uranium, l'avance technologique - incontestable - du CEA dans ce domaine. Mais comme toujours les arguments techniques masquent les choix économiques et politiques faits par les grands groupes industriels, en l'occurence Creusot-Loire. Ce groupe qui a déjà - via Framatome - le monopole de la construction des centrales à eau légère (PWR), aura - via Novatome - la haute main sur la construction des surgénérateurs. Le rôle dominant de Creusot-Loire dans Novatome a été obtenu à la suite:
     1. d'une restructuration industrielle à son profit: dans le secteur sidérurgique, prise de contrôle de NEYRPIC à la suite d'un accord avec Alsthom en décembre 1976, accord avec CEM et Alsthom pour la construction des turboalternateurs.
     2. du démantèlement des services compétents du CEA: le transfert de l'équipe d'ingénieurs de Superphénix (composée d'agents du CEA (Technicatome) et de l'ex-GAAA) à Novatome devrait intervenir dans les deux mois. Les compétences du CEA, acquises grâce à l'argent du contribuable français, sont ainsi offertes en cadeau au baron Empain!
     La logique du programme de développement  forcené  de  l'énergie  nucléaire conduit les pouvoirs publics à faire des impasses, à griller des étapes. Tout se passe comme si on voulait rendre le choix du «tout nucléaire» irréversible (avant l'arrivée de la gauche au pouvoir ?!). L'opposition à la construction du Superphénix se développe-t-elle? On essaie de la prendre de vitesse. «Nous ressentons de la manière la plus nette que la meilleure façon de contrecarrer la contestation se développant au plan local et national est d'engager au plus vite, de manière irréversible l'opération et de rendre publique cette décision»
Marcel Boiteux, septembre 1976
(information « provenant » de la Nersa).
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     Effectivement,  avant que le décret d'autorisation de création (terme de la procédure de sécurité) et que la déclaration d'utilité publique ne soient signés, les travaux de génie civil ont commencé sur le site le 15 novembre 1976 (les fondations sont actuellement pratiquement terminées). Bel exemple de politique du fait technocratique accompli

C.b. Le développement rapide de surgénérateurs est-il acceptable? est-il réaliste?
     Il peut être tentant, pour résoudre la. pénurie prévisible d'uranium, d'avoir recours aux surgénérateurs: ils permettent, théoriquement, de multiplier les réserves d'uranium par un facteur 50 au moins. Mais quand on passe de la théorie à la pratique, les perspectives sont moins brillantes:
     1. Les surgénérateurs sont encore plus inquiétants que les PWR
     La matière fissile y est si concentréè qu'il peut s'y produire des explosions de type nucléaire (voir plus loin un extrait du rapport d'une très officielle commission britannique). Le réfrigérent (sodium, liquide) explose au contact de 1'eau et prend feu au contact de l'air. Le développement des surgénérateurs nous fait entrer dans la société du plutonium. Des quantités industrielles de ce produit seront manipulées.
     2. Leur fonctionnement est très difficile à assurer
     Sept surgénérateurs producteurs d'électricité ont fonctionné dans le monde
     - EBR1 (USA; 0,2 MWe) a été détruit en 1955 par un accident (fusion du coeur).
     - EBR2 (USA, 16 MWe) fonctionne correctement depuis 1963.
     - Enrico Fermi (USA, 66 MWe) a démarré en 1963. Il a subi en 1966 une fusion partielle qui aurait pu conduire à une, catastrophe. Remis en service en 1968, il a été définitivement arrêté depuis.
     - DFR (Grande-Bretagne, 15 MWe) a démarré en 1959. Il a été arrêté en 1976 après un fonctionnement assez satisfaisant.
     - PFR (Grande-Bretagne, 250 MWe) a démarré en 1975 avec deux ans de retard. Il n'a pas encore atteint sa puissance maximale en raison de nombreux essais technologiques.
     - BM 350 (URSS, équivalent à 350 MWe) a démarré juste avant Phénix, mais a eu plusieurs accidents dus au sodium en 1974. Depuis, il a un fonctionnement irrégulier.
     - Phénix (France, 250 MWe) a connu un début remarquable en 1974-1975, mais ses performances se sont dégradées sans cesse depuis. Arrêt du 24.11.75 au 13.12.75 pour fuite dans un générateur de vapeur, fonctionne à puissance réduite de juillet à octobre 1976 pour fuite de sodium secondaire; arrêt complet depuis le 5 octobre 76 pour fuite de sodium dans un autre échangeur. Il devrait redémarrer au début de mai 1977. On nous dit que la panne qui a occasionné cet arrêt n'est pas grave, ceci est tout à fait exact, mais alors quelle aurait été la durée de l'arrêt si la panne avait été plus sérieuse ?
     3. Le combustible des surgénérateurs n'existera peut-être jamais à l'échelle industrielle
     Ce combustible est le plutonium. Ce corps n'existe pas dans la nature; il faut l'extraire des combustibles irradiés provenant actuellement des réacteurs PWR, plus tard des surgénérateurs. Or, pour le moment, on ne sait pas extraire industriellement le plutonium produit par le PWR.

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     4. Les crédits alloués aux surgénérateurs hypothèquent l'avenir
     Le coût de Superphénix ne cesse d'augmenter: de 3 MF au départ il dépasse actuellement 5 MF. Il est évident que la somme des études de toutes natures et des investissements indispensables pour amener la filière à un stade véritablement industriel est considérable: on a vu que toute une série de problèmes techniques complexes ne sont pas encore résolus: sécurité, retraitement des combustibles, amélioration du coefficient de surgénération. Les résoudre demandera du temps et de l'argent, ceci d'autant plus que, comme nous le verrons plus loin, nous sommes seuls à mettre au point cette filière. Consciente du problème, la direction d'EDF, qui a déjà beaucoup de difficultés à financer le programme de construction des PWR, refuse de payer le surcoût que représente la mise au point de Superphénix.

C.c. Que se passe-t-il à l'étranger?
     La Grande-Bretagne projetait de construire, dans l'extrême-nord de 1Ecosse, un surgénérateur de la taille de Superphénix. En septembre 1976, la très officielle Royal Commission on Environnemental Pollution remettait un rapport qui constitue un réquisitoire, non pas contre l'énergie nucléaire, mais contre un développement important des surgénérateurs. Citons les paragraphes 115 et 116 (traduction de Charles Noël Martin)

115. Tout comme le réacteur thermique, le réacteur à neutrons rapides n'est possible qu'à cause d'une particularité de la nature: l'existence des neutrons différés (neutrons émis par des radios-isotopes quelques secondes après la fission du noyau d'uranium). Si la réactivité se trouve encore augmentée notablement et très rapidement, les mécanismes de contrôle de la réactivité risquent d'être dépassés; il existe alors une probabilité théorique de formation accidentelle d'un sous-ensemble critique aux seuls neutrons rapides et prompts, c'est-à dire non différés.
     C'est, sur le plan technique, le principe même d'une explosion nucléaire, bien que le processus de la réaction en chaîne soit nettement plus lent que dans le cas provoqué de la bombe atomique et, de ce fait, l'énergie libérée en serait d'autant moindre. On ne sait pas encore très exactement si une explosion de ce type aboutirait à la vaporisation du combustible; on suppose en général qu'il pourrait l'être et les plans des réacteurs sont faits en prévision de cette éventualité extrême. Si cette sécurité s'avérait insuffisante, non seulement l'iode et le césium seraient libérés, mais également des quantités substantielles de produit de fission  non volatils, tels le strontium, ainsi que du plutonium. Au cas où le réacteur serait construit dans un endroit habité, les pertes en vies humaines seraient très grandes. La raison pour laquelle cela peut se produire dans un réacteur rapide et non dans un réacteur thermique vient de ce que le premier a son combustible dans un état initial de réactivité en dessous du maximum de réactivité. Si tout le combustible d'un réacteur thermique se trouvait fondu en une seule masse, sa réactivité tomberait car il n'y aurait pas de modérateur (qui freine les neutrons) pour accroître la réactivité. Par contre, dans le cas de surgénérateur, tout le combustible fondu en une masse compacte la verra dans un état de réactivité maximum.

116. Les deux fusions du coeur dans les FBR (Fast Breeder Reactor) américains ont été heureusement contenues et il n'y a pas eu libération de radioactivité à l'extérieur mais une fusion non contenue aurait des conséquences tellement catastrophiques (voir le paragraphe 303) que l'opinion prévaut selon laquelle les réacteurs rapides ne pourront jamais apporter une contribution majeure à un programme de puissance, du moins pas avant que les processus sous-jacents aux modifications de géométrie du coeur soient parfaitement connus.

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Les recherches dans ce champ d'idées sont activement menées sans qu'on sache encore maintenant s'il sera jamais possible de dessiner un jour un réacteur de ce type qui élimine complètement la possibilité d'un sursaut local d'énergie capable de rompre les protections les plus fortes soient-elles.

     A la suite de ce rapport, la décision de construire ce surgénérateur, qui devait être prise à l'automne dernier, a été reportée à une date indéterminée par le ministre britannique de l'industrie.
     L'URSS avait sagement choisi de passer de 350 MWe (BN 300) à 600 MWe (BN 600 en construction à Bielogrask, dans l'Oural). Des bruits non confirmés indiquent que l'URSS arrêterait son programme de surgénérateur en raison de difficultés pour maîtriser les problèmes du générateur de vapeur. Cette décision serait cohérente avec le grand programme de mises en valeur des gigantesques ressources pétrolières et gazières de la Sibérie.
     Comme nous l'avons déjà indiqué, les Etats-Unis ont décidé, pour des raisons politiques (risques de prolifération de l'arme nucléaire), mais aussi économiques (difficultés industrielles et coût du retraitement) de ne pas retraiter les combustibles irradiés. Cette décision condamne actuellement tout programme de développement de surgénérateurs. Récemment le président Carter a même porté un coup très grave au projet américain de Clinch-River (projet de prototype de surgénérateur) en déclarant que celui-ci «portait un risque potentiel pour la sécurité»

C.d. Superphénix est un nouveau Concorde
     La France développe, encore une fois une technique dont personne ne veut. Mais la comparaison avec Concorde s'arrête là.
     - La mise au point des surgénérateurs (retraitement des combustibles, sécurité, coefficient de surgénération) sera beaucoup plus difficile que la mise au point de Concorde. Cela prendra donc plus de temps d'argent.
     - Les risques de prolifération de l'arme nucléaire rendront, si l'on ose dire, encore plus difficile l'exportation des surgénérateurs que celle de Concorde.
     - On ne voit pas bien ce qui pourra arrêter l'opposition à la construction de Superphénix à Creys-Malville, au contraire, celle-ci ne fait que se renforcer:
     Ô occupation pacifique du site en juillet 76
     Ô appel «Non à Superphénix» paru en juillet 76 dans Le Monde
     Ô votes négatifs des conseils généraux dÌlsère et de la Savoie.
     Ô appel des Scientifiques du CERN (Centre européen de recherche nucléaire) en novembre 1976.
     Ô les assises de Morestel de février 1977.
     Ô action de harcèlement contre le chantier (court circuit, blocage de l'entrée). vol de documents à la Nersa.
     Le 16 octobre 1969 Marcel Boiteux (déjà lui!) expliquait la décision de la Direction  d'EDF  d'abandonner  la  filière «graphite-gaz» au profit de la filière Westinghouse de la manière suivante: «continuer, en France, dans nos petites frontières, à poursuivre une technique à laquelle le monde ne s'intéresse pas, cela n'a plus de sens» - Nous ne doutons pas qu'à 8 ans d'intervalle, M. Boiteux ne se déjugera pas et qu'il proposera prochainement au gouvernement, qui suit si fidèlement ses recommandations, d'arrêter Superphénix. Le malheur, pour lui, c'est que, sans surgénérateur, le programme de développement massif du nucléaire n'a plus de sens.

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