CONTROVERSES NUCLEAIRES !
VEILLE NUCLEAIRE INTERNATIONALE
Flashes 2011

Situation financière du secteur nucléaire: qui va payer?
ADIT, mars
http://www.actu-environnement.com/

27 Février 2011
     Face à la gravité de l’endettement des groupes EDF et Areva et aux enjeux stratégiques et sécuritaires de l'industrie du nucléaire, la réponse semble évidente. L'état n'ayant plus les moyens de suivre, le contribuable devra une nouvelle fois mettre la main à la poche au nom de l'atome.
Corinne LEPAGE, avocate, ancien Ministre de l'Environnement, Présidente de Cap21
     La réponse à cette question est évidente: l'usager et le contribuable. Le secteur cumule les non-dits. La gravité de l'endettement des 2 groupes nationaux, dont l'actionnariat est majoritairement public, est empirique. Et il faut espérer que le secteur nucléaire reste public au vu des sommes déjà dépensées et l'impératif de sécurité corollaire à la dangerosité de l'activité ne devant pas céder aux objectifs de rentabilité.

EDF
     EDF est une entreprise très endettée, en raison de choix capitalistiques désastreux, dont la stratégie constante est de faire peser sur le contribuable ou l'usager sa politique, tout en réduisant la sécurité au bénéfice de la rentabilité pour ses actionnaires.
     En 2010, avant la manipulation consistant à se débarrasser de la dette de RTE et de l'obligation de constituer des provisions pour démantèlement, l'endettement d'EDF se montait à 42,5 milliards d'euros pour un résultat brut d'exploitation de 17,5 milliards, soit un rapport de 2,4. Le tour de passe-passe qui a permis de sortir le fond de démantèlement des centrales nucléaires a autorisé une apparente réduction de l'endettement de 12 milliards d'euros. Pourtant, lors de la présentation de ses comptes 2010, la dette nette n'a diminué  que de 8,1 Mds €, à 34,4 Mds € au 31 décembre malgré la cession du réseau UK (6,7 Mds €). M. Proglio a justifié le niveau d'endettement par l'obligation de provisionner  2,9 milliards d'euros pour risques et ajustements de valeur liés à la dégradation des conditions des marchés de l'électricité et du gaz à l'international, dont 1 milliard aux Etats-Unis et 915 millions en Italie. Les annonces d'Edf ont laissé le monde de la finance peu convaincu. Confirmation faite par les agences de notation qui dégrade la note comme Fitch qui passe à AA-.
     La situation financière dépend aujourd'hui du débat sur le prix du kWh du nucléaire. Après des années de bataille médiatique pour faire accroire le faible coût de revient du nucléaire, EDF est pris dans le piège de fixer son prix pour la revente. Afin de faire le plus de marge possible EDF va devoir avouer un prix le plus haut possible. Le débat vise ainsi à intégrer le coût de remplacement des centrales nucléaires. Ainsi, EDF veut le faire tendre vers le prix de revient de l'EPR soit 50% plus cher. Le débat achoppe aussi sur l'intégration de l'enfouissement, dont le prix varie entre 15 et 35 milliards d'euros. EDF a pour l'instant provisionné 6.3 milliards d'euros sur la base d'estimations de 2005, loin des 35 milliards pour lesquels il devra supporter 80% des coûts. Ajoutons à cela les dérives sur le coût de l'EPR : Flamanville a vu son prix passer de 3,3 milliards à 4,5 milliards pour l'instant et les investissements, dont les risques de dévaluation de l'actif, sont grands, comme dans le cas par exemple de Constellation dont le but était de participer à la relance du nucléaire aux Etats-Unis, relance qui n'aura pas lieu pour EDF, le gaz étant plus rentable. Ainsi le joint-venture construit dans un but perd tout son sens et l'investissement aussi.
     Les problèmes du volet industriel en 2009 ont conduit à une baisse de 5,5 % de la production du groupe par rapport à 2008, soit le niveau de 1999, mais aussi à la baisse des exportations en 2009, de l'ordre de 47 % en un an, ramenant l'exportation d'électricité à 24,6 TWh, soit le niveau de 1985 où nous ne possédions que 40 réacteurs nucléaires contre 58 aujourd'hui.
     Le contribuable a assumé la charge de l'investissement initial et celle de la recherche et développement (selon un rapport de l'ENA, le soutien accordé à la recherche nucléaire depuis 1974 s'élèverait à 159 Mds $), non compris les risques spécifiques qui pèsent sur l'investissement (les surcoûts, incertitudes sur le prix des combustibles, risques politiques, réglementaires et la garantie de l'emprunt)
     L'objectif du non-dit est-il de séparer  la production d'électricité déjà partiellement privatisée, de la distribution et de l'aval du cycle, qui resteraient gérés par l'Etat ? Dans ce cas, l'usager paierait 3 fois, une première lorsqu'il s'agissait de provisionner pour l'aval du cycle, une seconde fois sur leur quittance, une dernière, masquée,  comme contribuable pour assumer le coût du traitement final.

suite:
AREVA
     La situation financière d'Areva est encore bien plus préoccupante que celle d'EDF. Si le plan stratégique lancé en 2005 a permis à Areva d'être présent sur tout le cycle du nucléaire, sa situation financière ne cesse de se détériorer. Le groupe doit investir près de 2,5 milliards d'euros par an en moyenne entre 2009 et 2012. Mais l'Etat, son actionnaire majoritaire, n'a pas les moyens de suivre et l'ouverture du capital est très problématique compte tenu de la nature des activités d'Areva.
     Le groupe a subi un camouflet en décembre 2010 pour une augmentation de capital ouvrant de plus le capital d'une activité stratégique à un fond souverain non européen (Koweït Investment Authority). La note de crédit long terme d'Areva a été placée sous surveillance négative suite à ses difficultés. Cette dégradation fait suite à une précédente dégradation de 2 rangs en juin 2010 par une autre agence. La détérioration est donc patente. Il faudrait du reste rechercher les raisons profondes du désaccord avec Siemens qui a conduit cette dernière à quitter le capital d'AREVA. Areva a commencé à vendre ses actifs, à débuter par sa filiale R&D ; c'est la cession  au Fonds stratégique d'investissement (FSI) de sa participation au capital de STMicroelectronics (STM) qui est en question en raison d'un différentiel de prix de 25%. Une des premières annonces du conseil de politique nucléaire présidé par M.Besson consiste à contraindre Areva à filialiser son activité minière, qui est en réalité aujourd'hui la seule rentable dans le but probable d'en faire profiter quelques sociétés amies du pouvoir
     Le fiasco de l'EPR est connu. L'addition finale ne l'est pas. C'est sans doute pour cette raison qu'AREVA s'oriente désormais vers un réacteur construit avec les chinois, plus petit, mais dont les règles de sécurité vont être d'une autre nature ! Il n'en demeure pas moins que le coût de la construction de l'EPR finlandais et les montants gigantesques d'investissements devront bien être supportés… comme les nouveaux investissements. Le contribuable va-t-il continuer à financer la recherche développement sans jamais aucune sanction pour les erreurs successives ?
     La question financière est d'autant plus délicate que si l'activité de construction de réacteurs nucléaires d'AREVA est en difficulté, son activité initiale de retraitement des déchets nucléaires se porte encore plus mal. En effet, un très grand nombre de ses clients ont abandonné leur contrat dans la mesure où ils ont décidé de ne plus retraiter leurs déchets. C'est principalement le cas de l'Allemagne. L'usine de retraitement UP3 de La Hague avait été préfinancée par des contrats entre Cogéma et vingt-sept exploitants de centrales étrangères pour le retraitement d'environ 7 000 tonnes de combustibles irradiés sur une période d'environ dix ans. Allemagne, Belgique, Japon, Pays-Bas, Suisse ont tous progressivement abandonné le retraitement. Or jusqu'aux alentours de 2004 environ la moitié des activités de retraitement de Cogéma concernaient des clients étrangers.
     La quasi-totalité de l'activité classique d'AREVA dépend donc d'EDF, qui  est le premier client de l'usine de La Hague, dont il représente 80 à 89% de l'activité. Areva, de son côté, fournit 68% des besoins d'EDF en amont du cycle nucléaire, notamment l'uranium enrichi à destination des centrales du groupe. Chacun cherche à diversifier ses débouchés à l'international, d'où la violence du contentieux qui a opposé EDF à AREVA au début de 2010 sur le tonnage et le coût du retraitement des déchets des centrales françaises qui constituent un coût supplémentaire pour EDF et la bouée de sauvetage indispensable à la survie d'AREVA.
     Areva a acquis des mines URAMINE en 2007 pour un montant de 2,5 milliards augmentant d'autant l'endettement du groupe. L'exploitation des mines d'uranium et la production d'uranium est une activité qui reste rentable chez Areva. Les récents contrats signés avec la Chine par exemple l'ont été dans ce domaine. Cependant, la situation politique du Niger et les conséquences sanitaires sociales environnementales de l'exploitation par Areva des mines d'uranium dans ce pays laissent planer de très grands doutes sur la pérennité de cette exploitation.
     Par ailleurs, Areva fournit 68% des besoins d'EDF dans l'amont du cycle nucléaire (qui comprend notamment la fourniture d'uranium). Le second sujet conflictuel a été celui de l'enrichissement de l'uranium d'EDF sur le site Areva d'Eurodif.
     Ainsi, l'avenir d'AREVA est particulièrement difficile, malgré le contrat passé avec la Chine qui prévoit la vente pour 8Mds (€) de 2 EPR, de combustible uranium mais aussi un partenariat pour la construction d'une usine de traitement-recyclage de l'uranium usagé, un projet évalué à 15Mds d'euros. Néanmoins le projet reste bloqué pour des questions de transfert complet de technologie.