CONTROVERSES NUCLEAIRES !
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Le nucléaire: peut-on et doit-on s'en passer?
Les Amis de la Terre France, mars 2009

   Nous vous livrons l'introduction et la conclusion de cette étude passionnante (dont l'intégralité est disponible ICI)...
Marie-Christine Gamberini,
référente des Amis de la Terre France sur le nucléaire et l'énergie
Conférence-débat organisée Salle du Sénéchal à Toulouse par
Attac, les Amis du Monde diplomatique, les Amis de la Terre et Greenpeace
le 29 janvier 2009

Introduction
     Les énergéticiens abordent rarement la question de la radioactivité, la supposant à la fois connue – les sempiternels «déchets» nucléaires légués aux générations «futures» – et relativement annexe, ou l'estimant en dehors de leur champ de compétence. Pourtant, le phénomène de la radioactivité, découvert fortuitement en 1896 par Henri Becquerel – un Français – et nommé en 1898 par deux autres Français – Pierre et Marie Curie – est à la fois la source physique même de l'énergie dite nucléaire et le problème biologique majeur lié à toutes les utilisations de cette forme d'énergie.
     Donc, pour rentrer d'emblée dans ce que je crois être le vif du sujet, commençons par une donnée emblématique: à la fin des quelques heures que nous allons passer ensemble, le parc électronucléaire français «civil» aura produit à lui seul 4 à 5 kilos de plutonium supplémentaires, soit pas loin de la quantité suffisante pour fabriquer une petite bombe atomique – sans même parler de bombes «sales» ni de dispersion volontaire ou involontaire de radioactivité par d'autres biais. Cela représente près de 40 kg de plutonium par jour.
     A titre de comparaison, dans les années 60, les 3 réacteurs plutonigènes de Marcoule étaient censés en produire 50 kg par an pour les besoins de la «force de frappe» française.
     Ce plutonium sera pour l'essentiel constitué de son isotope 239, un émetteur alpha très radiotoxique, quasiment indétectable au compteur Geiger, dont des quantités de l'ordre du microgramme (millionième de gramme) inhalé suffisent à provoquer un cancer (sans préjuger d'autres pathologies ou problèmes génétiques) et dont la période ou demi-vie dépasse les 24.000 ans.
     Or ces quelque 12 tonnes par an de plutonium ne sont pas comptabilisées dans «nos» déchets nucléaires, puisque le plutonium est censé pouvoir alimenter des surgénérateurs – les réacteurs de cette fameuse «Génération IV» envisagés pour 2035-2040 au plus tôt  – à des fins de production d'électricité. S'y ajoutent environ 8.000 tonnes par an d'uranium appauvri en U235 (mais enrichi en U238) qui ne sont pas davantage incluses dans tous ces déchets nucléaires censés ne remplir qu'une ou deux malheureuses piscines.
     Même les militaires les plus belliqueux, dont certains sont pourtant très contents de disposer d'uranium appauvri à faible coût et en ont arrosé l'Irak, le Kosovo ainsi que, plus récemment, la bande de Gaza et ses alentours, trouvent désormais que, vu le contexte politique et climatique actuel, cela commence à faire beaucoup de plutonium en circulation.
     Rappelons que, comme leur nom l'indique, et malgré tous les fantasmes actuellement entretenus sur leur aptitude à «incinérer» des déchets nucléaires, les sur(ré)générateurs – dont les «combustibles» sont le plutonium 239 et l'uranium 238 – ont été explicitement conçus, depuis des décennies déjà, pour produire davantage de plutonium que l'on n'en met au départ dans le réacteur.
     Pour donner un ordre d'idée quant aux déchets radioactifs ultimes «officiels» (les actinides dits mineurs et les produits de fission), l'industrie électronucléaire en produit 4 fois plus que de plutonium. Le seul parc français en produira donc 16 à 20 kg durant cette soirée, c'est-à-dire autour de 48 tonnes par an. Or leur radiotoxicité ne vaut guère mieux que celle du plutonium.
     A propos d'uranium, signalons d'ores et déjà que les particules alpha émises par les uraniums ont, chacune, une énergie moyenne de 4,1 à 4,8 MeV (4.800.000 eV). Or il suffit de 15 eV (électronvolts) pour casser une molécule d'eau, de quelques dizaines pour casser la plupart des grosses molécules, et on parle de rayonnements à haute énergie (rendant la protection par tablier au plomb insuffisante) à partir de 100 keV. Certes, les particules alpha sont censées être arrêtées par une feuille de papier ou par une peau saine... mais on voit à ces chiffres les dégâts que la désintégration d'un seul atome peut occasionner dans les
cellules des êtres vivants en cas de contamination interne.
     Par conséquent, à la question «Doit-on se passer du nucléaire?», il y aurait déjà largement de quoi me faire répondre «Oui». Je tâcherai néanmoins d'avancer aussi d'autres arguments, sans aucune prétention à l'exhaustivité au demeurant, et l'on examinera ensuite la question des délais raisonnables et du comment.

Alors, que faire?
     J'espère vous avoir persuadés que le nucléaire ne peut en aucun cas être considéré comme une source d'énergie parmi d'autres, et qu'il serait catastrophique de continuer à le banaliser, mais que faire?
     Sur le plan énergétique déjà, il existe désormais un relatif consensus, en paroles au moins, sur la nécessité de:
     – faire des économies d'énergie et, en particulier, d'électricité (par l'efficacité énergétique, la sobriété, l'arrêt des gaspillages et mésusages... même si tout le monde ne met pas la même chose derrière ces termes...)
     – développer les énergies renouvelables (même s'il reste à voir sous quelle forme on les développe, en privilégiant quel type de technologies et au bénéfice de qui...)
     Pour leur part, les Amis de la Terre prônent:
     – une diminution rapide des usages spécifiques et non spécifiques de l'électricité;
     – une politique ambitieuse d'économies d'énergie et de sobriété énergétique;
     – un objectif tendanciel de 100% de sources d'électricité renouvelables et propres d'ici à 2050;
     – un vrai service public de la production, du transport et de la maîtrise de l'énergie, à gestion paritaire.
     Tout cela passe notamment par une décentralisation des productions, faisant le plus possible appel à des ressources locales et diversifiées (solaire, éolien terrestre et off shore, géothermie, hydrolien, petit hydraulique, biomasse, photovoltaïque, solaire thermique...) et à des acteurs non moins locaux et diversifiés.
     Par ailleurs, les maîtres mots des Amis de la Terre étant la justice sociale et
environnementale, il va de soi pour nous que, au Nord comme au Sud, il n'est pas question de pénaliser ou d'instrumentaliser les plus faibles et les plus fragiles.
     Cette relocalisation des productions n'exclut en rien des logiques de service public, de mutualisation et de péréquation par le biais d'un réseau de distribution national et d'interconnexions avec d'autres pays. Simplement, il paraît souhaitable que tous ceux qui peuvent être relativement autonomes le deviennent au plus vite, avec des technologies aussi simples, sûres et aisément réparables que possible (en évitant par exemple le photovoltaïque piloté par ordinateur ou truffé de nanoparticules).
     La véritable indépendance énergétique est à ce prix.

suite:
     De fait, les récentes tempêtes – où les coupures de courant ont souvent entraîné l'absence de chauffage, y compris pour qui n'était pas équipé en tout-électrique (presque aucune chaudière à gaz, fioul ou bois ne fonctionnant désormais plus sans électricité) et ont même entravé l'approvisionnement en eau – ont bien fait ressortir les pièges de l'ultradépendance à un réseau hypercentralisé et montré que le nucléaire ne nous préservait en rien de la bougie... voire du feu de bois et des intoxications au monoxyde de carbone.
     Néanmoins, dans un pays aussi nucléarisé que la France, qui compte maintenant plus de 30% des logements en chauffage électrique contre 2% en 1978 et où EDF continue à faire la promotion de ce mode de chauffage pourtant interdit dans nombre de pays pour cause de scandaleuse inefficacité énergétique, les économies d'énergie et les renouvelables ne peuvent plus suffire pour sortir du nucléaire, surtout avec la célérité hélas requise.
     En pratique, tous les scénarios alternatifs proposés, qu'ils soient régionaux (comme Virage Energie en Nord-Pas-de-Calais), internationaux (comme [R]évolution énergétique de Greenpeace) ou nationaux (comme l'Etude pour des Sorties du nucléaire en 5 et 10 ans publiée par le Réseau Sortir du nucléaire), sont des déclinaisons des grands principes de la démarche negaWatt.
     Et tous intègrent à titre transitoire (mais sans toujours l'expliciter clairement...) le recours à des turbines à gaz à haut rendement, autant que possible en cogénération électricitéchaleur.
     Ces turbines à gaz (fossile), assez rapides à construire, dont il existe de multiples tailles répondant à des besoins très divers, peuvent aussi fonctionner à terme avec du gaz de méthanisation de production locale ou de récupération (renouvelable, lui, et dont la combustion peut même contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre).
     Les Amis de la Terre considèrent que les scénarios progressifs à 20, 25 ou 30 ans sont désormais hors délais, y compris parce que le changement climatique, avec son cortège d'ouragans, d'inondations et de sécheresses, menace très directement et très quotidiennement les installations nucléaires et électriques. De surcroît la pseudo-sortie du nucléaire en Allemagne montre bien qu'il faut revenir à des engagements sur des échéances de véritable responsabilité politique et des horizons de vraie visibilité géostratégique.
     Les scénarios de sortie «rapide» du nucléaire semblent utiliser un peu plus de fossiles à court terme, mais le bilan en termes d'émissions de GES à moyen terme joue en réalité en leur faveur, ne serait-ce que par les ruptures qu'ils imposent.
     Du reste, la part des fossiles, du gaz notamment, des scénarios à 5 ans est à peine supérieure à celle que négaWatt atteint en 20 à 25 ans, alors que negaWatt garde pendant tout ce temps, en plus des émissions de CO2, une part de nucléaire, et donc les productions de déchets et effluents radioactifs correspondantes.
     Soulignons aussi que la problématique des GES étant mondiale, elle appelle des raisonnements à l'échelon géographique planétaire (cf. les notes 9 et 10, pour resituer les ordres de proportion) mais aussi tous secteurs économiques confondus.
     En effet, les marges de réductions d'émissions de gaz à effet de serre sont colossales dans le domaine de l'habitat (isolation thermique, choix des matériaux, constructions bioclimatiques...), des transports de personnes et de marchandises (en augmentation constante sans être pour autant corrélées avec un accroissement de bien-être), mais aussi de l'agrobusiness (l'agriculture et l'élevage industriels sont de redoutables gaspilleurs d'énergie et émetteurs de gaz à effet de serre, alors que l'agriculture paysanne «refroidit la planète») ainsi que des choix industriels de production (c'est pour fabriquer à bas prix des gadgets peu durables écoulés chez nous que les Chinois ouvrent, dans des conditions écologiques et sociales effarantes, 2 à 3 centrales à charbon par semaine, et chassent de leurs terres des paysans jusque-là autonomes...).
     Tous ces facteurs sont bien plus déterminants pour l'évolution mondiale du climat qu'une éventuelle augmentation transitoire et contrôlée des émissions de CO2 dans le secteur de la production d'électricité en France pour éviter des pollutions immensément plus toxiques.
     Quoi qu'il en soit, les scénarios de sortie du nucléaire – ou plutôt les études de potentiels énergétiques pour sortir du nucléaire en un ou deux quinquennats – existent. Reste à les décliner en programmes politiques.
     Un simple exemple: les scénarios de sortie du nucléaire en 5 et 10 ans ont chiffré les potentiels d'économies d'énergie et de production d'électricité renouvelable dans la grande distribution. Ceux-ci sont à l'évidence importants, mais le Réseau Sortir du nucléaire, qui regroupe des sensibilités y compris politiques différentes, ne pouvait se permettre de trancher entre les options pratiques suivantes : 
     – faut-il obliger – ou bien inciter (et comment?) – les supermarchés et hypermarchés à s'équiper de façon autonome en sources d'électricité renouvelable en trigénération (chaleur, froid, électricité)?
     – faut-il les autoriser ou non à revendre l'éventuel excédent sur le marché (et à quel tarif?)
     – faut-il carrément supprimer les hyper et supermarchés (au profit de la petite distribution et d'un système de livraison à domicile ou par villages, bien moins consommateur d'hydrocarbures, et qui permettrait de recycler les chauffeurs routiers qui cesseraient de sillonner la planète pour aller faire décortiquer des crevettes à des milliers de km de leur lieu de pêche?)
     – etc., etc.

     Les élections européennes approchent.
     Votez, ou ne votez pas, mais surtout, ne lâchez pas les candidats, à commencer par ceux qui vous sont le plus sympathiques. En matière de nucléaire, ne vous contentez plus de vagues déclarations de principe : poussez les partis à clarifier publiquement ce qu'ils en pensent vraiment et pourquoi, ce qu'ils comptent faire concrètement... Et s'ils n'en pensent rien, obligez-les à se poser sérieusement la question.

     Car la question nucléaire est on ne peut plus structurante sur le plan politique, et les réponses qu'on lui apportera détermineront ou conditionneront, en France tout particulièrement, l'immense majorité des autres changements, positifs ou négatifs. Par exemple, qui sait que la radioactivité – et pour cause – ne figure même pas dans le cahier des charges de l'agriculture bio?