La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°109/110

SUPERPHÉNIX ENCORE EN PANNE
GRENOBLE, 8 août 1990
LA FRAPNA publie un dossier noir sur l'oiseau de malheur Superphénix,
nouvel incident grave: les impuretés font déborder le vase!
Les habitants de l'Isère ne sont pas des cobayes
La FRAPNA exige d'arrêter l'expérience avant qu'il ne soit trop tard

     La centrale nucléaire expérimentale Superphénix (1.250 MWe), après un arrêt de près de 2 ans entre le 26 mai 1987 et le 12 janvier 1989, était de nouveau à l'arrêt prolongé depuis le 7 septembre 1989. Elle a été couplée au réseau électrique le 8 juin 1990. Depuis le 3 juillet 1990, elle est en arrêt prolongé à 250°C.
     A l'occasion de cet arrêt non prévu, l'exploitant a découvert que le sodium primaire était oxydé par une entrée d'air dans le réacteur. La FRAPNA se déclare très inquiète devant la multiplication des erreurs graves à Superphénix. Il y a 3.500 tonnes de sodium primaire dans la cuve principale du réacteur de Superphénix. Ce sodium est l'élément essentiel du refroidissement des 600 assemblages nucléaires contenant les 7 tonnes de plutonium. Il doit être maintenu pur en toutes circonstances pour éviter en particulier que des impuretés (oxydes, hydrures, particules métalliques...) ne viennent boucher les ouvertures par lequel il circule dans les assemblages pour les refroidir. Si un bouchage partiel ou total se produit sur un assemblage, l'assemblage s'échauffe anormalement, la réaction nucléaire s'emballe et la fusion de l'assemblage peut intervenir.
     Le sodium primaire devait donc être contrôlé en permanence par des systèmes redondants et indépendants:
     - deux ensembles indépendants de purification intégrée du type piège froid avec cartouches filtrantes
     - deux indicateurs de bouchage indépendants et des débitmètres permettant de vérifier le non bouchage
     - un prélèvement régulier du sodium par un godet appelé Tastena plongeant directement dans la cuve du réacteur.
     Les indicateurs de bouchage devaient "permettre de mesurer la pureté du sodium primaire pour tous les cas de fonctionnement du réacteur" (p. 11-4.14-5 du rapport de sûreté).
     Ces appareils participent au confinement primaire du réacteur et sont classés au séisme majoré. A aucun moment une entrée d'air ne doit intervenir car des impuretés se forment. L'entrée d'air dans le confinement primaire du réacteur, telle qu'annoncée, qui est intervenue du 20 juin au 3 juillet, signifie que pendant plus de 15 jours le confinement primaire de Superphénix n'était plus assuré. La FRAPNA estime qu'il s'agit d'une violation grave de la sûreté du réacteur, de la sécurité des travailleurs et des populations.
     C'est par hasard, après un arrêt lié à une avarie sur la partie électrique (turboalternateur), que l'exploitant s'est rendu compte de la présence d'impuretés dans ce sodium et du bouchage des ensembles de purification.
     Pendant 15 jours le réacteur a fonctionné en dehors de règles de sûreté, en dépassant les valeurs admises, sans que l'exploitant, semble-t-il, se rende compte de cette dégradation.
     L'article 3-2 du décret d'autorisation de cette installation prévoit que les dispositifs d'alimentation en sodium seront conçus de façon à réduire les risques de bouchage. Ce décret n'a pas été respecté par l'exploitant et le gouvernement.
suite:
     Cet événement, classé d'abord au niveau 1 de l'échelle de gravité des accidents nucléaires, a été, le 29 juillet 1990, classé au niveau 2 (comme la fuite de sodium du barillet de Superphénix en mars 1987 et la formation d'une bulle de gaz à Phénix pendant l'été 1989).
     "Niveau 2:
     Incidents suscepttbles de développements ultérieurs
     - Incidents ayant potentiellement des conséquences significatives pour la sûreté.
     - Incidents entraînant des réparations ou des travaux prolongés"
     Depuis fin 1989, la FRAPNA a alerté M. Fauroux, Ministre de l'Industrie, M. Lalonde, secrétaire d'Etat à l'Environnement (lettres du 19 mars 1990 sans réponse) et M. le Préfet de l'Isère (délégation de 45 élus et représentants d'associations, lettre du 8 mai 1990 sans réponse), sur les risques graves d'emballement de la réaction nucléaire dans le coeur de Superphénix en cas de défaut de refroidissement par le sodium, lié à la présence anormale d'impuretés dans ce sodium.
     La FRAPNA a exigé le 14 décembre 1989, le 28 février 1990, le 25 avril 1990, lors des réunions des Commissions Locales d'Information et de Surveillance Nucléaire, communication des documents techniques permettant de vérifier les affirmations du Chef de la centrale de Creys-Malville, M. Lacroix, selon lesquelles "la pureté du sodium est vér£flée en permanence", "les assemblages purgeurs de gaz de Superphénix ne peuvent pas se boucher", "l'ensemble des études réalisees montre que le passage hypothétique de ce gaz dans le coeur ne peut mettre en cause l'intégrité de la gaine des assemblages combustibles". L'autorisation de redémarrage a été donnée le 14 avril 1990 après "assurance que la purification du sodium était particulièrement surveillée". Ces documents ne nous ont jamais été communiqués. La FRAPNA les demande de nouveau officiellement et publiquement.
     La preuve est aujourd'hui faite de l'incapacité de l'exploitant de faire la preuve de ce qu'il nous a avancé: la pureté du sodium n'a pas été vérifiée et assurée pendant 15 jours, du 20 juin au 3 juillet1990, les impuretés du sodium n'ont été détectées que fortuitement après l'arrêt du réacteur.
     La FRAPNA met officiellement en doute les certitudes avancées par le Chef de la centrale, M. Lacroix, qui n'a fourni depuis le 10 octobre 1989 aucun schéma, aucun bilan d'expérience et aucun document écrit d'information sur ce sujet aux membres de la Commission Locale d'information auprès de la centrale.
     La FRAPNA exige que les autorités de sûreté classent cet événement au Niveau 3 de l'échelle de gravité des accidents nucléaires:
     "Incidents affectant la sûreté
     - Etat dégradé des barrie res, des systemes de confinement ou des systèmes de sécudié".
     La FRAPNA exige le maintien à l'arrêt de la centrale, la convocation d'une réunion exceptionnelle de cette Commission début septembre, une mission d'expertise contradictoire et rendue publique.
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Superphénix - Tchernobyl-sur-Rhône

     Pour la FRAPNA, la catastrophe de Tchernobyl fait planer une grande inquiétude quant à Superphénix: une explosion nucléaire dans un réacteur neutroniquement instable, à fortiori s'il est à neutrons rapides comme Superphénix, en particulier dans les périodes d'essai ou de marche à puissance réduite, est possible.
     La FRAPNA, après consultation de scientifiques indépendants du lobby nucléaire, estime en effet que deux scénarios d'accident grave peuvent se dérouler à Superphénix, à la suite de présence d'impuretés dans le sodium primaire:

     Scénario 1:
     (semblable à celui qui s'est produit à Phénix pendant l'été 1989 et qui a entraîné son arrêt pendant 3 mois fm 1989):
     - bouchage par des impuretés des ouvertures de quelques-uns des 6 assemblages purgeant les micro-bulles de gaz présentes dans le sodium
     - formation d'une poche de gaz sous le coeur
     - l'évacuation de cette poche de gaz par les assemblages nucléaires produit un échauffement brutal, l'emballement de la réaction nucléaire (réaction surcritique prompte par coefficient de vide positif, spécificité de Superphénix) et la fusion d'assemblages
     - si une erreur ou une avarie simultanée intervient dans les systèmes de détection ou de commande des barres d'arrêt, une explosion nucléaire peut s'ensuivre par recompaction critique du combustible nucléaire.

     Scénario 2:
     - obstruction partielle d'un assemblage nucléaire, suivie rapidement d'un bouchage total, cumulée avec une défaillance des systèmes de détection de l'élévation de température de l'assemblage (cette défaillance peut être liée aux fluctuations fréquentes des températures du sodium en sortie d'assemblage en période d'essais).
     - 25 secondes après le bouchage: fusion de l'assemblage bouché et début de fusion des faces adjacentes des 6 assemblages qui entourent l'assemblage bouché.
     - 4 secondes plus tard, déclenchement de l'arrêt d'urgence par élévation de la température du sodium des 6 assemblages voisins et chute des barres d'arrêt (5 secondes) tandis qu'il y a fusion des 6 assemblages.
     A ce moment les incertitudes sont importantes:
     - ne peut-il pas y avoir recompaction des matériaux fondus, risque d'accident de criticité avec explosion pouvant rendre impossible la chute des barres d'arrêt et endommager le système de refroidissement de secours? (chaque assemblage contient plus de 15 kilos de plutonium).
     - un retard de quelques secondes dans la chute des barres n'entraînerait-il pas une fusion extrêmement rapide des 12 autres assemblages, dont 6 sont adjacents par deux faces aux 6 premiers assemblages? Des aérosols de sodium peuvent perturber la chute des barres d'arrêt.
     Il est impossible de modéliser ces scénarios même sur les plus puissants ordinateurs, les extrapolations du CEA sont faites à partir de calculs expérimentaux sur un faible nombre d'assemblages.

suite:
Superphénix - Supergaspillage

     La centrale expérimentale européenne à neutrons rapides Superphénix de Creys-Malville a coûté 26 milliards de francs d'investissement. L'atelier de stockage du combustible nucléaire sur le site (APEC) a coûté peut-être X milliards de francs (on ne nous a jamais indiqué le coût). L'avarie du barillet, la reconstruction d'un poste de transfert du combustible et les nouvelles mesures prises ont coûté plus de 1 milliard de francs (on ne nous a jamais indiqué le coût). Depuis 1985, la centrale a coûté environ 3 milliards de francs par an de dépenses d'exploitation, soit 18 milliards de francs. Environ 200 millions de francs de taxes professionnelles et foncières ont été versées aux communes voisines et au Conseil général de l'Isère.
     La centrale a consommé de l'énergie électrique pendant toutes ces années pour alimenter de façon permanente l'ensemble des auxiliaires de la centrale. Cette consommation n'a jamais été indiquée, peut-être plusieurs dizaines de millions de KWh par an, soit, avec une très grosse marge d'erreur possible, 50 millions de francs depuis 1985.
     Depuis sa première production de vapeur d'origine nucléaire, le 31 décembre 1985, en 5 ans la centrale n'a fonctionné qu'environ 6 mois à pleine puissance. Elle a produit une énergie électrique d'environ 4 milliards de KWh, soit environ 1 milliard de francs.
     Superphénix a donc coûté environ 40 milliards de francs, c'est-à-dire près de 1.000 francs par habitant.

Superphénix - Superavaries

     Superphénix a subi de nombreuses avaries dont les plus importantes sont:
     - En janvier 1986, le bouchage total d'un assemblable de Superphénix a eu lieu, par suite d'un oubli dans l'assemblage d'un bouchon de caoutchouc.
     - 10 février 1987, 17 août 1989, 3 juillet 1990: avarie d'un des deux alternateurs électriques.
     - mars 1987: avarie du barillet avec fuite de 20 tonnes de sodium non détectée pendant 3 semaines. Du 28 mai 1987 au 12 janvier 1989: arrêt du réacteur, chantier sur le barillet, nouvelles règles de fonctionnement non prévues.
     - Défaillances des détections de fuite de sodium.
     - Défaillance des contrôles qualité sur des éléments essentiels pour la sûreté (cuves, détection de fuites de sodium...).
     - Le 2 octobre 1989 chute d'un engin de 1.300 Kg sur le dôme du réacteur.
     - 1990: fuite de sodium sur un des 4 circuits principaux d'évacuation de puissance.
     - 29 avril 1990, alors que le réacteur était à l'arrêt, fuite de sodium sur un des 4 circuits principaux d'évacuation de puissance imposant la vidange immédiate de tout le sodium ou circuit incriminé (400 tonnes).
     - juin 1990: défaillance de l'appareillage de contrôle de la pureté du sodium.
     - juin 1990: fonctionnement avec rupture de l'enceinte primaire de confinement.

p.27

Dans la liste des 18 accidents hypothétiques (probabilité de 1/10.000 à 111.000.000 d'années de fonctionnement) analysés dans le rapport de sûreté, 2 se sont déjà produits. Dans cette liste figure un grand feu de sodium secondaire dans un bâtiment générateur de vapeur (dans le bâtiment-réacteur, il s'agit d'une des 3 situations hautement hypothétiques), la fusion de 7 assemblages ~lus, il s'agit d'une des 3 situations hautement hypothétiques) : plutôt que d'espérer que ce ne seront pas les prochains à cocher dans la liste, arrêtons dès maintenant ce réacteur incontrôlable pendant qu'il est temps.
     La situation actuelle de Phénix (250 MWe) n'est pas meilleure:
     La formation d'une bulle d'argon dans le réacteur Phénix, à Mascoule durant l'été 1989, met en évidence que Cet événement non prévu a été mal détecté et mal analysé pendant plusieurs mois.
     "L'analyse de ces documents par le SCSIN et ses appuis techniques a montré des incertitudes dans l'évaluation des marges de tenue mécanique de certaines structures en situation accidentelle. Des justifications complémentaires ont été demandées â l'exploitant.
     Sous réserve de limiter provisoirement la puissance defonctionnement â 500 MW thermiques, soit environ 80 % de la puissance nominale, le chef du SCSJN a autorisé le redémarrage du réacteur.
     Au cours du redémarrage, le vendredi 20 avril, l'exploitant a constaté le colmatage de l'appareil de purification du sodium de l'un des trois circuits secondaires (non actifs). Le réacteur a donc été arrêté pour remplacer ce composant.
     Le redémarrage de l'installation est intervenu le lundi 30 avril".

Superphénix - Les Isèrois n'ont pas confiance

     Plusieurs sondages d'opinion ont révélé l'în4uiétude grandissante des populations de l'Isère quant aux risques liés àSuperphénix, mème s'il convient d'être vigilant avec l'utilisa-t'on des sondages. En décembre 1988, un sondage "Pluris" en Isère, donnait les indications suivantes:
 

Question Oui Non Ne se prononce pas
"Superphénix est un choix dangereux et coûteux, on aurait dû donner la prioriété à d'autres énergies" 69,0 24,1 6,9
"Une catastrophe de type Tchernobyl est toujours possible à Superphénix" 78,1 19,1 3,é
"Existe-t-il selon vous des risques majeurs liés à Superphénix?" 69,5 16,4 14,1
"En fait le surgénérateurde Superphénix à Creys-Malville est à l'arrêt depuis mai 1987 en raison de la découverte d'une fissure ayant entraîné une fuite de sodium. Etes-vous favorable ou hostile au redémarrage de Superphénix après les travaux de réfection?" 41,2 51,1 7,7

     Durant l'été 1989, un sondage S.A.P. en Isère donnait les indications suivantes:
     - 80 % des personnes interrogées pensent qu"en cas de catastrophe, la population ne connaît pas les consignes à suivre" et 71 % "ne savent pas comment elles seraient prévenues".
     - 18 % estiment que "l'on nous dit la vérité sur les dangers que présente pour la population l'industrie nucléaire" et 12 % pour le transport de matières dangereuses.
     - 94 % considèrent que "la population doit être totalement informée sur les risques auxquels elle est exposée du fait de l'activité de certaines usines de la région" et 76 % rejettent l'argument selon lequel "on fait peur inutilement aux gens en les informant sur ce type de risques". 81 % des personnes interrogées pensent que "en France, on attend toujours que les catastrophes soient là pour agir".

suite:
     Quant à la confiance de la population de l'Isère sur l'information diffusée, le sondage S.A.P. (été 89) indiquait:
 
Question Oui Plus ou moins Non
"Pour chacun des domaines suivants, estimez-vous que l'on vous a dit la vérité sur les dangers qu'ils présentent pour la population?:
- Industrie nucléaire
18 19 63
"Pour vous donner des informations sur les risques industriels graves, faites-vous confiance aux personnes suivantes?

Pompiers

Scientifiques

Associations de 
protection de l'environnement

Médecins

Croix-Rouge

Ecologistes

Associations de 
consommateurs

Comités d'hygiène et de sécurité des entreprises

Organismes privés spécialisés

Ingénieurs du Ministère de l'environnement

Ouvriers des usines

Ingénieurs du Ministère de l'industrie

Pharmaciens

Syndicats des usines

Préfet

Police

Enseignants

Journalistes

Armée

Elus de votre région

Industriels eux - mêmes


 
 
 
 
 
 
 

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     La FRAPNA en appelle aux élus et aux journalistes, s'ils veulent retrouver un peu de crédit sur ce sujet!
 

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RAPPEL
    La FRAPNA engagera le 10 septembre 1990 une action contre le SCPRI et son Chef, le Professeur Pellerin, qui ont donné des informations fausses sur la radioactivité en Isère liée aux retombées de Tchernobyl.
    La FRAPNA attend toujours la publication des plans Particuliers d'intervention des installations nucléaires de Grenoble et les niveaux d'intervention retenus par M. le Préfet en cas d'accident nucléaire en Isère.
    Par ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler aujourd'hui que la France a fourni un réacteur nucléaire Osirak à l'kak et que son personnel a été formé à Grenoble, et que la France continue à vouloir exporter les filières au plutonium, dont les successeurs EFR de Superphénix. Seule l'alternative au nucléaire peut faire de la France un pays qui contribue au progrès et à la paix.

La Commission Nucléaire de la FRAPNA

LES BONNES PAGES DU PASSÉ
LE CEA N'A PAS CHANGÉ

M. le Chef de Service

Monsieur le Directeur du CEN.S

     Depuis que, par votre circulaire n° 48 du 11juillet dernier, vous aviez marqué fermement votre intention de mettre enfin de l'ordre dans une situation qui s'aggravait de jour en jour, un silence angoissant s'était fait. La satisfaction dont je vous avait fait part dans ma note HE/58/578 du 17 juillet aurait-elle été prématurée et, une fois de plus, les intentions de ceux qui rêvent d'un monde où chacun recevra enfin le numéro qui lui convient allaient-elles être mises en échec par l'action sournoise d'une démagogie malfaisante dont il n'était que trop aisé de deviner les ténébreuses manoeuvres.
     Enfin, voici que le voile se lève. Et quel spectacle s'offre à nous. Par votre note CENS/77/58, la vérité éclate enfin à tous les yeux. L'hydre de l'anarchie aux mille têtes sans cesse renaissantes peut maintenant se le tenir pour dit: la lutte reprend et d'un pied ferme.
     Certains trouvaient à redire à l'institution du port obligatoire du badge. Qu'à cela ne tienne: ils en porterons deux! Car, que je sache, votre note de novembre n'a pas annulé celle dejuillet. Que par un souci d'esthétique les deux badges aient été conçus de dimensions différentes et soient portés côte à côte est peut-être défendable. Je les aurais, pour ma part, préférés de mêmes dimensions et portés, l'un à gauche, l'autre à droite. Mais vraiment c'est là un détail secondaire sur lequel j'aurais mauvaise grâce à vous chercher chicane.
     L'essentiel, dans toute cette affaire, c'est l'Idée! Sans doute pourrais-je trouver quelque amertume dans le fait que vous n'aviez pas retenu les suggestions de ma note du 17 juillet. Mais je comprends trop bien les difficultés auxquelles vous êtes en butte et je sais que toute oeuvre s'élabore dans la patience et la ténacité. Qu'il me suffise pour l'instant de noter que des couleurs différentes permettront au premier coup d'oeil de discerner l'ivraie du bon grain, l'annexe II de l'annexe I. L'idée est là, c'est le principal, le temps fera le reste.
     C'est une vérité éternelle que nous enseigne l'Histoire que les grands bouleversements sociaux sont presque toujours nés d'idées très simples. Celle du badge en est une, et c'est pour nous tous, ici, à Saclay, un sujet d'infinie fierté d'assister à ses premiers développements, convaincus que nous sommes qu'elle ne tardera pas à prendre son envol pour conquérir Paris, la France et le Monde. On prétendait que, depuis les Immortels Principes de 89 et la Déclaration des Droits de l'Homme, la France n'avait plus rien apporté à l'Humanité. Qu'ils soient confondus, les vils calomniateurs! Demain, la France rayonnante offrira au monde ébloui ce nouveau produit de son génie retrouvé, le badge.
     Déjà, le peuple de Paris dans ses couches profondes l'a senti et je n'en veux pour preuve que cette scène émouvante dont j'eus le bonheur d'être le témoin, hier soir, lorsque vers 18h45 les cars de Saclay, à leur terminus de Montparnasse, rendirent à leur vie privée les travailleurs de notre Centre. Une dame à l'élégance recherchée, qui déambulait nonchalamment sur le trottoir, s'approcha de l'un d'eux. "Viens chez moi, lui murmura-t-elle, je te montrerai mon badge". J'en fus ému aux larmes. Pouvait-il y avoir témoignage plus spontané, plus indiscutable, de l'adhésion profonde de notre population laborieuse à une politique de rénovation à laquelle elle aspirait en secret depuis longtemps?
     Mais, je le sais, votre conviction, comme la mienne, est faite. C'est le badge qui sauvera la France et si nos dirigeants devaient être assez aveugles pour l'ignorer, le bon sens populaire saurait bien imposer les mesures dont la nécessité éclate à tous les yeux.

suite:
     Le problème du logement: un badge à chaque nouveau ménage et à chaque nouveau-né!
     L'encombrement des universités: un badge à chaque étudiant!
     La question nord-africaine: un badge à chaque musulman!
     Le déficit financier: un badge à chaque contribuable!
     On demeure, à vrai dire, stupéfait qu'il ait fallu si longtemps pour que s'impose l'évidence de solutions aussi simples et aussi efficaces à tous nos problèmes. Mais c'est là un caractère propre à toutes les idées qui demandent pour être mises au jour cette petite étincelle de génie si difficile à trouver de nos jours. Et quelle ne sera pas notre fierté quand nos petits enfants apprendront dans leurs manuels d'Histoire que parmi les grandes réalisations de la Cinquième République figure en bonne place l'Institution du Badge Gratuit, Laique et Obligatoire dont l'idée prit naissance en 1958 au Centre d'Etudes Nucléaires de Saclay sous l'impulsion de dirigeants dynamiques et dans l'enthousiasme populaire.
     J'entends déjà certains grincheux insinuer que Saclay n'a rien inventé, qu'il fut un temps où certaines catégories de français avaient déjà la chance de porter un badge jaune à cinq branches. Il n'est que trop facile de leur rétorquer, sans vouloir manquer au respect que l'on doit toujours aux grands précurseurs, que ce n'était que travail d'apprenti: il n'y avait qu'une seule couleur et pas de photographie!
     Je dois vous confesser, Monsieur le Directeur, que j'ai craint que M. l'Inspecteur Général et les nombreux ingénieurs qui depuis plus d'un an ont consacré de nombreuses heures à l'élaboration d'un lexique de termes français à substituer aux termes anglo-saxons qui tendent à se répandre dans notre vocabulaire, ne prennent ombrage de la caution officielle que vos notes donnent au mot "badge". Cette crainte était vaine et je suis heureux de vous dire que les recherches minutieuses auxquelles je me suis livré m'ont permis d'établir qu'il s'agissait d'un vieux terme du terroir de l'île de France qui nous fut volé - entre autres choses - par les anglais durant la guerre de Cent Ans.
     C'était au Moyen-Age une coutume villageoise très répandue que, le jour de la fête paroissiale, les jeunes gens s'opposent en des tournois de lutte. Il était de tradition que les concurrents portent, en cette circonstance, des sortes de chaussettes aux couleurs vives, généralement tricotées par leur bien-aimée, et que l'on appelait "bas de jeu". Le vainqueur devait s'emparer de l'un des bas de jeu de son adversaire et, en signe de triomphe, il l'agrafait à gauche, sur la poitrine, à hauteur de la poche de parement. Les Anglais firent leur cette tradition, la rapportèrent en Grande-Bretagne où elle ne s'acclimata d'ailleurs pas, mais le terme de "bas de jeu" devenu "badge" devait subsister, son sens se généralisant au cours des siècles à tout ce qui s'agrafait à gauche, sur la poitrine, à hauteur de la poche de parement.
     C'est donc sans scrupules que nous pouvons user d'un terme qui est bien de chez nous et dont d'ailleurs il n'existe pas d'équivalent. Reprenez, par exemple, la petite scène que je vous rapportais plus haut et remplacez le mot "badge" par le mot "insigne" que certains voudraient lui substituer. Tout le charme, toute la chaleur humaine disparaît. Il ne reste qu'une phrase conventionnelle et presque vulgaire.
     Mais, Monsieur le Directeur, je sais que votre temps est précieux etje crains d'en avoir déjà beaucoup abusé. Dans la politique de réforme profonde que vous venez d'amorcer et qui va demander toute votre énergie, vous avez besoin du soutien de tous vos subordonnés. C'est dans l'enthousiasme que je vous apporte le mien et celui de mon personnel, pour que vienne enfm ce jour de gloire où tout Saclay, montrant à la France la voie que le destin lui fixe, remontera vers l'Arc de l'Etoile aux accents de sa marche triomphante: "Monte là d'sus et tu verras mon badge".
     Toujours à votre entière disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Directeur, à mon complet dévouement.

Copies: M. le Haut-Commissaire (pour information)
     Quelques autres (pour en rire ou en pleureur selon leur tempérament)
     (Ce pamphlet a été écriten 1958!)

p.29

LES AMIS DE LA TERRE
Parodie de transparence
sur la décharge radioactive du Bouchet...!!

     Plus d'un an après que nous ayons interpellé le préfet au sujet de la décharge radioactive du Bouchet, et alors que la Commission Scientifique créée par le Maire d'Itteville n'a toujours pas émis ses conclusions (à l'exception de celles de son président), un arrêté préfectoral du 27 mai 1991 exige du CEA de reprendre une campagne de mesures de radon sur le site de celle-ci.
     Nous nous félicitons que le préfet reconnaisse officiellement que ce site est une décharge radioactive en infraction avec la loi du 19 juillet 1976, et qu'il y a insuffisance de rigueur et de précision du CEA quant aux mesures fournies jusqu'à présent.
     Mais hélas, le CEA est encore, et contrairement à St-Aubin, le seul organisme officiellement convié à réaliser les mesures de flux de radon: il reste juge et partie contrairement aux promesses faites par le Ministre de l'Environnement.
     Ces mesures déboucheront-elles, sur des forages aux points chauds du site pour en déterminer tous les radioéléments? Une analyse chimique du bassin de décantation sera-t-elle réalisée?
     En ce qui concerne les mesures de surveillance dans l'environnement à l'aide de dosimètres de site, il serait souhaitable d'en rajouter un sur la commune de Ballancourt, qui a un projet d'aménagement en zone de loisirs de l'ancien site de la papeterie bordant le site de la décharge sur sa partie nord.
     Nous espérons que le Préfet mais aussi le Ministre de l'Environnement, qui s'était saisi du dossier en venant sur le site, trouveront les moyens financiers pour associer un organisme indépendant à cette cartographie des flux de radon du terrain à réhabiliter, dans le cas contraire le doute subsistera car si nous n'avions pas réalisé deux mesures extérieures avec l'aide de la CRII-RAD, nous serions restés sur des mesures du CEA donnant des mesures de 400 Bq/m3 alors que quelques mois plus tard celui-ci admettait des valeurs de 10.000 Bq/m3...!!!

Les Amis de la Terre de Ballancourt
Le 11 juin 1991
Ballancourt le 12juin 1991
Monsieur le Ministre de l'Environnement
45 avenue G. Mandel
75016 Paris

Objet: Décharge radioactive d'Itteville

     Monsieur le Ministre,
     Par arrêté préfectoral du 27 mai 1991, le préfet de l'Essonne demande d'effectuer des mesures de rayonnements préalables au réaménagement de la décharge radioactive d'Itteville.
     Dans un souci de transparence, le CEA se déclare prét à recevoir des laboratoires indépendants pour effectuer des mesures comparatives.
     Vous avez vous-même affirmé que vous souhaitiez que le CEA ne soit plus à la fois juge et partie.
     C'est pourquoi nous vous demandons d'intervenir rapidement pour assurer le financement des mesures comparatives suivant le protocole établi.
     Le CRII-RAD est prête à réaliser cette étude.
     En comptant sur votre détermination pour améliorer la gestion des déchets, et particulièrement ceux du nucléaire, nous pensons que vous trouverez avec promptitude la solution à ce financement. Nous en faisons une question de principe déterminante pour la crédibilité de la suite des opérations.
     Veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l'assurance de ma haute considération.

Alain COSTE
Président des Amis de la Terre de Ballancount
p.30

LE DROIT DE REPONSE
article 13 de la loi du 29 juillet 1881

Après qu'ont été rappelé les effets de la catastrophe de Tchernobyl,
EDF fait la promotion du nucléaire - 12 millions de francs

Droit de réponse: correction de l'original:

suite:
LA CONSTITUTION DES ANNÉES 1990
par Nimbus (notre ami Jean Pignero)

COMMENT?
     - donner un pouvoir électoral réel aux électrices et aux électeurs de toutes les élections et entre celles-ci (pétitions et référendums)?
     - imposer aux candidates et aux candidats de prendre des engagements précis, aux élues et aux élus de les respecter?
     - assurer une représentation paritaire entre les élues et les élus?
     - démocratiser la vie politique, brider le carriérisme des parlementaires, l'ambition directorale des chefs de partis, la puissance des "Pouvoirs masqués"?
     - rénover radicalement la Justice?
     - pratiquer le respect de l'écologie, des libertés individuelles?
     - défendre la vérité et la paix?
     - organiser la plus grande autonomie possible des Régions dans le cadre des Régions-Unies de France et dans celui d'une Fédération mondiale des Régions?
     Comment...

Réflexion et postface de Geneviève COSTE.
Deux dessins de Jean-Pierre ANDREVON
2 cahiers: 5 F
A l'enseigne du philanthrope:12 rue de Jouarre, 77240 Vert-Saint-Denis

p.31

"ÉNERGIES RENOUVELABLES"

     Sans nucléaire, point de salut? En France, il est possible de développer les énergies renouvelables (solaire, éoliennes, biomasse...) et d'éviter ainsi le remplacement des actuelles centrales nucléaires lorsqu'elles arriveront en bout de course.
     De manière extrêmement pragmatique, à l'aide de nombreux exemples et autant d'illustrations (plus d'une cinquantaine de photos), le numéro hors-série de la revue "Silence" consacré aux énergies renouvelables présente le travail effectué par les soixante-dix associations de promotion de ces énergies ainsi que le potentiel réalisable immédiatement en France.
     A la lecture de ce document solidement référencé, on découvre les multiples possibilités de développer ces énergies: à travers le chauffage, l'électricité, le séchage des aliments ou des fourrages, pour les transports, etc. Le principal obstacle au développement de techniques aujourd'hui rodées est l'absence de volonté politique des gouvernements successifs.
     Devant ces multiples réussites tant individuelles que collectives, on peut se demander comment le discours officiel sur "le nucléaire dangereux mais indispensable" peut encore trouver un écho.
     Le lecteur trouvera en annexe une liste des associations et une bibliographie complète des documents publiés sur la question.

"Energies renouvelables" - Silence hors-série n°4 Ecologie hors-série - mars 1991-56 pages -30 F A commander à: Silence, 4 rue Bodin, 69001 Lyon


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