DOCUMENTS IMPORTANTS

Vassili B. Nesterenko
(1934 - 25.08.2008)
COMMUNIQUE DE PRESSE du 26 Août 2008 DE L'ASSOCIATION "ENFANTS DE TCHERNOBYL BELARUS" 

20 rue Principale 68480 Biederthal
site internet: www.enfantsdetchernobylbelarus.doubleclic.asso.fr
e-mail: etchernobyl@doubleclic.asso.fr

     Vice-président de l'association franco-biélorusse "Enfants de Tchernobyl Bélarus" Vassili Nesterenko vient de nous quitter. Physicien nucléaire du plus haut niveau en URSS, depuis 1986 il a résisté à la désinformation sur Tchernobyl. En 1990, il a fondé avec l'aide de Sakharov, l'institut indépendant de Radioprotection "Belrad", pour enquêter sur la contamination radioactive et venir en aide aux populations touchées par la catastrophe, en particulier les enfants.


Vassili B. Nesterenko

Vassili Nesterenko en plein travail, mesurant le taux de radioactivité corporel de cet enfant à l'aide d'un spectromètre gamma

     Le 27 mai 2008 il était venu à Genève avec Yablokov et  Goncharova faire la vigie aux portes de l'OMS , soutenant l'action d'Independent WHO:

     Voici ce qu'il avait déclaré:
     "Je veux vous dire ceci: tant que les amis nous soutiennent, nous continuons à espérer que les victimes survivront. Je suis l'un des 800.000 liquidateurs blessés par Tchernobyl. Ce sont réellement des hommes oubliés dans nos pays. Des dizaines de milliers ont déjà quitté ce monde, ils ne pourront plus parler. Au nom des autres, je  vous souhaite à toutes les "vigies", du courage et une longue vie, afin  que vous puissiez rester ici jusqu'à la victoire. Je vous souhaite  à tous la bonne santé que nous avions, nous les liquidateurs, avant  d'arriver sur le réacteur. Nous étions tous jeunes et pleins de force. Merci."

     On peut considérer que ces paroles étaient prémonitoires. Il parlait comme un de ces liquidateurs profondément atteint dans sa chair. Comme le dit Michel Fernex, Président des ENFANTS de TCHERNOBYL BELARUS:
     "Pour nous, Vassily Nesterenko était un ami. Nous étions conscients que l'institut Belrad n'a survécu que grâce à son intelligence éblouissante qui lui avait permis de résister à mille embûches et attaques perfides dont il était victime. Le professeur Nesterenko dirigeait le célèbre Institut de physique nucléaire de Minsk, quand, en Ukraine, explosait le réacteur de Tchernobyl. Il décide dès lors de se consacrer à la protection des populations, et  tout particulièrement celle de la santé des enfants victimes  d'irradiation chronique. Il y a consacré sa vie. Avec cela, il  néglige sa propre santé et se refuse trop souvent le repos dont il  aurait tant besoin."
     Vassili Nesterenko était en train de réaliser un ATLAS du radiocésium accumulé dans l'organisme des enfants vivant dans les régions contaminées  en utilisant toutes les données recueillies depuis 1990  dans son action de radioprotection et qu'il est sans doute le seul  témoin de ce type concernant les suites de Tchernobyl. Il est donc nécessaire de poursuivre l'oeuvre de Vassili Nesterenko. L'institut Indépendant de Radioprotection "Belrad" doit survivre à ce grand homme courageux, d'une abnégation totale et qui a consacré sa vie pour la  reconnaissance de la vérité et tenter de réparer et de limiter les dommages faits à l'homme de la plus grande catastophe nucléaire.

Parcours d'un résistant exceptionnel
     Dans les heures qui ont suivi la catastrophe de Tchernobyl en 1986, un homme s'est révolté contre le mensonge d'État au prix de sa carrière et de sa sécurité personnelle. Membre de l'Académie des Sciences du Belarus, physicien du plus haut niveau international, Vassili Nesterenko, avait accès en Union Soviétique aux villes interdites pour raisons militaires. Tchernobyl a bouleversé sa vie. Svetlana Alexievitch raconte (1) comment lors d'une conférence d'experts soviétiques il avait pris la parole pour souligner l'urgence d'évacuer la population à au moins 100 kilomètres à la ronde, de distribuer des dosimètres et des tablettes d'iode, de sauver les enfants (2). Face à l'inaction et aux mensonges du gouvernement soviétique, par un geste d'une témérité inouïe, Nesterenko décida d'arrêter, sans le moindre aval de ses supérieurs, les travaux scientifiques de l'Institut de l'énergétique nucléaire de la Biélorussie, qu'il dirigeait. À la place, il mit tout son personnel à contribution pour étudier les conséquences de Tchernobyl et pour élaborer une politique d'aide aux populations sinistrées. Naturellement, il fut limogé et il a subi les pressions du KGB. Il a échappé à deux attentats.
     En 1990, il crée avec le soutien d'Andrei Sakharov, A. Adamovitch et et A. Karpov  l'Institut indépendant de radioprotection "Belrad" pour venir en aide aux enfants des territoires touchés par les retombées radioactives. Il forme à la radioprotection les médecins, les enseignants, les infirmières.
     En 1994, l'Institut "Belrad" acquiert en Ukraine, avec l'aide d'ONG occidentales, des fauteuils mobiles pour l'anthropogammamétrie humaine qu'il perfectionne. Ces spectromètres mesurent la radioactivité dans le corps humain et sont reliés à un ordinateur qui enregistre les rayonnements gamma spécifiques des radionucléides incorporés : le césium 137, mais aussi le potassium. Les données stockées sont publiées régulièrement dans un document distribué aux autorités sanitaires nationales, régionales et locales ainsi qu'aux familles.
     En 1996, Nesterenko adopte avec succès l'additif alimentaire à base  de pectine de pommes recommandé par le Ministère de la santé ukrainien comme adsorbant du césium137 (Cs137). En un mois de traitement la charge en radionucléides de l'organisme de l'enfant peut baisser de 60-70%.

     Nesterenko est le seul scientifique qui mesure systématiquement la radioactivité artificielle interne. Ses mesures ont révélé des contaminations huit fois plus élevées que celles que publie le Ministère de la santé biélorusse, qui a tenté de le bloquer dans son action. Son activité étant légale, il n'a pas réussi à le faire plier. Depuis des années l'Institut Belrad continue à fonctionner grâce à l'aide internationale et en particulier en France par le soutien financier de l'association Enfants de Tchernobyl Belarus, mais aussi de France-Libertes, Les enfants de Tchernobyl...
     Lui-même devait se battre contre les méfaits de la contamination radioactive, pour avoir survolé la centrale de Tchernobyl peu de temps après l'accident. Sa santé était devenue très précaire. Or, depuis 2007, les tracasseries administratives avaient redoublé après qu'il ait refusé l'offre qui lui avait été faite de diriger les travaux de la future centrale nucléaire au Belarus. Le 25 juin 2007, le président Loukachenko a signé une résolution adressée au Premier ministre Sidorsky: "Prendre les mesures nécessaires pour traduire en justice l'entreprise unitaire privée "Institut de radioprotection Belrad" et ses responsables pour violation de la législation dans le domaine de recherches sur la radioprotection et la diffusion des informations sur les résultats de ces recherches."
     Mais, Nesterenko connaissait les lois. Il s'est défendu avec une énergie surprenante. Après des contrôles quotidiens exténuants d'une commission du département fiscal du ministère des Finances, avec mission d'incriminer l'Institut Belrad, ce département a reconnu l'excellence du travail de l'institut et lui a fait ses compliments. Mais, cette dernière bataille a certainement contribué à venir à bout de sa résistance...
     Heureusement l'Institut Belrad avec plus d'une trentaine de collaborateurs a construit une équipe dont son fils Alexey Nesterenko est prêt à prendre la direction pour relever le défi de la connaissance contre le mensonge et de l'aide aux enfants du Belarus qui continuent à subir les méfaits de la contamination radioactive.
(1) " La salle était restée inerte, chacun jugeant qu'il exagérait. Il avait insisté, bataillé. L'auditoire était resté sceptique. Quand il avait vu que ses efforts étaient vains, que chacun faisait mine de croire à une situation "normale", comme le proclamait la propagande, des larmes de rage s'étaient mises à couler sur son visage... "Cet homme, il fallait que je le rencontre", conclut Svetlana Alexievitch. La Supplication (Lattès),
(2) Cité par Nathalie Nougayrède, Le Monde, 20 mai 2000
Vassili Nesterenko
LE MONDE | 30.08.08

     Ce qui frappait chez Vassili Nesterenko, à chaque rencontre, c'était l'intensité de sa volonté, la focalisation de son énergie sur le but qu'il s'était fixé. La même passion tenace qu'il avait consacrée à ses recherches sur l'énergie nucléaire, en tant que savant officiel et brillant de l'ère soviétique, il l'avait tournée vers l'observation des conséquences de l'accident de Tchernobyl sur les populations des régions environnantes, devenant un paria du régime autocratique du président biélorusse, Alexandre Loukachenko. Mais son obstination a permis que les victimes de Tchernobyl ne soient pas oubliées. Il est mort le 25 août à Minsk, après une opération de l'estomac.
     Vassili Nesterenko est né en 1934, dans le village Krasny Kout, en Ukraine. En dehors d'un parcours académique impeccable, on sait peu de chose de la jeunesse d'un homme peu enclin à s'épancher, et rapidement intégré au complexe militaro-industriel soviétique
     Diplômé de l'université de technologie en 1958, Vassili Nesterenko entre à l'Académie des sciences de Biélorussie en 1963. Il commence alors à piloter un programme de recherche secret, consistant à mettre au point une mini-centrale nucléaire destinée à alimenter en énergie les missiles mobiles SS-20 et SS-25. Il a raconté ce travail dans un entretien publié dans Les Silences de Tchernobyl (Galia Ackerman, Guillaume Grandazzi et Frédérick Lemarchand, éditions Autrement, 2006): "J'ai invité les meilleurs spécialistes venant des quatre coins de l'URSS à rejoindre mon équipe (...). Nous avons organisé des laboratoires de recherche, un bureau de construction et une production expérimentale. En 1972, j'ai été nommé constructeur général de l'armée. Et vers 1985, en pleine "guerre des étoiles", notre travail a porté ses fruits: la centrale nucléaire de l'armée a vu le jour. L'idée était simple. Cette centrale pouvait être déplacée n'importe où dans quatre camions ou hélicoptères dont l'un était affecté au transport du réacteur nucléaire." M. Nesterenko nous avait précisé que le réacteur, dont deux exemplaires ont été fabriqués, avait fonctionné pour la première fois le 23 mars 1986 (Le Monde du 24 avril 2006). Un mois plus tard, la catastrophe de Tchernobyl se produisait.

Tracasseries administratives
     Officiel et scientifique soviétique, Nesterenko était des mieux placés pour comprendre l'ampleur de l'événement. Dans les jours suivant l'accident, il survola en hélicoptère la centrale radioactive et prôna le premier l'évacuation de la zone entourant la centrale. Il se révéla qu'il avait raison, mais sa vigilance dénuée de préoccupations politiques lui fit perdre ses postes officiels.
     Il allait alors se consacrer à analyser les conséquences sanitaires des retombées radioactives de Tchernobyl, qui se sont produites pour une grande partie sur le tiers sud-est de la Biélorussie. Avec l'aide d'ONG occidentales, il fondait en 1990 l'institut indépendant Belrad. Les talents de physicien et d'organisateur de Vassili Nesterenko ont permis à Belrad de mener des campagnes approfondies sur les enfants des régions contaminées. Avec des minibus équipés d'appareils de mesure, Belrad a sillonné les campagnes pour évaluer les doses reçues par les enfants.
     Nesterenko a ainsi démontré la persistance de la contamination radioactive des habitants, entretenue par l'alimentation (champignons, lait, baies de la forêt). Ce travail, qui a abouti au recueil de près de 200.000 enregistrements, a fini par être reconnu du bout des lèvres par la communauté des radiotoxicologues.
     Mais Nesterenko s'est toujours heurté aux réticences officielles, tant à l'étranger que dans son pays. "Le lobby atomique international ne veut pas reconnaître les dimensions de la catastrophe chez nous, parce que si on les reconnaissait, l'énergie atomique n'aurait plus le droit à l'existence", expliquait-il au documentariste Vladimir Tchertkoff (auteur du Crime de Tchernobyl, Actes Sud, 2006).
     Le gouvernement biélorusse menait la vie dure à Belrad, sans arrêt sujet à des tracasseries administratives. Cette lutte incessante a fini par épuiser Nesterenko. Rien ne serait plus absurde que les données accumulées par ce scientifique valeureux soit perdues après sa disparition.

Hervé Kempf
Repères biographiques
2 décembre 1934: Naissance en Ukraine
1963: Entre à l'Académie des sciences de Biélorussie
1986: Recommande l'évacuation de la région de Tchernobyl
1990: Fonde l'Institut Belrad
25 août 2008: Mort à Minsk