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G@zette N°221/222

Lettre ouverte de Youri Bandajevski
le 21 mars 2005
 

     Chers collègues, amis et adversaires!
     Près de six ans se sont écoulés depuis le jour de mon arrestation (le 13 juillet 1999).
     Accusé d'un crime de corruption que je n'ai pas commis, je me suis efforcé pendant toutes ces années de tenir bon dans des conditions de pressions psychologiques particulièrement pénibles sans parler  des difficultés  d'ordre physique et matériel. Les preuves de ma culpabilité sont  si peu «convaincantes» que pendant tout ce temps les autorités ont redoublé d'efforts pour obtenir de moi un aveu, bien que l'article de la loi sur la corruption passive prévoie une preuve factuelle, c'est à dire que l'accusé doit être pris sur le fait par la police.
     Si ma culpabilité est prouvée, qu'ont-ils besoin d'un aveu? Mais justement, ceux qui se jouent de moi n'ont aucune preuve. Ils ne peuvent pas en avoir pour la bonne raison que je n'ai jamais commis les crimes dont on m'accuse. Cependant ils continuent à m'isoler du monde en espérant que je finirai bien par faiblir au physique comme au moral et par cesser de leur résister.
     Dans cette situation il est extrêmement important de comprendre la cause de mon arrestation. Avec le temps, elle m'apparaît de plus en plus nette et précise. J'oserais exprimer ici mes considérations à ce sujet.
     J'ai été arrêté subitement mais mon arrestation avait été minutieusement préparée de longue date. Les preuves en sont nombreuses. Dès mon premier appel officiel au Gouvernement de la République du Belarus en 1993, au sujet de l'état de santé des enfants que nous avons examinés et de l'accumulation de radiocésium dans leur organisme, j'ai senti un désaveu brutal de mon activité. Jusqu'à recevoir des menaces physiques. Toutefois j'ai continué à travailler, et au cours des années qui suivirent, j'ai régulièrement publié les résultats de mes recherches dans des revues scientifiques. Je voudrais souligner que nombre de revues, aussi bien biélorusses qu'étrangères, refusaient de publier mes articles consacrés à l'impact des éléments radioactifs incorporés sur l'organisme humain et animal. C'est pour cette raison que je décidais d'éditer des monographies. Entre 1990 et 1999 je publiais 8 livres, consacrés à l'action du radiocésium incorporé sur l'état des organes et des systèmes vitaux de l'organisme. Plusieurs de ces livres ont été publiés en anglais et remis à mes collègues étrangers. Comme l'État ne finançait pas ce genre de recherches, je devais compter sur l'aide de mes collègues d'autres établissements scientifiques et médicaux du pays. Les conclusions de ce travail basé sur les résultats d'examens cliniques, d'analyses de laboratoire et d'études de pathologie morphologique, ainsi que de bon nombre  d'expériences effectuées avec des animaux de laboratoire, montrent que les «faibles doses», comme on les appelle, de radionucléides de césium 137 incorporés sont extrêmement dangereuses pour l'organisme. Ces recherches ont reçu l'approbation d'éminents scientifiques du Bélarus et de Russie lors des soutenances de thèses qui furent nombreuses sur ce sujet parmi les collaborateurs de l'Institut de médecine de Gomel que j'avais fondé en 1990 et dont j'étais doyen jusqu'en 1999.
     Considérant en toute candeur que les résultats des recherches consacrées à l'action des éléments radioactifs sur l'organisme humain devaient être portées à la connaissance du public, je m'efforçais de les rendre le plus largement connus à travers la presse, la radio et la télévision. Mon objectif n'était pas du tout de semer la panique, comme les médias présentent aujourd'hui la chose, mais de montrer aux habitants des régions contaminées par les retombées de Tchernobyl comment il fallait vivre dans les conditions de risque radiologique en respectant certaines mesures de sécurité personnelles et sociales. Ayant compris le pourquoi et le comment  de la lésion des cellules des organes vitaux par le césium 137, nous proposions des méthodes réelles et efficaces pour se protéger de l'action néfaste du radionucléide. Je suppose désormais que mon activité dans ce sens n'arrangeait pas ceux qui avaient intérêt à nier les effets à courts et à longs termes de l'accident de Tchernobyl, en lien sans doute avec la politique nucléaire telle qu'elle est poursuivie au plan international. Je ne soupçonnais pas, à l'époque, la somme d'efforts développée par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) pour préserver son activité à son niveau actuel ou même lui permettre de se développer davantage, en étouffant dans l'oeuf les moindres tentatives de lui faire ombrage.
suite:
     Les événements qui se sont déroulés après mon emprisonnement, et se déroulent encore,  ne cessent de m'en convaincre. Dans leurs efforts pour me détruire, et détruire avant tout ma façon de voir, mes adversaires finissent petit à petit par se trahir. En particulier des représentants de l'ancien Institut de médecine radiologique (1), aujourd'hui liquidé, font tout pour discréditer les résultats de mes recherches scientifiques sans même  en comprendre le sens. Ils vont jusqu'à affirmer que les données de mes mesures radiométriques ont été inventées car l'Institut de médecine de Gomel ne disposait pas d'appareils radiométriques.  En effet, de 1992 à 1999 l'Institut de médecine de Gomel ne possédait pas de scanner pour le rayonnement humain  (SRH) mais il pouvait disposer du SRH de l'Usine des moteurs de lancement de Gomel dans le cadre des activités de l'Académie biélorusse du Génie dont j'étais membre. Grâce à l'étroite coopération des deux instituts, nous avons pu examiner un très grand nombre d'enfants et d'adultes vivant dans divers territoires de la Biélorussie. Nos résultats étaient aussitôt publiés et rendus publics. Pourquoi, si personne ne doutait de leur fiabilité à l'époque, ces questions surgissent-elles aujourd'hui, après tant d'années? C'était pourtant facile de les contester, s'ils étaient faux, ou de les confirmer. Il suffisait de refaire les mesures. Le fait est que personne ne doutait alors de la fiabilité des mesures, certains affirmaient seulement que les concentrations de radionucléides incorporés découverts par nos mesures étaient inoffensifs pour l'organisme. Aujourd'hui c'est l'inverse: on tente de nier les concentrations d'éléments radioactifs dans l'organisme des adultes et des enfants que nous avions découvertes entre 1992 et 1999, ainsi que leur présence dans les organes des personnes décédées, tout en admettant la présence d'altérations pathologiques; leur argument est que je ne suis pas radiologiste mais anatomopathologiste et que je ne peux donc pas savoir. Il est en effet impossible de contester les images photographiques des altérations pathologiques observées dans les tissus des habitants de la région de Gomel morts à l'hôpital.  D'autant plus qu'elles ont été publiées dans mon livre «Pathologie de l'irradiation radioactive incorporée», paru en 1999, à quelques mois de mon arrestation. Or mes adversaires  se refusent à faire le rapport entre ces illustrations incontestables et les effets du radiocésium. Ils font complètement abstraction des résultats d'un très grand nombre d'expériences effectuées avec des animaux de laboratoire que nous soumettions à l'action de diverses doses de radiocésium incorporé. Ces résultats sont tout à fait comparables à nos observations lors des autopsies et de l'examen des enfants et des adultes par des méthodes fonctionnelles et de laboratoire.
     Juste après avoir calomnié et exclu de la vie sociale  son doyen, on a  arrêté tout le programme scientifique de l'Institut de Gomel qui portait sur les effets sanitaires des éléments radioactifs dispersés dans la biosphère après Tchernobyl et sur la manière dont, incorporés, ils agissaient sur l'organisme humain.  Tentant ainsi d'annihiler 10 ans de recherche.
     Mais en voulant cacher la vérité sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl, mes adversaires portent atteinte non seulement à la population de la République du Belarus et des autres pays de l'espace post-soviétique mais à tous les hommes de la Terre. Il y avait là une occasion unique en son genre d'obtenir une connaissance objective sur la façon dont les éléments radioactifs à vie longue incorporés agissent sur l'organisme humain et les autres représentants de la biosphère et d'élaborer des mesures efficaces de radioprotection. Elle est en train de disparaître.
     Les derniers événements nous montrent pourtant à quel point cette information est importante pour l'humanité. Au siècle du terrorisme, avec nombre de centrales atomiques imparfaites créant des problèmes aussi bien pour leur entretien que pour leur exploitation et face à la course aux armements nucléaires qui se poursuit toujours dans le monde, l'AIEA est incapable de réaliser un contrôle efficace sur le développement de l'énergie atomique.
     J'appelle donc tous ceux qui sont capables de raisonner de manière sensée à débattre de la situation présente et je propose d'établir un moratoire sur l'expansion et l'utilisation de l'énergie atomique tant à des fins militaires qu'à des fins civiles. Il faut comprendre que si l'ONU, les dirigeants de tous les pays sans exception et toutes les ONG ne s'entendent pas pour appliquer des mesures efficaces pour protéger les hommes des risques de l'atome, tout ce qui vit sur Terre risque un jour de périr. Il est indispensable d'entreprendre tous les efforts possibles pour préserver la vie sur la planète Terre au lieu de la détruire.
Professeur Y. Bandajevski
p.30
(1) Dont Bandajevsky avait critiqué l'usage des fonds
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