La G@zette Nucléaire sur le Net!  
G@zette N°213/214

OU IL EST QUESTION DES FAIBLES DOSES DE RADIOACTIVITE
Abraham BEHAR
http://amfpgn.org/
extrait de Médecine et guerre nucléaire (2003)

I - LA RADIOBIOLOGIE A CHANGÉ DE BASE!

     Pendant des années, les physiciens, les médecins concernés, les environnementalistes et les politiques, se sont livrés une bataille rangée sur les "faibles doses" de rayonnements ionisants. Car en fait les enjeux premiers ont toujours été, dans un autre domaine, celui des effets des faibles doses sur les êtres vivants en général et sur les humains en particulier, compte tenu des retombées sociales économiques et politiques. 
     La thèse des premiers: "Cela n'existe pas ou, au pire, cela est négligeable" se heurtait à la thèse des seconds: "Il y a toujours un effet même si on ne peut pas le prouver". La recherche d'un compromis a toujours oscillé entre les tenants du "modèle avec seuil" (donc, en dessous, il n'y a rien de détectable) et du "modèle linéaire" (il y a toujours un effet). Mais en réalité les dogmes de base étaient identiques dans les deux camps. 
     DOGME N°1: C'EST A PARTIR DE MESURES PHYSIQUES QUE L'ON APPRÉClE LES EFFETS SUR LE VIVANT. 
     Il s'agissait de transposer les résultats mesurables du passage des rayons ou des particules dans l'air, l'eau, le métal etc. à la matière vivante. 
     Exemple: les rayons X en traversant l'air produisent par paires des molécules ou des atomes appelés IONS, ceux-ci étant chargés électriquement en positif ou négatif, c'est ce que l'on appelle "l'ionisation". On peut mesurer ce phénomène par des courants électriques induits et il a été ainsi possible de définir une unité "d'exposition", le ROENTGEN. En dernière analyse on assimile les humains à des courants d'air et le tour est joué! 
     Plus tard, devant la fragilité du raisonnement, on s'est dit:
     Puisque ces rayons et ces particules peuvent déposer de l'énergie dans la matière, et que cela est mesurable (par exemple par calorimétrie) on peut définir une nouvelle unité d'énergie/unité de matière, puis la diminuer de 100 fois pour ressembler au ROENTGEN , et c'est ainsi que le "RAD" est né. 
     Et pour les hommes? 
     Très simple, il suffit d'assimiler le corps humain à de l'eau (grande promotion par rapport à l'air) et le tour est joué, une fois de plus! 
     Mais à peu près tout de même à cause de quelques gags difficiles à dissimuler: si vous recevez un rayonnement de 100 rads par exemple, vous aurez la même dose si vous pesez 50 ou 100 Kg, ce qui a laissé perplexes des générations d'étudiants en médecine. 
     Puis sortant peu à peu du grotesque le joule/kilo a été utilisé directement sous forme de GRAY, et l'on a supprimé définitivement le ROENTGEN. Enfin on a peu à peu admis que les êtres vivants y compris les humains présentaient quelques différences avec l'air, l'eau ou la chaux. Une nouvelle unité bizarre parce qu'hybride est apparue: le SIEVERT, le centième s'appelant le REM, résultat de la multiplication du GRAY, parfaitement défini avec un "facteur de qualité" déterminé par voie administrative par quelques fonctionnaires et chercheurs assimilés regroupés dans la CIPR (Commission Internationale pour la Protection contre les Rayonnements Ionisants). Ce choix arbitraire étant plus ou moins corrélé à un facteur spécifique des fortes doses: "L'effet biologique relatif" dépendant lui uniquement du type de rayonnement...

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     Puis, une nouvelle race de scientifiques, les dénommés "radiobiologistes", a proliféré. Ces gens avaient un message étrange: ils allaient jusqu'à dire que les humains avaient des organes, première surprise, que ceux-ci ne réagissaient pas de la même manière aux rayonnements, deuxième surprise, et que le facteur de qualité était excellent en termes administratifs mais sans signification en biologie. 
     Alors, enfin le facteur de qualité a disparu, remplacé par un facteur de pondération mesuré pour chaque tissu concerné: Le nouveau SIEVERT est né ainsi. 
     Il était à peine revenu des fonts baptismaux que de nouveau les deux camps se sont reformés pour ou contre des effets mesurés en SIEVERT aux faibles doses. Mais aucun des deux camps ne remettait en cause la règle: c'est à partir de mesures physiques sur la matière inerte que l'on détermine in fine le SIEVERT. Ce qui entraîne comme conséquence immédiate: 
     LE DOGME N°2: LA DISTRIBUTION DE DOSE, autrement dit la manière dont l'être vivant reçoit les rayons et les particules, EST TOUJOURS HOMOGENE. 
     Ce dogme concerne aussi bien les cellules, les tissus ou les sujets, quels que soient leurs sexes, âges, santé etc. Seuls les effets sont différents selon les tissus pris en bloc le foie, le poumon, la thyroïde... puis ils sont réhomogénéisés grâce aux facteurs de pondération. 
     Exemple: On peut juger des effets des rayonnements sur une population (après Hiroshima ou Chernobyl) en multipliant les effets supposés sur un individu par un million de ses semblables: C'est ce que l'on appelle "l'homme/SIEVERT" ce qui permet de prévoir, que dis-je, d'affirmer, que telle ou telle dose moyenne de rayons va tuer par cancer tant d'individus, quels que soient leurs sexes, leurs âges, leurs répartitions dans la zone etc... la querelle entre les deux camps étant dans l'estimation: quelques-uns ou quelques centaines. 
     Ce sont ces deux dogmes que la radiobiologie moderne a fortement remis en cause, même si certains "radio protectionnistes" font semblant de ne pas le voir. 

     PREMIÈRE ÉTAPE: LA DOSIMETRIE INTERNE 
     C'est-à-dire le dosage biologique, à partir des effets réels cellulaires mesurée, de la dose de rayonnement engagée. Nous avons déjà décrit cette méthode dans MEDECINE ET GUERRE NUCLEAIRE en 1993. Rappelons simplement que les rayonnements ionisants ont toujours des effets sur le noyau des cellules et donc sur les chromosomes. Ces effets, stables ou instables, sont proportionnels à la dose reçue par la cellule en question. Par clonage, il suffit ensuite de compter le nombre des effets chromosomiques dans la descendance de cette cellule pour en déduire la dose initiale absorbée par celle-ci. Peu à peu, en affinant la technique on a pu de façon fiable en déduire la dose engagée et remonter ainsi de la matière vivante vers la mesure en gray, définie sur les matériaux inertes. Le premier pilier du temple venait de tomber car ceux qui affirmaient qu'au-dessous d'un demi-gray, il n'y avait rien, se sont trouvés en difficulté devant des résultats de dosages en routine! Mais très vite, en s'appuyant sur une réalité incontestable, c'est-à-dire l'instabilité et la dilution de la majorité des lésions, le camp du modèle avec seuil a continué d'affirmer que certes il y avait quelque chose, mais que cela restait sans importance. 

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     LA DEUXIÈME ETAPE est liée à la démonstration qu'à chaque dimension biologique LA DISTRIBUTION DE DOSE N'EST JAMAIS HOMOGÈNE, et qu'en conséquence, exprimer les effets par une moyenne est une absurdité a priori. La démonstration en a été faite dans un tissu au niveau cellulaire. 
     Exemple: la distribution de dose d'IODE 131, radionucléide émetteur de rayons gamma et de particules bêta (des électrons), dans une thyroïde cancéreuse avide d'iode. 
     Si on injecte par voie veineuse une dose unique et connue d'iode radioactif 131 et que l'on mesure son incorporation cellule par cellule à l'aide de la microscopie électronique et une sonde de Castaing, on trouve des différences d'incorporation de cellule à cellule de 0 à 100 fois la dose moyenne prévue. Cette constatation est corrélée avec la répartition de la mort programmée des cellules avides d'iode. Le résultat peut s'exprimer ainsi : 
     De deux cellules voisines, irriguées de façon identique, l'une peut ne rien recevoir comme dose, et l'autre être détruite par 100 fois la dose létale théorique! 
     Peu à peu la notion d'inhomogénéité s'est étendue de la cellule aux tissus, et des tissus au corps humain, puis à toute l'espèce humaine: 
     Deux individus recevant la même dose moyenne au même moment n'auront pas la même distribution de dose et donc pas les mêmes effets. 
     En conséquence: il y avait déjà des cellules "à risque" et des tissus "à risque", il y a maintenant des humains "à risque" comme les enfants, les adolescents pour certains radionucléides, les femmes enceintes etc...
     La deuxième colonne du temple s'est ainsi trouvée sérieusement endommagée! Mais, après un instant de désarroi, les fronts se sont reconstitués: 
     Même si tous les effets sont inégaux et probabilistes, il n'en reste pas moins qu'en général au-dessous du seuil, le fameux mSv par an pour toutes les populations, il n'y avait rien de mesurable pour les uns, des effets à coup sûr pour les autres, il suffit simplement d'oublier que le mSv pour un sujet n'est pas le même que pour son voisin, puisqu'il s'agit d'une moyenne, alors...
     LA TROISIEME ETAPE: LA BIOLOGIE MOLÉCULAIRE ET LES EFFETS RADIO INDUITS. 
     Notre excellent collègue, Eric SOLARI est venu au Congrès de Paris expliquer la chaîne des effets des rayonnements ionisants pour les molécules (molecular mechanisms of radiation induced cell death, MED. CONFLICT AND SURV. 16, 2000, p. 257) 
     Ce qu'il faut en retenir, au-delà des raffinements biochimiques, c'est que les rayonnements ionisants, X, gamma, ou particulaires, agissent dans la cellule en dehors du noyau. En plus des ruptures de brins de chromosomes qui restent indiscutables, quand ils existent, et qui gardent la possibilité de bénéficier, par les enzymes, d'une réparation parfaite ou fautive, il y a apparition possible d'un signal invisible sur la cellule irradiée. Ce signal va apparaître en cas de division cellulaire, c'est "la mort programmée" ou APOPTOSE. Ce signal peut ne pas être suivi d'effet, cela dépend de certaines protéines de la cellule (celle qui porte le signal est souvent la p52) et de petites formations très actives, les mitochondries, véritables usines chimiques de fabrication en particulier des protéines.
suite:
     On connaissait déjà les lésions mesurables du noyau et la production dans le cytoplasme de radiotoxiques appelés radicaux libres, il faut en plus prendre en compte un signal, le plus connu étant celui de l'apoptose. 
     Ces données, en l'état, n'ont pas substantiellement changé les opinions dans les deux camps, jusqu'aux publications de nombreuses équipes de radiobiologistes en Grande-Bretagne, Irlande et aux USA ainsi qu'en France avec les travaux de notre ami CHRISTIAN CHENAL: 
     • A partir de deux séries de faits expérimentaux, ils ont apporté la preuve qu'il y a bien un effet aux très faibles doses, mais pas celui que l'on attendait, c'est ce que nous verrons dans la 2e partie de ce dossier.

II - RESPONSABLES MAIS PAS COUPABLES! 
     Quand les cellules subissent des effets sans avoir reçu directement de la radioactivité

     A partir de deux publications, celle, en 1997, de HEI (1) et celle, en 1999, de WU (2), une nouvelle donne se fait jour 
     Il existe aussi des effets biologiques quand des cellules ne reçoivent pas directement des rayons ionisants. Pour décrire ce phénomène nous allons pour l'essentiel nous baser sur le remarquable article de J. B. LITTLE, publié dans la revue "Radioprotection"(3) rendant compte des travaux de son laboratoire de radiobiologie à BOSTON (Mass., USA): 
     PREMIERE CONSTATATION: Les radiations induisent une instabilité génomique transmissible. Une cellule directement irradiée peut apparaître comme normale avec une descendance normale, et donc avec une bonne réparation des lésions de son DNA, et pourtant elle va induire une instabilité génomique transmissible dans sa lignée future! 
     Les travaux de J. B. LITTLE et de son collègue KENNEDY(4) montrent que, avec une fréquence faible mais significative, il y a bien transmission d'une instabilité génomique à des descendants lointains, et donc transmission de possibles aberrations chromosomiques, de possibles mutations et de possibles transformations malignes (Figure 1). 


Figure 1
     Représentation schématique de l'instabilité génomique radio-induite. Les cercles ouverts représentent les cellules normales de type "sauvage", les cercles pleins représentent les cellules mutées. (B) Exemple d'une cellule mutée directement après irradiation ; la mutation est transmise a toute la descendance. Cependant, la plupart des cellules de la population irradiée conservent le phénotype de type "sauvage" A). (C et D) Exemples de mutation résultant d'une instabilité génomique radio-induite. La cellule irradiée et sa descendance directe sont de type "sauvage", mais la fréquence à laquelle les mutations surviennent chez les descendants de la cellule irradiée est élevée (Little, 2000). 
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     Ce type d'instabilité a été confirmé en étudiant la descendance aussi bien dans un clone d'une cellule porteuse d'une seule particule alpha, (KADHIM)(5) que la descendance clonale après de très faibles irradiations de la cellule mère (GROSOVSKY)(6). L'intérêt de l'irradiation par les particules a résidé dans le faible parcours de cette particule, quelques microns, distance qui est souvent inférieure au diamètre de la cellule. La transmission d'une instabilité génomique aux descendants d'une cellule après de nombreuses réplications nous pose deux questions: 
     1 - Comment ce processus se met-il en place? 
     Rappelons d'abord le principe de base: si une cellule irradiée se divise sans descendantes immédiates fautives (de type cancéreux par exemple) on admet qu'il y a eu une réparation parfaite du noyau. 
     Pour répondre à cette question, de nombreuses équipes travaillent sur une hypothèse: le rôle de l'irradiation comme agression ne se limite pas à une destruction "matérielle" comme la rupture de brins d'ADN ou des dommages dans le cytoplasme par des "radicaux libres" chimiquement actifs, mais il y a aussi un "stress oxydatif". Avec F. Cohen-Boulakia, nous travaillons dans notre laboratoire (Biophysique PARIS VI) sur des substances capables de protéger les cellules de la barrière endothéliale des conséquences du stress oxydatif. Mais jusqu'à présent l'action intempestive de l'oxygène sur les cellules ou leurs membranes était analysée comme immédiate et non transmissible. LINOLI (7) a suivi la même voie en utilisant des substances anti-stress et donc en inhibant une fonction: l'induction de l'apoptose liée à la protéine p53. 
     Il a montré aussi qu'il agissait sur un effet mutagène transmis en le diminuant. Il a consolidé ainsi l'hypothèse causale du stress oxydatif. Ceci ne fait en réalité que déplacer la question: 
     Pourquoi ce "signal" se transmet de génération en génération pour finir par s'exprimer? Nous n'avons pas encore de réponses claires à cette question. 

     2 - A défaut de "pourquoi", comment se transmet le signal de façon inapparente de génération en génération? 
     Il faut à ce stade comprendre et donc séparer les données nouvelles des données anciennes : 
     CE QUI EST CONNU: Depuis Hiroshima et Nagasaki nous savons que des cancers peuvent apparaître 20 à 30 ans après l'irradiation initiale. Il y a donc quelque chose de transmis dans le génome. Cette anomalie est inapparente au début puis indiscutable au moment de l'apparition du cancer radio-induit. Ce fait est aussi démontré dans de nombreux montages expérimentaux, par exemple celui d'ULLRICH et DAVIS(8). MAC DONALD récemment (9) a montré que pour les leucémies radio-induites par les rayons X chez la souris, il faut rechercher une lésion génétique NON SPÉCIFIQUE pour expliquer sa transmission à la descendance des cellules irradiées. BOUFFLER(10) a identifié cette anomalie sous forme d'une involution du "télomère" par défaut de DNA-PKcs dans la cellule irradiée. Ce défaut visible au moment de la division de la cellule à la phase finale est de fait transmissible. Par ailleurs c'est cette même insuffisance qui est associée à l'instabilité chromosomique des cellules cancéreuses. 
     Dans ce modèle, l'instabilité génomique sur ce seul facteur serait transmise comme conséquence d'une série de pontage, rupture, et fusion des cycles, liées au manque de télomère viable. 
     CE QUI EST NOUVEAU dans les travaux de LITTLE c'est qu'ici l'instabilité transmise porte sur des effets génétiques MULTIPLES dans la descendance des cellules survivantes après de nombreuses réplications. Comment des signaux complexes peuvent-ils être transmis à bas bruit? A ce jour le mécanisme n'est pas encore identifié. 

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     DEUXIEME CONSTATATION: il existe un "effet de voisinage" dans les populations de cellules irradiées (BYSTANDER EFFECT - pdf). 
     (Plus fort encore,) Il existe une transmission possible d'un signal lésionnel venant d'une cellule irradiée à une cellule voisine parfaitement indemne car non-irradiée, par simple effet de voisinage! Pour cette démonstration, le choix au départ d'une irradiation par des particules alpha n'est pas anodin. Ces particules lourdes ont un trajet déterminé en fonction de leur énergie, de l'ordre de quelques micromètres, ce qui simplifie grandement la séparation entre les cellules saines et irradiées. L'expérience sur des fibroblastes humains cultivés est éclairante (fig2): 
     Alors que 1 à 2% seulement des noyaux cellulaires sont lésés par les particules alpha, il y a 50% des cellules qui sur expriment la protéine p21, et si on inhibe en partie la communication intercellulaire, on diminue grandement cet effet (11). Ce fait est retrouvé pour un faisceau de protéines porteuses du signal d'apoptose comme la p53, la CDC2, la CYCLINE B, et le RAD 5.

Figure 2
     Effet "bystander" dans des cultures de fibroblastes humains normaux diploïdes, examinés en immunofluorescence in situ pour détection de la protéine p21Wajl. La figure de gauche montre les cultures témoins non irradiées; la figure du centre montre une culture irradiée à 0,3 cGy. On observe des zones focales dans lesquelles plus de 50% des cellules sur expriment p21, alors que seulement 1 à 2% des noyaux ont été traversés par une particule alpha. La figure de droite montre la suppression de l'effet "bystander" après incubation des cultures de cellules irradiées à 0,3 cGy avec du lindane, qui est un inhibiteur de la communication intercellulaire au niveau des jonctions lâches. (Little 2000). 

     D'autres travaux ont montré aussi, qu'au-delà de l'apoptose, le signal transmis (peut-être par des cytokines?) peut induire la formation de micro-noyaux (qui sont à la base de la dosimétrie biologique), de mutations cellulaires et, selon SAWANT(12), de transformations malignes. 
     Ou l'on voit réapparaître le stress oxydatif : AZZAM en 2002 (13) a travaillé sur le stress oxydatif. Il a démontré que celui-ci peut activer plusieurs signaux diffusibles hors de la cellule irradiée, et que ces signaux peuvent induire l'apparition de micro noyaux dans les cellules de voisinage, comme des atteintes de la protéine P53 ou la MAPkinase. Tout se passe comme si une sorte d'inflammation des cellules saines était le témoin visible de cet "effet de voisinage". 
     Mais comment ces signaux néfastes se propagent de cellule à cellule? Une vieille hypothèse est revenue à l'ordre du jour: Il y aurait des substances porteuses du signal qui diffuseraient de la cellule vers le milieu interstitiel à cause d'une "fuite" au travers de la membrane des mitochondries liée à une hyper perméabilité de sa membrane secondaire à l'irradiation. On a en effet constaté une augmentation du TGF El (tumor growth factor) après irradiation faible dans le milieu, ce qui est un argument de plus pour cette hypothèse. Mais si les cytokines et le stress oxydatif sont fortement évoqués il n'y a pas encore de preuves formelles de leur rôle exclusif. Il reste à élucider la nature des facteurs responsables des effets biologiques constatés sur les cellules non-irradiées 

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     VERS UNE NOUVELLE RADIOBIOLOGIE? 
     Nous pouvons dès maintenant tirer quelques conclusions utiles pour tous les non-spécialistes intéressés par la question de la radioactivité et de ses conséquences sur la santé publique: 
     1- AUX FAIBLES DOSES (de 1 à 10 cGy) LES PHENOMENES MAJEURS SONT BIOLOGIQUES ET NON PHYSIQUES! 
     La lutte des deux camps, pour ou contre la prise en compte des impacts des rayons ionisants aux faibles doses, est en réalité sans objet. Car le dommage majeur de celles-ci ne se situe pas uniquement sur la zone directement affectée mais dans les signaux biologiques transmis à l'extérieur et modulés uniquement par le métabolisme du système vivant concerné. Le nouveau chapitre des faibles doses ne consiste plus à disséquer les actions directes des particules ou des photons sur le vivant (comme il est de règle pour les fortes doses), mais sur la manière dont le vivant réagit à ce traumatisme, et sa manière de le signaler aux autres structures vivantes non concernées. 
     C'est MITCHELL (14) qui a trouvé le terme fondateur : LA RÉPONSE ADAPTATIVE, clef unique de toutes les conséquences de la faible irradiation, y compris les leucémies, les lymphomes, les cancers et l'effet tératogène. 
     Le nouvel objet de la recherche n'est plus le devenir in situ de telle ou telle lésion cellulaire (du DNA ou du CYTOPLASME), c'est pourquoi et comment des signaux pathogènes naissent et diffusent dans le tissu vivant. 
     2 - LES EFFETS MUTAGENES PRIMENT SUR LES EFFETS CANCERIGENES AUX FAIBLES DOSES. 
     Toute la radioprotection pour ce domaine d'irradiation repose sur la question des leucémies et des cancers radioinduits. La polémique s'est développée sur les effets aléatoires de ce type à long terme. Par contre les effets mutagènes, certes connus, ont toujours été minimisés, voire niés, ainsi que toutes les conséquences non tumorales comme l'induction de pathologies cardiaques, pancréatiques (diabète) etc. En mettant l'instabilité génomique au poste de commande, toute la question des mutations radio-induites resurgit; et si la lésion princeps est l'apparition d'un phénotype mutant?
suite:
     Dans cette hypothèse, l'instabilité du phénotype radio-induit transmissible de génération en génération serait une simple possibilité, complètement modulable par des facteurs biologiques externes, selon LITTLE. 
     Cela ne veut pas dire qu'il faut abandonner le concept d'effet cancérigène radio-induit, mais au contraire le réintégrer dans les lésions mutagènes radio-induites. Autrement dit, les mutations déjà connues dans la réplication fautive des cellules irradiées survivantes sont largement amplifiées aussi bien par l'apparition de cellules fautives dans la descendance des cellules "réparées" que par l'effet de voisinage transmissible, amplifiant ainsi le signal initial (Figure 3). 

Figure 3
     Relation dose-réponse pour l'induction de mutations au locus HPRT chez des cellules CHO par des fluences faibles de particules alpha (Nagasawa et Little, 1999). Au-delà de la gamme de dose indiquée sur la figure, environ 3 à 50% des cellules sont traversées par une particule alpha. Dans la gamme de doses moyenne et supérieure, comprise entre 5 et 10 cGy, la courbe devient une fonction linéaire de la dose. La réponse curvilinéaire aux faibles doses est le résultat des mutations survenant chez les cellules " bystander" non irradiées. (Little 2000). 
     C'est donc la biologie, ou plus simplement la vie qui vient se mettre à la première place. Ce triomphe du vivant est aussi le retour à la modestie dans cette question des faibles doses, modestie qui doit rester la règle chez les biologistes (en s'éloignant du discours cassant et péremptoire qui persiste chez certains radio-protectionnistes). Médecins ou/et chercheurs, nous savons combien le vivant est capricieux, rebelle aux règles rigides et surtout changeant, et hélas, relativement imprévisible. Retour obligé dans le premier cercle de l'enfer des "sciences molles", il va falloir réapprendre à douter, à communiquer avec mesure, à dialoguer avec le public par le partage de nos résultats provisoires mais aussi de nos interrogations. Plus vite la société comprendra ce tournant capital, plus vite les radiobiologistes pourront être entendu et, qui sait, peut-être compris?
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LES UNITÉS EN RADIOBIOLOGIE ET RADIOPROTECTION
LE BECQUEREL (Bq) : C'est l'activité d'un radionucléide qui est le siège d'une désintégration par seconde. L'ancienne unité correspondant à l'activité d'un gramme de radium est le CURIE = 37 milliards de Bq.
• LA 1/2 VIE OU PERIODE (Tl/2): C'est le temps nécessaire pour qu'un radio nucléide perde la moitié de son activité puis que celle-ci est un phénomène aléatoire à probabilité constante. On définit à côté de la 1/2 vie physique, une 1/2 vie biologique correspondant au temps nécessaire pour qu'un être vivant élimine la moitié d'une substance étrangère incorporée.
• L'EFFICACITÉ BIOLOGIQUE RELATIVE (EBR): C'est l'efficacité en termes de radiosensibilité d'un rayonnement donné comparée à celle des rayons X de 200 kV. Il n'est utilisable qu'aux fortes doses.
• LE GRAY (Gy): C'est une grandeur physique correspondant à une unité d'énergie, Le JOULE par unité de poids Le KILOGRAMME. Elle est définie quelle que soit la nature du rayonnement ou celle de la matière absorbante. Le GRAY est l'unité de la dose engagée, le centième s'appelle le RAD
• LE SIEVERT (Sv): C'est une grandeur administrative destinée à apprécier les effets nocifs tardifs des irradiations chez l'homme. À partir du GRAY : On peut obtenir LA DOSE ÉQUIVALENTE en utilisant un facteur de pondération Wt lié à la nature du rayonnement: 1 GRAY x Wt = 1 SIEVERT, le centième étant le REM
Toujours à partir du GRAY on peut aussi obtenir LA DOSE EFFICACE en utilisant un facteur de pondération Wt lié à la nature de l'organe vivant: 1 GRAY x Wt = 1 SIEVERT C'est donc exactement la même dénomination pour 2 doses différentes!

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