La G@zette Nucléaire sur le Net! 
N°151/152 
Les conséquences sanitaires de Tchernobyl
dix ans après l'accident
Pr Niagou
De l'association des médecins de Tchernobyl, et du centre scientifique de radiologie
de l'académie scientifique ukrainienne

     L'accident radiologique de la centrale de Tchernobyl le 26 avril 1986 a engendré la contamination de vastes territoires en Ukraine, Biélorussie et Russie. La reconnaissance de l'accident comme une catastrophe nationale a depuis trouvé son reflet dans la législation ukrainienne de part:
     - le statut et le régime de sécurité sociale particuliers des victimes de la catastrophe (le 27.02/1991).
     - le régime juridique des territoires ayant été soumis à la pollution radioactive (le 27.02/1991) complété en 08/1992.
     - le statut des habitations des populations sur le territoire ukrainien dont le degré de contamination dépasse le seuil autorisé (le 27.02/1991).
     Chez la population nécessitant un suivi sanitaire prioritaire, on distingue quatre catégories:
     1)190 personnes ayant souffert du syndrome d'irradiation aiguë, environ 45'000 personnes ayant perdu leur capacité de travail après l'accident.
     2) personnes ayant participé au nettoyage du site en 1986-
1987, personnes ayant accumulé des doses d'irradiations supérieures à 250mSv, 13'000 personnes évacuées de la zone d'exclusion.
     3) les enfants dont la thyroïde à été irradiée et les personnes qui habitaient dans la zone d'évacuation ayant nécessité un départ obligatoire, résigné ou volontaire.
     4) les personnes qui travaillent et qui habitent en permanence sur les territoires soumis à un contrôle dosimétrique sévère des radioéléments.
     Selon l'amendement de la loi du 1.07.1992, le critère principal d'appartenance à la quatrième catégorie concerne les personnes ayant reçue une dose égale à 5mSv selon les résultats des contrôles dosimétriques. Les personnes qui habitent sur les territoires pollués par les radionucléides subissent une contamination interne et externe par des radionucléides de longue période tels que le strontium, le césium, le plutonium et autres éléments radioactifs. Cette contamination s'ajoute aux doses accumulées en 1986 et qui ont notamment touché la glande thyroïde.
     Les doses d'irradiation les plus importantes ont été détectées chez les liquidateurs. Elles sont quasiment égales aux doses accumulées par les populations évacuées de la zone d'exclusion de 30km.
     L'étude des conséquences sanitaires du désastre écologique entraîna la nécessité de fixer les objectifs suivants:
     - évaluer les dommages causés sur la santé des populations victimes par l'ensemble des facteurs engendrés par la catastrophe.
     - établir les groupes de victimes les plus concernés par l'accident et ses conséquences.
     - élaborer et perfectionner les méthodologie de suivi des principales fonctions de l'organisme humain.
     - établir des pronostics quant aux conséquences radioécologiques et sociopsychologique des années à venir.
     - planifier l'aide sanitaire aux populations victimes.
     Les principaux axes d'études relèvent du domaine social, psychologique, médical et biologique. Les conséquences sociales et psychologiques de l'accident se sont immédiatement répercutées sur la démographie (exode, natalité et mortalité).
suite:
     La plupart des populations victimes ont vu leurs conditions de vie changer et sont soumis à une inquiétude perpétuelle quant à leur santé et à celle de leurs futurs enfants. Cette angoisse a eu une influence négative sur leur santé psychique et somatique. Cela a conduit à une hausse de l'exode, à l'abandon des territoires contaminés et à la modification du rapport des sexes et des catégories d'âge de la pyramide démographique.
     A la baisse de la natalité s'ajoute une hausse du taux de mortalité surtout dans le milieu rural. Sur les territoires contaminés, le taux de mortalité est plus important (12.7 - 19.4 %) que sur l'ensemble du territoire ukrainien (9.8 %). Dans 1'oblast de Kharkov, le taux de mortalité est de 8.7%. (...)
     En Ukraine, le taux de mortalité a dépassé celui de la natalité depuis 1991. En 1992, la population a chuté de plus de la moitié. Cette tendance a été observée sur les territoires contaminés au cours de la deuxième année ayant suivi la catastrophe.
     Le déplacement et le relogement des populations est la principale mesure qui a permis de limiter les doses d'irradiation mais elle a entraîné des conséquences sociales et psychologiques graves surtout parmi la population rurale du fait de la particularité de son mode de vie. L'indemnisation des population victimes a modifié certains aspects de la vie quotidienne de millions d'autres personnes en leur imposant des contraintes. Cela a fait naître un état d'anxiété permanent et a rendu définitivement impossible l'oubli de la tragédie vécue.
     A l'heure actuelle, nos études nous permettent d'affirmer que presque toutes les maladies somatiques observées chez les habitants des territoires contaminés sont liées à l'accident.
     Un état d'angoisse général a été observé dans toutes les catégories de victimes. Il fut remarqué chez les personnes examinées aussi bien que chez les membres de leur famille. La forme d'angoisse la plus répandue est l'inquiétude pour la santé des enfants et pour leur avenir. La pollution de l'environnement tourmente aussi les esprits. Les personnes interrogées ont une vision désespérée de leur avenir. Le fardeau du problème socio-économique a provoqué un état d'apathie et a fait apparaître un stéréotype de «la victime de Tchernobyl dépourvue de toute volonté» dont les traits caractéristiques sont la perte d'identité, l'obsession de la maladie et les revendications d'indemnisations. Ce phénomène s'est traduit par la croissance brutale de la morbidité au çours de ces dernières années. Les victimes s'adressent de plus en plus souvent à des étabhssements médicaux dans le but de bénéficier des privilèges offerts par l'état.
     Les études psychologiques ont permis de déceler l'instabilité de l'humeur et l'angoisse permanente des personnes atteintes. L'angoisse chez les liquidateurs a pour origine leur santé fragile et chez les personnes habitant dans la zone contaminée l'inquiétude fait partie troubles neurologiques (57-81 %). Le plus inquiétant est l'état de santé de la population infantile. Le taux d'incidence de diverses maladies a augmenté de plus de 12 fois. Les maladies les plus fréquentes sont les anomalies congénitales, les malformations et les maladies du système nerveux. Quant aux autres maladies le nombre de cas a également été multiplié par dix (...).
 
     p.18

     Les études effectuées nous permettent d'établir une classification des victimes en fonction de la pathologie dont ils sont atteints:
     1) personnes ayant participé au nettoyage du site en 1986-1987 ou évacuées du territoire d'un rayon de 30 km mais continuant à travailler dans la zone d'exclusion aussi bien que celles ayant souffert du syndrome d'irradiation aiguë.
     2) personnes ayant participé au nettoyage du site en 1986 - 1987.
     3) personnes évacuées de la ville de Pripyat ou du rayon de 30 km mais n'ayant pas participé au nettoyage du site.
     4) personnes résidant sur les territoires contaminés y compris dans la zone d'exclusion.
     5) enfants des représentants des catégories énumérées ci-dessus.
     Le rejet des radio-isotopes d'iode a provoqué des irradiations importantes de la thyroïde. La diversité des facteurs thyréopathogènes et endémiques (goitres), le stress, les restrictions alimentaires, les déficiences immunitaires et les problèmes métaboliques ainsi que les facteurs chimiques définissent le caractère de cette classe de maladie. Les personnes qui se trouvaient dans la zone de l'accident en avril-juin 1986 c.a.d. lors de la période radioactive de l'iode 131 ont été les plus exposés aux problème thyroïdiens. On peut supposer qu'en fonction de leur attitude et de l'administration d'un traitement préventif d'iode, les doses d'irradiations de la thyroïde varient de quelques centigrades à plusieurs grades (5-10). Le mécanisme le plus fréquent de l'absorption d'iode par la glande thyroïde est l'inhalation du mélange de divers isotopes, constitué d'iode 131 et d'isotopes d'iodes de demi vie plus courte (I 132, 133, 135) qui apparemment ont eu une influence destructrice sur la thyroïde du fait de la plus grande pénétration des rayonnements particulaires bêta.
     La période ayant suivi l'accident n'est pas suffisante pour estimer les conséquences sanitaires réelles et tous les dommages causés à la populations ukrainienne en général et aux groupes à risque en particulier. Cependant les études entreprises permettent de constater:
     - la manifestation d'une réaction thyroïdienne primaire suite aux dommages causés par les rayonnements.
     - l'apparition de processus thyroïdines auto-immunes.
     - la réalisation des effets stochastiques.
     La réaction primaire de la thyroïde à l'impact radioactif a entraîné l'apparition de fibroses et a déclenché des processus auto-immunes.
     Observe-t-on l'apparition des effets stochastiques et non stochastiques prévus c'est-à-dire tout d'abord des hypothyréoses et les tumeurs malignes de la thyroïde ? Voici la principale question qui se pose lors de l'examen de la thyroïde après les événements survenus à Tchernobyl.
     Le phénomène le plus inquiétant est l'augmentation de l'incidence des cancers de la glande endocrine. A l'heure actuelle sont répertoriés 201 cas de cancer de la thyroïde chez les enfants ukrainiens et 333 chez les enfants biélorusses tandis qu'avant l'accident (1981-1985) n'ont été détecté que 25 cas de cancer.
     Ainsi, le pronostic de l'apparition des effets stochastiques de l'irradiation de la thyroïde (tumeur maligne) s'est confirmée et leur nombre sera éventuellement plus important que celui quantifiable selon les modèles standards de l'irradiation du fait de la conjugaison de nombreux facteurs. Parmi les facteurs provoquant des troubles neurologiques chez les personnes ayant intervenu sur le site en 1986 ainsi que chez celles qui travaillent actuellement dans la zone d'exclusion, le plus important est celui de la radioactivité. Le stress ajouté à l'irradiation ont engendré l'accroissement des maladies psychosomatiques de types divers. L'enquête menée permet de répertorier les maladies neurologiques les plus répandues:
     - les maladies cérébro vasculaires: dystonie végétative avec des signes primaires d'insuffisance de la circulation sanguine cérébrale, encéphalopathie, myélopathie de divers degrés;
     - les troubles aigus de la circulation sanguine cérébrale, les syndromes angiospastiques et angiodystoniques des extrémités distales des membres.
     - les manifestations neurologiques des pathologies des systèmes osseux et musculaires.
     - les états paroxystiques de type épilepsies hypothalamiques (attaque de panique), crises vestibulaires etc...
     - les états nerveux stables lors des maladies somatiques (le développement pathologique, hypochondriaque de la personnalité).
     -névroses...
suite:
     Parmi les victimes les plus exposées aux effets de la catastrophe, les enfants ayant été irradiés in utéro. Dans ce groupe on observe l'augmentation de troubles neuropsychiques et la fragilisation de la santé psychosomatique. La plupart des maladies somatiques ont une longue période de développement et se distinguent par le caractère chronique des symptômes et des syndromes. On observe souvent la formation de tout un ensemble de maladies psychosomatiques. Chez les liquidateurs les complications aiguès de ces pathologies sont courantes. Les formes les plus fréquentes sont les maladies:
     1. cardio-vasculaires - dystonies neurocirculatoires et végétoartérielles (30% des personnes examinées). Hypertonie et ischémie cardiaque (10-30%).
     2. pulmonaires : bronchites obstructive chronique (36 - 41%).
     3. gastroentérologiques - hépatite chronique (14-17%), maladies des voix biliaires (14-17%), gastrite chronique (69%) surtout atrophiques, ulcères de l'estomac (12 %) et de l'intestin(32%).
     4. les maladies des voies biliaires (7-9%).
     5. otolaryngologiques : pharyngites tonsillaires (30%), dysfonctionnement vestibulaire (33%).
     6. hématologiques : on ne constate pas d'augmentation de la pathologie vasculaire. Cependant, on constate des modifications de la formule sanguine (leucocytoses, éosinophilies, monocytoses, lymphocytoses) ; chez 58 % des liquidateurs on observe des changements qualitatifs des structures hématopoïétiques, une hypersegmentation des noyaux des neutrophiles, une disposition granulaire des erythrocytes. Parmi les formes nosologiques des maladies hématologiques dans les populations suivies, les anémies sont courantes (15-22%). Les transformations détectées permettent de prévoir la croissance des pathologies hématopoïétiques dans l'avenir.
     7. dermatologiques : hypomatose diversifiée chez les liquidateurs, maladies cutanées contagieuses du fait de la présence de germes.
     8. ophtalmologiques : les transformations du cristallin, du nerf optique, les troubles de la circulation de l'humeur acqueuse (25-35%).
     Chez les enfants qui habitent sur les territoires contaminés et dont les parents appartiennent aux différents groupes de victimes, on observe le plus souvent des anémies du fait de déficiences en fer ainsi que des réactions leucocytaires, des lymphoadénopathies sous forme de diathèse lymphatomypoplastiques, allergies (26%), des retards physiques et psychiques (12-16%), un accroissement de la fréquence des maladies respiratoires, digestives, des dysfonctionnement du système nerveux ainsi qu'une altération de la structure de la thyroïde (15-20%). Le nombre d'enfants nécessitant un suivi sanitaire constant augmente (30-55%).
     En ce qui concerne les aberrations chromosomiques, les personnes sont soumises à l'influence de divers facteurs de mutation qui ne sont pas toujours liés entre eux.
     Il y a corrélation positive entre l'incidence des maladies énumérées ci-dessus et le degré de contamination. Les principaux facteurs à l'origine du syndrome socio psychologique de Tchernobyl sont:
     - l'origine technique de la catastrophe
     - l'importance de ses conséquences
     - l'importance de l'impact
     - la difficulté d'évaluation du danger post accidentel
     - la peur des rayonnements ionisants et la crainte que le danger perdure dans l'avenir ; la conjonction des traumatismes post accidentels et des difficultés socio économiques, formation de la communauté tchernobilienne. La morbidité de la population actuelle est liée aux conséquences de la catastrophe aussi bien qu'à l'affaiblissement sanitaire général dans le pays.
     Parmi les nombreux facteurs influençant la santé publique, les plus importants sont celui de la radioactivité et du stress.

Commentaire Gazette: Dans la gazette précédente 149/150 je vous ai présenté le dossier IPSN sur Tchernobyl; je vous présente le point de vue d'un médecin ukrainien et le jugement prononcé par le tribunal des Peuples. De toute façon Tchernobyl est une catastrophe et on se doit de chercher à tout comprendre... Je n'ai pas publié de papiers sur le sarcophage mais là aussi il y a beaucoup à dire. Cet énorme machin construit sur un trou est rongé par la corrosion et il faudrait essayer de trouver une solution mais c'est loin d' être facile et en plus le coût est colossal. Avant toute chose il faut décontaminer la zone puis ensuite construire une arche. En effet, il a été mentionné une attaque par le sous-sol mais c'est semble-t-il encore moins facile. 

Tchernobyl fera encore parler et ce n' est pas fini...

     pp.19-20

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